Société

Célébrations annuelles de la fierté gaie : La minorité invisible

La plus importante minorité de Québec passe souvent inaperçue, mais ce ne sera pas le cas cette semaine! De jeudi à dimanche, la Fête arc-en-ciel s’est installée dans le quartier Saint-Jean-Baptiste pour les célébrations annuelles de la fierté gaie. Avis à ceux qui aiment voir la vie en rose.

Pour sa quatrième édition, la Fête arc-en-ciel s’est dotée d’une véritable organisation avec près de 100 bénévoles, un budget qui tourne autour de 50 000 $ et plein de projets d’avenir. Il faut dire que l’événement se limitait jusqu’à maintenant à un pique-nique sur les plaines d’Abraham et à quelques spectacles… Cette année, on attend plus de 10 000 personnes pour la vingtaine d’événements qui seront présentés.

La Ville de Québec participe activement à la Fête, se réservant même son inauguration: la levée du drapeau gai. «Une belle forme de reconnaissance politique», affirme Maurice Morand, président de la Fête. Le drapeau arc-en-ciel flottera pour une deuxième année consécutive sur un des mâts de l’hôtel de ville, un geste que peu de municipalités osent encore poser, malgré le fait que des célébrations semblables soient organisées dans plus de deux cents villes à travers le monde.

«Pour la première fois cette année, la rue Saint-Jean sera piétonne (dimanche, le 5 septembre) pour nous permettre d’y tenir des activités en remplacement du pique-nique. Ce sera la troisième fois de l’été que la rue sera fermée à la circulation, mais tout le monde a appuyé notre demande!», nous dit M. Morand.

L’association de la communauté gaie à la fête de quartier Faubourg en Fleurs, en avril dernier, a permis de tester le concept. Jean-Denis Marois, coordonnateur du Comité populaire Saint-Jean-Baptiste (qui organisait cette fête de quartier), affirme: «En gros, les gens ont apprécié la mixité, mais il y a eu quelques commentaires au sujet du spectacle de drag queens… Il y a encore des gens conservateurs qui n’ont pas compris que c’est une caricature!»

«Cette année, ajoute M. Marois, notre engagement à la Fête arc-en-ciel se limite à une ligne de téléphone et un fax, que nous lui avons prêtés. L’an prochain, nous aimerions participer plus directement parce qu’ici, il n’y a pas de Village gai, c’est un quartier et nous voulons encourager la diversité qu’on y vit.»

Recensement
Quand on demande au coordonnateur du Comité populaire d’évaluer le pourcentage de gais et de lesbiennes dans son quartier, il hésite… «15 % me semble être assez près de la réalité.» L’avocate Claudine Ouellet, directrice de la Coalition gaie et lesbienne du Québec, affirme: «Nous sommes 60 000 à Québec.» Ce qui équivaut à 10 % de la population, un chiffre auquel arrivent toutes les études sérieuses portant sur le pourcentage de gais dans la population.

Ce printemps, la parution de l’étude gouvernementale Santé Québec devrait confirmer ces chiffres. On y posait en effet une question sur l’orientation sexuelle. Pour la première fois, le recensement de 2001 devrait aussi contenir cette question.

S’il est difficile de chiffrer exactement le nombre de gais, on peut toutefois constater que c’est une communauté très organisée. Déjà, en 1960, le premier groupe gai connu de la province voyait le jour à l’Université Laval, pour disparaître presque aussitôt. Aujourd’hui, il existe une cinquantaine de groupes communautaires gais à Québec. Et il y en a pour tous les goûts! Groupes de discussions, organismes de sports et loisirs (volley-ball, hockey cosom, etc.), groupe de chrétiens homosexuels, ensemble vocal, troupe de théâtre, association des parents gais, des parents de gais…

Maman, je suis homosexuel
Bien avant que l’association des parents de gais voit le jour, le CLSC Haute-Ville avait compris que les jeunes qui découvraient leur homosexualité avaient besoin de services. Pierre Berthelot, l’animateur responsable du groupe gai 14-18, raconte: «Nous sommes là depuis le début des années 90 et nous touchons une dizaine de jeunes par semaine. C’est très important pour eux de se créer un réseau social, de se déprogrammer de tous les stéréotypes de la société. Pour le CLSC, il y a aussi toute la question de la prévention qui est importante.»

Car qui dit acceptation difficile de son homosexualité, ou rejet vécu à cause des préjugés liés à cette orientation sexuelle, dit aussi augmentation des risques de décrochage scolaire, d’alcoolisme et de suicide. «Plusieurs jeunes se suicident encore pour emporter le secret dans leur tombe!», affirme M. Berthelot.

L’animateur n’a jamais eu de jeune suicidaire dans son groupe. «Les jeunes qui viennent nous voir ont déjà fait un certain bout de chemin face à leur acceptation. Avec Internet, ils peuvent briser plus facilement leur isolement qu’avant. Mais c’est encore difficile, j’en ai eu plusieurs qui ont dû changer d’école parce que c’était devenu intolérable pour eux!»

Selon des études américaines citées dans un rapport de la Commission des droits de la personne et de la jeunesse, jusqu’à 30 % des jeunes gais tentent de se suicider à cause de la peur du rejet ou du rejet réel qu’ils vivent! Gai-Écoute, un organisme de référence et d’écoute téléphonique, effectue présentement une étude sur le sujet pour savoir si ces chiffres alarmants s’appliquent aussi au Québec.

L’heure de la sortie
Si la vie est parfois difficile avant d’accepter son homosexualité, une fois cet obstacle franchi, les gais sont très portés vers la fête. Depuis deux ans, on le voit bien dans le domaine commercial, avec les nouveaux bars, les agrandissements et les événements touristiques majeurs qui se succèdent.

Surtout concentrés sur la rue Saint-Jean, juste à l’extérieur des fortifications, les commerces s’adressant aux gais ont créé un véritable pôle commercial dans le quartier. Difficile de faire autrement quand la plus vieille discothèque gaie de la province (le Ballon Rouge existe depuis 1971) et le plus vieux bar gai (Le Drague a ouvert ses portes en 1983) sont voisins.

Même touristiquement, Québec est en voie de devenir une destination gaie reconnue internationalement. Le Fest’hiver, un événement sportif et culturel qui se tient au mois de mars, en sera cette année à sa troisième édition.

Plus important encore, la Fête arc-en-ciel offre une célébration de la fierté gaie tout à fait différente de ce qui se passe ailleurs en Amérique du Nord. Maurice Morand explique: «Ici, l’idée d’une parade comme ça se fait ailleurs est exclue. Ce n’est pas voulu, ce n’est pas demandé. On préfère les événements champêtres.»

La Fête arc-en-ciel sort aussi du calendrier habituel des célébrations de la fierté gaie. Ces fêtes existent depuis 30 ans en souvenir du jour de la révolte des homosexuels de New York contre les agressions policières en 1969. C’était un… 24 juin!

Ces deux facteurs favorisent Québec pour la Fête. «Nous aimerions bien savoir quel impact économique nous avons, nous essaierons cette année de faire le calcul, mais c’est très complexe», dit M. Morand. Du côté de l’Office de tourisme, on sait toutefois que les gais sont des voyageurs dépensiers, beaucoup plus que tous les autres touristes.

Une année charnière
La Fête célèbre cette année le trentième anniversaire du Bill Omnibus de Pierre-Elliott Trudeau, qui a décriminalisé l’homosexualité, et le gain significatif qu’est la loi 32, votée cette année par l’Assemblée nationale, qui reconnaît les conjoints de fait de même sexe dans toutes les lois québécoises.

Mais la Fête est aussi l’occasion d’annoncer les luttes politiques futures. Claudine Ouellet, directrice de la Coalition, explique: «Il nous reste à nous assurer qu’il y ait des services de santé adaptés aux réalités des gais partout en région, que nos jeunes reçoivent une éducation qui leur permette de savoir qu’ils sont normaux et qu’ils ne sont pas seuls et que nos familles gaies – 30 % des couples de lesbiennes ont des enfants! – soient plus visibles. Il faut défaire ce que les médias ont fait… La pédophilie, ce n’est pas de l’homosexualité! Il reste beaucoup d’éducation à faire là-dessus.»

Et, inévitablement, le dossier du mariage fait son apparition. «Chaque citoyen doit avoir les mêmes droits et les mêmes choix que ses voisins, affirme l’avocate. C’est une question d’égalité. Il faut quand même bien comprendre que personne ne demande le mariage religieux!»

En Europe, le mariage gai est devenu une réalité au Danemark en 1989, et, depuis, en Norvège, en Suède, au Groenland, en Islande et aux Pays-Bas. D’autres pays pourraient s’ajouter bientôt, alors qu’ici, le Parlement fédéral votait, il y a quelques mois, une loi définissant le mariage comme «l’union d’un homme et d’une femme».

Après des années de pressions sur l’Assemblée nationale pour qu’elle reconnaisse les conjoints de fait de même sexe, il est à prévoir que l’attention de la communauté gaie se tournera maintenant vers la pas très rose Ottawa, où 70 lois sont encore jugées discriminatoires.

Fête arc-en-ciel: 524-2435

Gai-Écoute (pour de l’aide ou de la référence, tous les jours, de 11 h à 23 h): 1-888-505-1010

Du 1er au 5 septembre
En différents lieux
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