Société

Droit de cité : Le Rialto est mort! Vive le Rialto!

Le vieux cinéma Rialto sera transformé en club de nuit. À moins d’un tremblement de terre ou de l’écrasement d’une quelconque station orbitale russe sur Saint-Lambert, il en sera ainsi.

Qu’importent les jérémiades des nostalgiques qui y ont vu Annie Sprinkle jouer de la chatte, ou qui ont assisté aux célébrations des cinquante ans de Bugs Bunny.

C’est le Service du développement économique et urbain qui nous l’a confirmé.

Enfin, la Ville n’a pas encore dit oui officiellement au projet, mais son enthousiasme trahit ses réelles intentions. Et quand l’administration de la Ville aime un projet, elle le laisse rarement tomber pour cause de «quelques mécontents de toute façon jamais content», pour reprendre grosso modo les paroles du maire Bourque.

Les cas de la Ferme sous les noyers et d’Habitat Chambord sont là pour nous le rappeler.

«Il est peut-être un peu trop tôt pour l’affirmer, mais je crois que c’est possible, selon les plans que nous avons vus, que le propriétaire réussisse à faire une restauration de qualité. Enfin, on l’espère», a répondu François Lemay, chargé de communications au Service du développement économique et urbain, en comparant les travaux actuels effectués au Rialto au lifting du Corona, dans Saint-Henri.

«Il faut bien donner une chance au propriétaire de rentabiliser son édifice, et l’industrie du cinéma n’est plus ce qu’elle était», poursuit-il, comme pour justifier le changement de vocation.
Bref, les temps changent, disait avec clairvoyance Eaton, y compris pour la vénérable salle de l’avenue du Parc. Exit, le cinéma d’auteur (qui s’est trouvé une bien plus belle niche à Ex-Centris) et les spectacles; bienvenue aux spéciaux 2 pour 1 sur la grosse Mol. Après tout, nous ne sommes pas tous des Daniel Langlois, nous ne sommes pas tous capables d’investir des millions dans la culture.

Le Service de l’urbanisme de la Ville de Montréal a donc accepté les plans proposés par le propriétaire. Les travaux ont débuté – c’est-à-dire que ceux entrepris dans l’illégalité il y a quelques semaines ont été réhabilités par la Ville. Il ne reste plus qu’à recevoir l’aval de courtes audiences publiques devant la Commission de développement urbain pour permettre les changements de zonage. On pourrait même y trinquer pas plus tard que cet automne!

Tout de même, après dix ans de bataille, la catastrophe a été évitée: le Rialto aurait pu devenir aujourd’hui un gros mini-centre commercial. Elias Kalogeras s’était porté acquéreur de l’édifice en 1983 dans ce but. Heureusement pour la postérité, il n’a pas pu agir assez vite, de sorte que les trois paliers de gouvernement ont pu classer le Rialto avant que le bulldozer fasse son entrée sur scène, avant que les bas-culottes soldés à 25 % fassent leur tou de piste itou.

Comme un panda
Le cinéma Rialto est l’un des plus beaux exemples de l’architecture mimétique à Montréal. De vieilles photos permettent d’affirmer que la façade n’a subi aucune modification depuis sa construction, si ce n’est le néon de «brocanterie» qui lui sert de marquise.

Puis les ajouts de portes patio.

En plus des vitraux remplacés par des fenêtres d’aluminium coulissantes.

Bref, le Rialto était affligé par une invasion de préfabriqué et de clapboard de vinyle.

Pourtant, à moins d’être le dernier panda sauvage des hauts plateaux tibétains, difficile d’être plus protégé que le Rialto: le municipal s’assurait de conserver l’extérieur, le provincial, l’intérieur, et le fédéral, de l’inscrire dans le grand livre des lieux historiques canadiens. Quoique l’intervention fédérale ait la force de loi d’une inscription dans le Guide Michelin, mais au moins, l’intention politique était exprimée, avec tout le poids qu’exerce Sheila Copps.

Ne manquait plus que Dieu s’en mêle lui-même.

Et pourtant…

L’histoire récente du Rialto pourrait s’intituler «Vie et Mort d’un palace», qui se mourait au vu et au su de tous. Une longue agonie qui provoquait, au mieux, un haussement d’épaules chez ceux qui s’étaient portés garants de l’intégrité historique du bâtiment; au pire, une envie irrépressible de faire du «développement».

L’histoire récente du Rialto, c’est un continuum: on avait l’impression de toujours revivre les mêmes événements, de boucler la même boucle – le propriétaire exécutait des travaux illégaux, la Ville l’intimait d’arrêter, puis le même manège recommençait, comme ça, pendant trois ans, jusqu’à il y a deux semaines, encore.

Monsieur Kalogeras applique la méthode Dirty Harry, très peu éthique, mais crissement efficace: dégainez votre magnum 357 d’abord, et posez les questions ensuite.

Une façon de faire visiblement tolérée par la Ville et par Québec, puisqu’avec trois constats d’infraction totalisant moins de mille dollars d’amendes, il va l’avoir, son permis de bière!

Moins de mille dollars, on ne parle plus d’amendes, mais d’une taxe volontaire pour permettre à ceux qui en ont les moyens de s’offrir des entourloupettes aux règlements municipaux, sans autres conséquences.

Malgré la Sainte Trinité qui protège le Rialto.

La même qui promet de conserver le fameux restaurant du neuvième chez Eaton.

Ça vous rassure? Bof, il nous restera au moins les photos d’époque…