Cauchemar, c’est la rentrée.
En ce début de septembre, des milliers d’enfants reprennent le triste chemin de l’école.
Se lever les yeux collés de rêves, chercher ses chaussettes, lire l’endos d’une boîte de céréales, se geler les p’tites coucouilles le long des rues dans la demi-obscurité du matin, y a-t-il pire épreuve dans une vie d’enfant que la répétition, jour après jour, de ces corvées insensées ponctuées par le bruit des sirènes et des alarmes?
Oui, se prendre une balle perdue.
Cette semaine, une bonne partie de l’Amérique se réveille avec la chienne.
Parents, enseignants et professeurs craignent que la rentrée scolaire ne soit marquée de nouveaux massacres.
Vigoureusement engagé en mai, le débat sur la violence dans les écoles et chez les jeunes avait identifié trois coupables: les jeux vidéos, la violence à la télé et la prolifération des armes à feu. Il s’est retrouvé au point mort pour cause de vacances des enfants, des enseignants et des décideurs. La législation concernant de nouvelles restrictions sur 85 % des films fut remise à plus tard, celle sur la restriction des armes à feu aux calendes grecques.
Un professionnel de la mort au service de l’armée américaine a proposé tout récemment une explication époustouflante à cette vague de violence estudiantine. Le psychologue voit un parallèle évident entre les méthodes d’endoctrinement et les jeux vidéos. Il soutient que, dans les deux cas, la répétition d’exercices de simulation permet de banaliser les gestes de violence. Les jeux vidéos ne seraient autre chose que des simulateurs virtuels qui permettent de perpétrer aisément, dans des conditions réelles, les actes les plus brutaux sans en mesurer les conséquences. Il met un nom sur les vrais coupables: Duke Nukem Resident Evil Nightmare Creatures. Une médaille du Congrès ou 1 200 points et une partie gratuite, c’est du pareil au même.
Afin de pallier au plus pressé, quinze millions seront dépensés aux É.-U. afin de renforcer la sécurité dans 226 écoles et d’y détecter l’introduction d’armes à feu. Les parents n’ont pas attendu que l’État se grouille. Ils ont recruté des surveillants et des gardiens, organisé des comités de vigilance et de dénonciation qui finiront bien par voir dans le moindre marginal qui écrabouille des fourmis rouges un suspect potentiel.
Il n’est peut-être plus temps pour la réflexion, mais ces bons citoyens voudraient tout de même qu’on s’intéresse un peu moins à leurs inquiétudes. Car ils craignent ce qu’ils appellent le copycat: l’effet d’entraînement.
Newsweek, dans son édition du 23 août, fait état d’un sondage national dans lequel 88 % des parents américains affirment que la couverture médiatique de tragédies comme celle de Littleton encourage la répétition des actes de violence. 72 % considèrent que ces images laissent croire aux enfants qu’ils sont plus en danger qu’en réalité.
Influencé par cette vague de mécontentement, un réseau américain de petite taille a, paraît-il, commencé à décaler de quelques secondes ses directs afin de prévenir la diffusion inopinée de scènes de violence. Et depuis quelques jours, trente télés d’Amérique diffusent gratuitement des centaines de spots de trente secondes invitant les enfants à dénoncer la violence. Quelle volte-face.
Les diffuseurs ont une opinion publique à reconquérir.
Notre appétit pour le sang connaîtrait-il quelques limites?
Pas beaucoup. À Los Angeles, par un mardi après-midi, on a coupé la diffusion des Animaniacs (de petites souris rigolotes et aussi violentes que Sylvester et Daffy Duck) afin de présenter en direct une poursuite qui s’est soldée par la mort d’un homme. La télé s’est excusé.
Bien plus modéré, le jaunisme au Québec – s’il ne date pas d’hier – était jadis réservé aux journaux de même couleur. Il a marqué de gros points à l’été 1997 lorsqu’on a vu les sacs Glad contenant les restes de Marie-Soleil Tougas et de Jean-Claude Lauzon sortir du bois en direct à Radio-Canada. Depuis, des dizaines d’émissions sordides et peu dispendieuses, comme Scène de crime, polluent les ondes à chaque saison. Rien n’égale le plaisir de regarder et d’écouter sur son cinéma maison en TXHX et Dolby Stéréo une petite vieille en jupon se lancer d’un dixième étage en feu, comme s’il s’agissait d’un nouveau sport extrême. De la voir claquer, emmêlée dans ses couvertures sur une civière.
Contre tout bon sens, The Learning Channel, qui diffuse ce genre d’images dégueulasses, est toujours disponible sur le câble, en partie grâce à vos taxes.
Pendant ce temps, Radio-Canada fait des pieds et des mains pour obtenir le droit de développer une télé vraiment culturelle comme Arte. If it bleeds, it leads, dit-on.
Alors, du sens ou du sang?