Le Sommet de la francophonie : Y a les maux
Société

Le Sommet de la francophonie : Y a les maux

On discutera beaucoup de culture au Sommet de la francophonie de Moncton. Pourtant, il y a des sujets autrement plus urgents: la démocratie tire de la patte dans les pays francophones, et en Afrique de l’Ouest, l’esclavage est en progression. Preuve que la barbarie parle toutes les langues, même celle des Lumières…

Du 3 au 5 septembre, les dirigeants de plusieurs pays se réuniront à Moncton dans le cadre du Sommet de la francophonie. Ils y discuteront littérature, langue, échanges économiques et exception culturelle. Pendant trois jours, on fera comme si tout était rose dans le merveilleux monde de la francophonie.

Or, c’est loin d’être le cas. Ce n’est pas parce qu’on parle la langue de Molière plutôt que celle de l’oncle Sam qu’on est automatiquement immunisé contre la cruauté et la barbarie.

Comme le faisait remarquer Frédéric Wagnière dans La Presse la semaine dernière, sur les quarante-neuf pays membres et deux pays observateurs de l’Organisation internationale de la francophonie, dix-huit ont des gouvernements qui n’ont pas été élus de façon libre et qui violent systématiquement les droits de leurs citoyens. Et il y a aussi le Rwanda, où s’est déroulé l’un des plus terribles génocides de l’histoire.

Bref, la francophonie a son lot de problèmes – des problèmes autrement plus urgents que l’avenir de l’affichage français à Roxboro.

Trafic d’enfants
Développement et Paix, en collaboration avec Anti-Slavery International, vient d’ailleurs de publier un rapport sur l’esclavage dans les pays francophones. Le portrait que brosse l’organisme est horrifiant.

Prenons l’Afrique de l’Ouest, par exemple. Selon Développement et Paix, la traite des enfants y est en progression. La majorité des enfants vendus viennent du Bénin et du Togo, et sont achetés par les trafiquants pour être revendus comme domestiques ou vendeurs ambulants.

Avant, au Bénin, les enfants de milieu rural étaient placés chez des parents, proches ou éloignés, qui les prenaient en charge en échange d’une aide manuelle ou monétaire; mais aujourd’hui, la pauvreté aidant, ces enfants sont tout simplement envoyés chez des étrangers qui les exploitent sans vergogne. «En théorie, affirme le rapport, les enfants sont censés recevoir une formation; mais en pratique, ils finissent comme serviteurs ou "aides" domestiques. Dans la plupart des cas, ils sont maltraités.

Parfois, les parents reçoivent de l’argent en échange du travail de leur enfant; autrement, l’enfant travaille sans salaire.»

Le «placement d’enfants» est si populaire que le réseau s’est élargi et traverse maintenant les frontières. Les enfants sont envoyés jusqu’au Nigeria ou au Gabon, deux pays qui se sont enrichis grâce au pétrole. «Ces enfants, affirme le rapport de Développement et Paix, ne revoient plus leur famille et travaillent du petit matin jusque tard dans la nuit. Les trafiquants disent qu’ils doivent payer le transport des enfants outre frontières, les nourrir et les vêtir. Ils exigent donc que les enfants travaillent pour rembourser ces frais. À leurs yeux, cette activité est une entreprise commerciale comme une autre.»

En 1987, les autorités ont découvert quatre cents enfants à bord d’un navire appartenant à la compagnie Croisière Atlantique, ancré dans le port de Cotonou (Bénin), à destination d’autres pays d’Afrique de l’Ouest. Qu’a fait le gouvernement du Bénin? A-t-il puni sévèrement les propriétaires du bateau? Non: il s’est contenté d’interdire au navire de revenir faire escale dans le port.

Haïti compte aussi ses esclaves, les «restaveks» (restent avec). Ce sont des enfants qui ont été offerts par des familles pauvres à des familles plus aisées. Selon les plus récentes estimations de Développement et Paix, il y aurait plus de deux cent mille «restaveks» en Haïti, et les trois quarts sont des filles. En plus de ne recevoir aucun salaire et de ne pas aller à l’école, elles sont souvent battues, exclues de la vie familiale et traitées comme des moins que rien – cela, même si le code du travail stipule qu’aucun enfant de moins de douze ans ne peut être confié à une famille comme domestique.

Cause toujours
Plusieurs pays de la francophonie bafouent ouvertement les droits de la personne. Malgré cela, faibles sont les chances que le Sommet débatte de ces questions en profondeur. Car l’Organisation internationale de la francophonie – comme la plupart des organismes internationaux – doit marcher sur des oeufs.

En effet, dans l’article 1 de sa Charte, il est spécifié que l’OIF a pour objectif d’aider «à l’instauration et au développement de la démocratie» et «à la prévention des conflits et au soutien aux droits de l’homme». Mais un peu plus loin, on affirme que «la Francophonie respecte la souveraineté des États, leurs langues et leurs cultures», et qu’elle «observe la plus stricte neutralité dans les questions de la politique interne».

En d’autres mots, l’OIF aboie mais ne mord jamais.

Le Sommet de la francophonie ne servirait-il donc qu’à prononcer de jolis discours et à se gargariser de belles intentions? On ne pourra répondre à cette question qu’au cours des prochains jours.

Mais entre vous et moi…