Société

Les placements éthiques : Actions morales

Vous désirez acheter des actions, mais vous ne voulez pas que votre argent serve à fabriquer des armes ou à financer des expériences sur des animaux? Pas de problème: grâce aux investissements éthiques, vous pouvez maintenant placer de l’argent en Bourse sans renier vos principes moraux… Enfin, c’est ce qu’on dit.

L’idée d’inclure dans ses choix d’investissements des critères éthiques est apparue aux États-Unis pendant la guerre du Viêt Nam. Beaucoup d’Américains se sont alors départis de leurs actions dans des sociétés qui fabriquaient des armes. Au Canada, ce sont les communautés religieuses qui ont été les premiers acteurs de ce mouvement, en n’investissant plus en Afrique du Sud, en réaction contre l’apartheid.

Chez nos voisins du sud, le concept d’investissement éthique s’est rapidement développé, et on trouve actuellement sur le marché une centaine de fonds de placements qui respectent des critères environnementaux ou sociaux. Dans le reste du Canada, il existe déjà quatorze de ces fonds, tandis qu’au Québec, à peine six sont offerts.

Sylvie Laurin, conseillère en placements chez Lévesque, Beaubien et Geoffrion, une firme de Québec, est l’une des seules conseillères qui se spécialisent dans les investissements éthiques au Québec. «On est en retard sur le reste du Canada, c’est sûr», dit-elle. Même au niveau de la prise de conscience de nos valeurs, il semble que nous traînions de la patte. «Quand je demande à mes clients quelles sont les valeurs qui leur tiennent suffisamment à coeur pour en faire un critère d’investissement, ils hésitent. Souvent, c’est la première fois qu’ils se posent cette question!» affirme la conseillère.

Il faut dire que ces fonds d’investissements souffrent d’un manque de visibilité. Peu de conseillers savent même qu’ils existent! Et du côté de la population, c’est pire. «J’ai approché des communautés religieuses l’an dernier, et personne n’était au courant que de tels investissements étaient possibles, souligne Sylvie Laurin. J’ai donc été invitée pour faire des conférences. Je me suis rendu compte que les gens sont très intéressés à en savoir plus.»

Cinq des six fonds de placements éthiques offerts au Québec sont de type environnemental. Le plus connu est certainement le Fonds Desjardins Environnement, qui existe depuis presque dix ans. Clean, une compagnie ontarienne, offre quatre autres fonds environnementaux, et Investor possède le seul fonds éthique social, le Fonds Summa, qui exclut de ses titres toutes les compagnies ayant des intérêts dans les industries du jeu, de l’alcool, du tabac, de l’armement et de la pornographie.

De nouveaux fonds sociaux devraient bientôt s’ajouter à ceux-ci _ comme les huit d’Ethical Funds, déjà disponibles partout ailleurs au Canada (si les négociations avec Desjardins finissent par aboutir), et le Fonds Développement Durable de YMG.

Trop beau pour être vrai?
Le nombre de fonds éthiques augmente constamment. Aux États-Unis, ils gèrent maintenant plus d’un milliard de dollars d’actifs, et les rendements sont très élevés. Celui du Fonds Desjardins Environnement est meilleur que le rendement moyen des trois cents plus grandes compagnies cotées en Bourse au Canada (réunies sous l’appellation TSE300). Le Fonds Summa frôle les 20 % sur trois ans, et l’un des fonds d’Ethical Funds s’est classé troisième meilleur fonds de placement en 1998!

L’éthique performe tellement bien qu’on créera, cet hiver, un indice boursier pour pouvoir comparer la progression des titres éthiques avec ceux du TSE300.
Mais un fonds qui performe avec un rendement de plus de 20 % sur trois ans peut-il être réellement éthique? Derrière ces chiffres, plusieurs craignent de découvrir des mises à pied massives et des réorganisations du travail au détriment des travailleurs. Au Fonds de Solidarité de la FTQ, on ne veut surtout pas être associé aux fonds éthiques, justement pour cette raison. On préfère le titre de fonds de travailleurs…

Mais, plus surprenant encore, la composition des fonds éthiques laisse parfois perplexe. Ainsi, le Fonds Desjardins Environnement est composé à presque 6 % d’actions de grandes compagnies pétrochimiques! À la Fiducie Desjardins, on justifie ces investissements en affirmant appuyer les leaders environnementaux du secteur, pour ainsi encourager les autres compagnies à appliquer des normes environnementales plus sévères. Puis on ajoute que le fonds n’investit que dans des compagnies faisant partie du TSE300…

De son côté, le Fonds Summa détient un nombre important d’actions de Bell, qui ne s’est pas gênés pour se départir de ses téléphonistes de façon plutôt cavalière. Puis il y a le fonds Développement Durable de YMG qui détient des titres de Tembec et de Domtar, et certains fonds d’Ethical Funds investissent dans Abitibi-Consolidated. Trois compagnies rendues célèbres par le film L’Erreur Boréale!

Enfin, il faut ajouter que ces fonds sont gérés depuis Toronto et de Winnipeg… Seul le Fonds Desjardins Environnement gère les épargnes que les Québécois lui confient à partir de Montréal.

Un beau casse-tête en perspective pour quelqu’un qui croit que l’environnement n’a rien à voir avec le pétrole, et que le fait de favoriser l’emploi au Québec est éthique!

Reprendre le contrôle
Peut-on être encore plus moral?
«Il existe quelques fonds plus radicaux, qui investissent dans le solaire et les éoliennes, mais seulement aux États-Unis», explique Sylvie Laurin. Au Canada, rien de semblable n’est offert ni même prévu. Il faut donc composer avec les lacunes d’un système qui offre la possibilité de tenir compte de nos valeurs dans nos investissements, mais sans nous donner les moyens d’être réellement certains que notre argent servira à rendre l’économie plus humaine. D’autant plus que les fonds éthiques n’investissent que dans de grandes compagnies…

Certes, c’est déjà mieux que de placer son argent dans des compagnies d’armement, mais c’est loin de remettre le système en question.

Pour ceux que ce pis-aller ne satisferait pas, il y a d’autres solutions. Une foule de petites fermes biologiques québécoises cherchent des partenaires économiques pour leur développement. C’est le cas, entre autres, de la Ferme Le Crépuscule, qui se spécialise dans la production de viande. «Je cherche des actionnaires depuis des années, nous dit Jean-Pierre Clavet, propriétaire de la ferme. J’aurais besoin de capitalisation pour compléter des projets d’expansion. Tout ce que je demande, c’est que l’investisseur croit en l’agriculture biologique.» Un investissement dans une petite entreprise environnementale québécoise qui tente de déjouer le néolibéralisme et la mondialisation… Difficile de trouver plus éthique.
Mais oubliez le rendement de 20 %.