Société

Droit de cité : Un homme, un parc

Chose promise, chose due. Le miracle de la Réincarnation par la toponymie s’est donc produit, mais avec une précipitation peu commune et inattendue. Seul René Lévesque avait eu droit à de pareils honneurs en 1987.

Après de brèves hésitations, la Ville de Montréal a fini par décider quel coin de la cité fera revivre Jean Drapeau: ce sera le Parc des îles.

Désormais, le Parc des Îles s’appellera le Parc Jean-Drapeau. (Rappelons que la plage Doré, appellation non officielle, est située dans le Parc Jean-Drapeau. Preuve que «toutte est dans toutte». Si la logique se poursuit, le McDo de la plage Doré portera éventuellement le nom de Pierre Bourque, puis son successeur se verra attribuer les bécosses comme monument. Qui veut succéder à Pierre Bourque?)

Désolé, je m’écarte.

Alors, le Parc des Îles s’appellera le Parc Jean-Drapeau. Disons que je m’en contrecrisse un peu. Un parc, un stade ou un parking payant (ben oui, pourquoi aucun stationnement ne porte le nom d’une personnalité politique? Un parking! Ça irait comme un gant à ces maîtres de l’immobilisme), ça me laisse froid comme Mr. Freeze.

Ce qui ne m’empêche pas de m’interroger sur la pertinence de nommer les choses afin qu’elles perpétuent la mémoire de quelqu’un.

La question est: «Ça marche-tu?» La nomenclature permet-elle vraiment de se souvenir d’un homme et de son oeuvre au-delà de deux générations? Voici un petit examen, qui nous permettra de répondre à l’énigme.

* Qui était Honoré Beaugrand avant d’être un terminus de ligne de métro?

*Qui était La Vérendrye avant d’être un insignifiant boulevard?

*Que faisait Médéric Martin avant de faire le lien entre Montréal et Laval, aux dessus de la rivière des Prairies?

*John Abbott a-t-il toujours été un cégep?

*Qui était l’étrange monsieur Bizard, Jacques de son prénom, avant d’être l’île du même nom?

*Jean Talon a-t-il vécu dans la rue qui porte son nom? Et qu’a fait monsieur Graham pour se subordonner à Jean Talon, là où cette artère traverse Town of Mount Royal?

*Octave Crémazie méritait-il mieux qu’une voie de service parallèle à la Métropolitaine? (Pour répondre à cette dernière, encore faut-il savoir ce que faisait Octave Crémazie.)

Si ça peut vous rassurer, j’aurais moi-même besoin d’une encyclopédie d’histoire locale pour répondre correctement à toutes ces questions.

Les séparatistes du jour
C’est une chose d’être à contre-courant; c’en est une autre d’être à contresens. Quand vous êtes à contre-courant, vous sautez des rapides et atteignez des terres jusque-là inexplorées. Mais quand vous vous engagez à contresens, vous provoquez des accidents bien inutiles.

C’est un peu dans cette direction – à contresens – que certains résidants de l’île des Soeurs engagent le reste de leurs concitoyens.

Eh oui, il y a des séparatistes à Verdun, dans la partie de l’île des Soeurs. Là même où, en général, on défend l’unité (nationale) sous le prétexte que c’est bien meilleur en groupe.

Des citoyens veulent séparer leur île à l’heure où le Québec entier est mobilisé dans une furieuse course à la fusion municipale. Pendant que Pierre Bourque parle de faire «Une île, une ville», les résidants de l’île des Soeurs l’ont pris au mot: «Comme nous sommes une île, soyons notre ville!»

Actuellement, le discours dominant est de faire de deux choses l’une. Même qu’à Montréal, l’administration Bourque veut faire de vingt-neuf choses l’une.

Assistons-nous à un phénomène de dissidence au royaume de la pensée unique?
Pour résumer grossièrement, les résidants de la très chromée île des Soeurs veulent se séparer de la très BS Verdun. Parce qu’une part des taxes de l’île des Soeurs s’en va à Verdun pour – oh, le drame – y rester. Pourquoi? Tout simplement parce qu’il y a plus de résidants moins fortunés de l’autre côté du chenail que sur l’île.

Quel scandale! S’il fallait que le projet «Une île, une ville» fonctionne, et qu’une autre part de la riche contribution foncière des insulaires de l’île des Soeurs serve aux «crottés de l’Est» (pour reprendre les paroles de l’ami Bob), que se passerait-il?

Décidément, le monde est bien injuste.

La question du jour
La scène se déroulait avenue Iberville, près de Marie-Anne. Une dame col bleu (doit-on dire une colle bleue?) de la Ville de Montréal, au volant d’un gros International six roues avec boîte dompeuse, m’accoste.

La nouvelle n’est pas tant que le gros camion était conduit par une femme – preuve que la Ville a fait des progrès en matière d’équité. Non, la nouvelle, c’est la question que la colle bleue m’a posée: «Pardon monsieur, savez-vous où se trouve la rue Fullum?»

Notez d’abord la politesse d’abordage. La colle bleue vouvoie avec élégance. Mais comment ça, c’est où, la rue Fullum? Vous, le savez-vous où c’est, la rue Fullum???

Ceci n’explique pas toujours cela, mais dans ce cas-ci, oui. Un col bleu qui ne sait pas reconnaître la rue Fullum, ça explique, entre autres, pourquoi on a déjà vu des employés de la Ville déneiger un mini-putt au mois de décembre, quand les rues de Montréal étaient transformées en pistes de motoneige. Pourquoi ça nous a pris trois ans pour changer le sens d’un sens unique, au bout du viaduc Notre-Dame. Et pourquoi on désigne un dépotoir comme un complexe environnemental.