Le phénomène de l'écotourisme : Contre nature
Société

Le phénomène de l’écotourisme : Contre nature

Inconnu il y a dix ans, le terme« écotourisme» est aujourd’hui dénaturé, utilisé à toutes les sauces pour donner l’impression aux adeptes de plein air qu’ils respectent l’environnement. La problématique est tellement criante que certains intervenants tentent d’élaborer la première politique d’accréditation écotouristique en Amérique du Nord.

L’écotourisme est une coquille creuse, un concept à la mode créé pour nous donner bonne conscience lorsque l’on chamboule l’ordre établi de la nature. C’est du moins ce que croient de plus en plus d’experts qui se penchent sur la question.

Enseignant à la faculté des études environnementales de l’Université York de Toronto et membre de la Commission sur l’intégrité écologique des parcs nationaux du Canada, Paul Wilkinson est très inquiet. Des torts considérables à la faune et à la flore causés par la présence humaine ont été enregistrés dans près de 70 % des parcs fédéraux. Et c’est sans compter les réserves, les parcs provinciaux et les terres privées. «En fait, tous les parcs ouverts au public subissent du stress.»

Pour monsieur Wilkinson, il est urgent qu’une prise de conscience ait lieu au sein de la population afin d’éviter que l’on franchisse un point de non-retour. Selon lui, le terme écotourisme est actuellement très mal utilisé et fait croire aux gens que les activités de plein air respectent nécessairement l’environnement. Or, ce n’est pas vraiment le cas.

Le scientifique souligne à titre d’exemple qu’il suffit de la présence de quelques randonneurs pour forcer un grizzli à la fuite, ou d’une dizaine de kayakistes sillonnant une rivière où nichent des canards pour mettre en péril leur reproduction. Au dire de monsieur Wilkinson, le passage de trois autocars de touristes dans un parc aura finalement moins d’effets négatifs, malgré la pollution engendrée par le bruit et les émanations toxiques des véhicules, que le passage de randonneurs qui se disent écotouristes.

La popularité sans cesse grandissante de l’écotourisme a, en outre, des répercussions indirectes indéniables. Paul Wilkinson signale que des relevés effectués dans les parcs provinciaux démontrent que les gardes-chasses doivent passer le tiers de leur temps à surveiller les visiteurs pour qu’ils respectent l’environnement. «Ils deviennent des policiers et n’ont pas le temps de faire leur travail, fait-il valoir. De plus, l’argent investi pour les aires de stationnement et autres infrastructures destinées aux écotouristes n’est plus octroyé à la protection des animaux.»

Avis partagé, pour l’essentiel, par Paul Bouliane, ingénieur forestier et responsable de l’aménagement de la forêt Montmorency, aire expérimentale de l’Université Laval. «L’écotourisme semble un mot à la mode qu’on peut galvauder», indique l’homme qui travaille dans le domaine depuis plus de vingt-sept ans. Selon lui, l’appât du gain aurait motivé de nombreux investisseurs à se targuer de faire de l’écotourisme pour attirer les masses.

Monsieur Bouliane rappelle que l’humain n’est pas chez lui dans la nature et qu’il peut déranger s’il ne prend pas en considération la faune et la flore. «Dès qu’on pénètre dans un milieu naturel, on est un élément étranger.» Il fait remarquer que le simple passage de vélos dans un sentier peut favoriser l’érosion des sols, qui se retrouveront dans les cours d’eau, pourront colmater une frayère et ainsi mettre en péril la reproduction des poissons.

Appellation contrôlée
Adepte de la ligne dure, Élyse Lauzon, l’une des membres de l’organisme écologique sans but lucratif Duvetnor, sis dans le Bas-Saint-Laurent, croit qu’il est temps de passer à l’action. Elle ne veut surtout pas que l’écotourisme perde son sens premier de respect et de sauvegarde de l’environnement.

Élyse Lauzon tente depuis un peu plus de trois ans d’établir, en partenariat avec les intervenants du milieu, une politique de réglementation qui permettra de redonner ses lettres de noblesse à l’appellation. «On va avoir un label de qualité pour ceux qui veulent faire de l’écotourisme», explique-t-elle en soulignant que l’instauration d’une telle accréditation est une première au pays, voire en Amérique du Nord.

Le projet-pilote devrait être lancé dès octobre. Tourisme Québec ainsi que la Commission canadienne du tourisme observeraient avec grand intérêt la démarche afin, éventuellement, de l’étendre à l’ensemble du territoire.

Pour Isabelle Ringuet, responsable du Service canadien de la faune au Québec, l’important sera de distinguer l’écotourisme voué à la protection des espèces du simple plein air. L’adoption d’une telle politique devra aller de pair avec une sensibilisation des adeptes de cette forme de tourisme.

Madame Ringuet cite en exemple les aménagements réalisés au Cap-Tourmente, lieu de séjour des oies blanches. En début de visite, les naturalistes disent aux visiteurs qu’ils ne peuvent approcher les oiseaux. Mais encore faut-il écouter les naturalistes pour savoir comment se comporter! Ce qui est loin d’être le cas de tout le monde… Cela dit, il ne faudrait toutefois pas pénaliser l’ensemble des gens à cause de quelques esprits récalcitrants qui se croient tout permis.

Coordonnateur de projets à la Fondation de la faune du Québec, Benoît Mercille abonde dans le même sens. Selon lui, l’écotourisme peut être très profitable lorsqu’il est bien balisé, car il permet à la population de mieux comprendre le fonctionnement des milieux naturels.

Pas question, donc, de mettre la nature sous une cloche de verre: il faut plutôt profiter de la popularité de l’écotourisme pour éduquer les gens et recueillir des fonds qui serviront à protéger la faune et la flore.
Un danger demeurera toutefois toujours omniprésent, croit monsieur Mercille: lorsque l’on veut développer une activité écotouristique, il est très difficile de déceler les répercussions qu’elle pourra engendrer sur le milieu. «Quand on découvre une richesse, on ne sait pas toujours comment la protéger dès le départ», remarque-t-il. C’est exactement le problème qui se pose avec les excursions d’observation des baleines dans le Saint-Laurent. «C’est la problématique qui a sonné les cloches à tout le monde.»

De plus, étant donné que le nombre d’adeptes de l’écotourisme a cru de façon exponentielle au cours des dix dernières années, le problème de l’achalandage limite se pose de plus en plus. «La popularité de ce type de tourisme s’est développée plus vite que la connaissance des dangers.» Il faudra peut-être un jour restreindre l’accès à la nature pour mieux la préserver.

Jean-Pierre Collin, gérant de la forêt Montmorency, estime aussi que le milieu est capable de supporter les visiteurs si on en restreint l’accès. Des dizaines de touristes visitent son territoire chaque année et il doute que cela puisse nuire à la faune et la flore. Il admet cependant que l’éthique dont fait preuve son centre n’est peut-être pas la même que celle d’entreprises privées.

Malgré les questionnements posés par les intervenants, la chef naturaliste du parc de la Jacques-Cartier, Lise Genois, ne croit pas que la présence d’écotouristes pose un grave problème, du moins dans les parcs. «Il y a de la place pour les hommes et les animaux», juge-t-elle. La situation serait toutefois tout autre dans les réserves comme celle des Laurentides, où l’on appâte certains animaux pour les observer ou les chasser.

Madame Genois participe à des activités d’observation de la faune en milieux naturels depuis maintenant vingt-trois ans. Elle croit que les effets négatifs sont somme toute assez minimes, compte tenu du fait qu’une infime section des parcs est accessible au public. Mais elle reconnaît néanmoins qu’il est difficile de «ne pas avoir d’impact sur la faune en tant qu’être humain».