Société

La guerre des colas : Le choix d’une génération

Après s’être largement approprié le marché étudiant américain, Coke et Pepsi s’attaquent au Québec. La boisson pétillante donne l’eau à la bouche à plusieurs, mais le monopole des défenseurs de la canette n’est pas encore assuré…

L’Université de Montréal a soulevé un tollé l’an dernier en annonçant la signature d’une entente d’exclusivité avec un géant de la boisson gazeuse: Pepsi. Aujourd’hui, la poussière retombe alors que Coke a conclu deux partenariats en milieux secondaire et collégial, et qu’une dizaine d’institutions lorgnent ces revenus supplémentaires. À l’heure où les premiers monopoles entrent en vigueur, la question se pose toujours: jusqu’où les temples du savoir sont-ils prêts à aller pour renflouer leurs coffres?

Coke et Pepsi ont de quoi rendre nerveux avec leurs séduisants discours. Et leurs propositions ne sont pas toujours plus rassurantes. Par exemple, l’UQAM a reçu une offre de Coke qui voulait tripler le nombre de distributrices, offrir une carte fidélité pour inciter la consommation, en plus de demander plusieurs droits de publicité; alors que, de son côté, son concurrent recommandait de quadrupler, ou presque, le nombre de machines, et offrait un programme marketing bien calculé afin de s’assurer une grande visibilité.

Les deux géants parviendront-ils à acheter les murs, voire l’âme des écoles québécoises? Le président de la Commission scolaire des Découvreurs de Sainte-Foy, Claude Gélinas, défie quiconque de prouver une telle présomption. À preuve, il n’hésite pas à dévoiler l’intégrale de l’entente signée avec Coke. «Nous avons négocié très serré, assure-t-il. Ainsi, la pub se limitera aux distributrices, et leur nombre ne devrait pas augmenter. Quand on sait parler affaires, on peut arriver à ses fins», souligne celui qui a déjà traité avec Vidéotron, pour le câblage Internet de ses salles de cours, et Compaq, pour l’achat et l’entretien des ordinateurs.

C’est OK pour toi?
Le partenariat annoncé entre l’Université de Montréal et Pepsi il y a près d’un an – 10 millions $ sur dix ans – a donné soif à plusieurs établissements. «Nous nous inscrivons dans le courant, admet Marc Trudel, vice-recteur au développement à l’Université Laval, qui a approché les deux embouteilleurs au printemps. Nous serions bien fous de nous priver de revenus additionnels dans une période de difficultés financières.»

Le Cégep Édouard-Montpetit a lui aussi profité du contexte de compétition commerciale. Un accord avec Coke a été finalisé en juin. «C’est un contrat alimentaire, point. Je veux vraiment me démarquer de ce qui se passe ailleurs: nous n’avons ni classe ni ambassadeur Coke. Pas question d’entente marketing», soutient le directeur des services aux étudiants et à la communauté, Guy Bédard. Son établissement verra sous peu le nombre de ses distributrices passer de 17 à 30, en échange de près de 500 000 $ sur cinq ans.

L’UdM, qui n’a pas réussi à faire le bonheur de tous sur son campus, n’est pas prise en exemple par ses consoeurs désirant l’unanimité. «Il faut que ce soit fait à l’intérieur de normes largement acceptées par les étudiants», indique Marc Trudel, qui promet que tout le monde sera consulté avant le dépôt du dossier aux deux compagnies, le 31 octobre prochain.

Mais les étudiants ont-ils vraiment droit de parole? À l’UQAM, l’ADEESE, l’une des quatre associations sectorielles, dénonce la fausse consultation à laquelle elle a été invitée. «On nous a fait asseoir devant des conférenciers disposant de matériel promotionnel afin de choisir entre Coke et Pepsi. Il n’y a jamais eu de débat de fond», accuse Éric Bouchard, vice-président aux affaires externes de l’Association, qui n’approuve pas une telle entente. «Ça détourne l’attention du vrai problème: le financement des universités.»

L’AGESSALCUQAM, qui représente 16 000 étudiants, abonde dans le même sens. «L’objectif de Coke – le seul maintenant dans la course – est d’augmenter la consommation de 130 % et de nous vendre le principe que 80 % des achats se produisent de façon impulsive. C’est donc prôner le fait que c’est à l’étudiant de financer l’université», soutient le responsable général, Daniel Vigneault. Et puisque la rectrice de l’UQAM, Paule Leduc, a promis de tenir compte de la volonté étudiante, les 550 000 $ proposés resteront-ils dans les tiroirs de l’embouteilleur? Les administrateurs de l’UQAM ne veulent pas se prononcer, prétextant que rien de nouveau ne figure dans le dossier.

La guerre des bulles
Les institutions sont pourtant assurées du bienfait de tels partenariats. «Les 500 000 $ que nous retirerons durant la prochaine décennie nous permettront de conserver notre image d’excellence en diversifiant nos services», assure Claude Gélinas, dont l’entente exclut les écoles primaires.

Les dix établissements de la Commission scolaire devraient d’ailleurs utiliser les redevances à des fins culturelles, sportives et pédagogiques. Au Cégep Édouard-Montpetit, les sommes serviront à maintenir les actions écologiques et à financer des projets communautaires, comme la rénovation de la cafétéria. En prévision d’une signature, l’UQAM est prête elle aussi. À ce jour, il est entre autres prévu que 960 000 $ retournent aux étudiants sous forme de bourses, que 530 000 $ se transposent en emplois d’auxiliaires de recherche et que 1,6 million $ serve à la rénovation des différents laboratoires. Le plan d’action de l’UdM demeure, quant à lui, encore vague: 70 % des redevances seront allouées à divers services alors que 30 % retourneront aux étudiants par le biais de 25 bourses et de 15 emplois chez Pepsi.

Dans la guerre des colas, aucune tendance ne se dessine encore. Pepsi, le leader du marché québécois, semble pourtant moins désireuse de concurrencer Coke. Est-ce ce qui explique que la valeur des ententes soit en baisse? Mais l’Université Laval, qui a fait évaluer la valeur de son marché par des experts, fera-t-elle monter les enchères? Claude Cossette, spécialiste en publicité, remarque d’ailleurs que les institutions signent à bas prix. Il avance même que l’entente de l’UdM pourrait valoir deux ou trois fois plus. Marc Trudel n’est pourtant pas assuré de faire une meilleure performance que ses prédécesseurs. «Nous voulons obtenir le maximum, sans faire reculer les compagnies.»

Oui ou non? Coke ou Pepsi? Les avis sont mitigés, et pas seulement dans les écoles. Selon un sondage effectué en décembre 1998 par Ad Hoc Recherche, 48,9 % de la population s’avère en accord avec la publicité de compagnies telles Pepsi ou Nintendo en échange du financement de projets éducatifs. Comme quoi tout est encore possible: gain de terrain des embouteilleurs ou législation?