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Les enfants et la Bourse : Ça commence aujourd’hui
Photo : Mathieu Bélanger
Aux États-Unis, à l’âge où les enfants apprennent à lire et à écrire, des géants de la finance font des pieds et des mains pour leur montrer à jouer à la Bourse. «C’est de la sensibilisation», disent les responsables de ces programmes. Yeah, sure.
«Le lion et l’agneau partageront la même couche, mais l’agneau ne dormira pas beaucoup.»
– Woody Allen
Dans la section «jeunes investisseurs» du site Internet de la maison de courtage new-yorkaise Salomon Smith Barney, on est accueilli par une sympathique automobile rose. Des petits bonshommes sourire nous invitent à «prendre le contrôle» et à «être autodidacte»; pour changer de page, on doit cliquer sur une paire de souliers de course blancs.
Derrière cette interface ludique se cache une initiation à la spéculation boursière, un jeu autrement plus excitant qu’une partie de hockey-cosom, et qui permettra à l’enfant de «contrôler son futur et d’atteindre ses objectifs dans la vie». Public visé: jeune. Très jeune.
Kumbaya
En fait, n’importe quel enfant capable de naviguer sur Internet est à même d’ouvrir, en quelques minutes, un compte virtuel chez Salomon Smith Barney. Grâce à ce programme de simulation boursière, il pourra s’exercer à acheter et à vendre des actions, à suivre les fluctuations quotidiennes de son «portefeuille», et à faire blanchir les cheveux de papa si ses titres ne se comportaient pas comme prévu.
Au-delà d’Internet, la compagnie est également très active dans le monde scolaire. En février dernier, vingt-deux élèves de deuxième secondaire de l’Aptos Junior High School, en Californie, ont été récompensés pour le bon rendement de leur portefeuille virtuel d’actions. Ils ont chacun reçu en cadeau une action – bien réelle, celle-là – de Citigroup, le groupe financier qui détient Salomon Smith Barney.
Autre groupe cible: les scouts! Les 20 et 21 juillet dernier, un groupe de vingt-deux jeunes filles scout âgées de onze à quinze ans ont participé au Girl Scout Financial Camp de Salomon Smith Barney, à Waltham, au Massachusetts. «Les filles ont pu se familiariser avec les investissements et ont participé à un concours d’achat d’actions, relatent les documents de Salomon Smith Barney. De plus, elle ont visité nos bureaux, et rencontré nos cadres féminins. Enfin, elle ont passé une journée avec nous à la Bourse de Boston.» Devant le succès de l’opération, Salomon Smith Barney répétera l’expérience l’an prochain, en accueillant cette fois des scouts des quatre coins des États-Unis. On est loin des chansons autour du feu de camp.
Patte blanche
Chez Salomon Smith Barney, on dit n’avoir jamais pensé faire un coup de marketing en approchant les enfants. «Pour nous, ce n’est pas une façon de recruter de nouveaux clients, assure Naomi Sachwashvili, responsable des communications. Comment pourrait-il en être autrement? La loi interdit à une personne de moins de dix-huit ans d’acheter des actions sans l’approbation des parents. Notre objectif est d’éduquer les jeunes, de les familiariser avec les marchés financiers pour qu’ils sachent se débrouiller quand ils auront à acheter des actions.» Et quand ils atteignent dix-huit ans? «Alors ils peuvent ouvrir un compte chez nous.» Ben tiens.
Pourquoi pas un programme d’initiation au casino financé par la chambre de commerce de Las Vegas? On pourrait montrer aux jeunes à jouer au black-jack et au poker, à calculer les risques, etc. À l’âge adulte, cela ferait d’eux des joueurs beaucoup plus avertis! «Je comprends votre raisonnement, mais je tiens à vous dire que nous faisons aussi la promotion des investissements sécuritaires, comme les fond mutuels. Nous sensibilisons aussi les enfants aux risques de la Bourse.»
Au premier abord, pourtant, la publicité de Salomon Smith Barney se garde bien de brosser un portrait historique du crash de 1929. «Imagine être capable de sauver assez d’argent pour acheter ta première voiture, un nouveau vélo, ou même faire assez d’argent pour payer tes études!» lit-on sur le site. Comme cours d’histoire, on a vu mieux…
Autre programme de simulation boursière, le Stock Market Game est, comme son nom l’indique, un «jeu» qui a pour but d’inculquer aux enfants le b-a ba de la spéculation. Parrainé par l’Association des professionnels de la Bourse, le «jeu» consiste à donner cent mille dollars virtuels à chaque enfant, qui les investit dans les actions de Wall Street et de l’American Stock Exchange. Les enfants peuvent y participer dès la quatrième année, c’est-à-dire à neuf ans. À cet âge, soutiennent les concepteurs du «jeu», l’enfant peut déjà «commencer à voir l’impact qu’ont les différents événements mondiaux sur ses investissements, et réajuster son tir en conséquence»!
Et ça porte fruit. Au début de 1998, 7 % des adolescents américains de douze à diz-sept ans détenaient des actions. En 1999, ils sont maintenant 11 % se rendre aux toilettes avec la section Économie du journal sous le bras. Rien que chez Salomon Smith Barney, le nombre de comptes ouverts par des parents pour leurs enfants a connu une augmentation de 22 % depuis 1997.
Au Québec, ce genre de «sensibilisation» ne semble pas avoir cours. Hélène Cossette, directrice des communications chez Disnat, s’étonne même de son existence. «Nous avons bel et bien des programmes d’information et d’éducation, mais ils visent les étudiants du niveau collégial et universitaire. Mais de là à approcher des enfants, c’est une autre histoire. C’est une façon de faire qui pose certains problèmes éthiques», croit-elle.
Des futurs Claude Picher
Si Salomon Smith Barney se fait discret sur ses visées mercantiles, le Wall Street Journal, lui, ne cherche pas à cacher son jeu: les jeunes constituent un public de choix.
Et pour faire de l’oeil aux ados, le Wall Street Journal ne placarde pas des affiches cool sur les murs des toilettes, sur les autobus, ou encore dans le métro. Il va directement les rejoindre dans un endroit privilégié et traditionnellement inaccessible: les salles de classe.
Le réputé journal d’affaires est en effet doté d’une édition spéciale destinée aux élèves du niveau secondaire. Publiée une fois par mois, l’édition scolaire du Wall Street Journal est lue à l’école par plus de 600 000 élèves à travers les États-Unis, ce qui ne manque évidemment pas d’attirer les annonceurs potentiels.
«D’ordinaire sceptiques à propos de ce qu’on leur apprend, les adolescents manifestent une confiance exceptionnelle à propos de ce qu’ils voient dans l’édition scolaire du Wall Street Journal», soutiennent les documents de promotion du journal destinés à «vendre» l’audience aux annonceurs. «Peu importe votre budget ou vos objectifs, annoncer dans un média qui dispose d’une telle influence va bien au-delà d’un simple placement publicitaire. C’est un investissement dans ce qui compte vraiment: le futur. C’est la meilleure façon de véhiculer votre message.»
Le Wall Street Journal offre aussi à ses annonceurs la possibilité de se positionner sur le «colorful Classroom Edition wall poster», une affiche qui sera placée bien en vue dans tous les locaux où l’on enseigne l’économie.
Ironiquement, le troisième plus gros annonceur de l’édition scolaire du Wall Street Journal est Citigroup, propriétaire de Salomon Smith Barney.
Go West, young man.
The Wall Street Journal Classroom Edition :
http://webserve.dowjones.com/classroom/wsjce.html
The Stock Market Game :
http://www.smg2000.com
The Smith Barney Young Investors Network :
http://www.smithbarney.com/yin