Société

Ondes de choc : Enlevez l’étiquette

«Les hommes aux hommes, les femmes aux femmes, les hommes aux deux, les femmes aux trois, quand j’dirai Go, mélangez-vous et puis swingnez votre compagnie!»
– Jean-Pierre Ferland, Swingnez votre compagnie

Que diriez-vous si un jour, un de vos confrères de travail (hétérosexuel et père de nombreux enfants) décidait de se pointer au boulot habillé en femme? Éclateriez-vous de rire, demanderiez-vous un transfert, l’inviteriez-vous à souper?

Allez, répondez franchement, n’essayez pas de paraître plus cool et plus ouvert que vous ne l’êtes…

Si je pose cette question, c’est que nous vous présentons cette semaine un dossier sur l’identité sexuelle, dans la foulée du livre de Michel Dorais, Éloge de la diversité sexuelle, paru chez vlb éditeur.

Prof à la faculté des sciences sociales de l’Université Laval, Dorais s’intéresse à tout ce qui touche à la sexualité – plus particulièrement, les relations entre la sexualité et l’identité sexuelle. Selon lui, notre vision de l’identité sexuelle est archaïque, dépassée. Il faut arrêter de mettre les gens dans de petites cases: hétérosexuel, homosexuel… La réalité est beaucoup plus éclatée qu’on ne le croit. Il y a des gais machos, des hétéros efféminés, des travestis qui couchent avec des femmes, des bisexuels, des hétérosexuelles qui ressemblent à des hommes, des transsexuels, des androgynes, des hermaphrodites… Il n’y a pas LA FEMME d’un côté et L’HOMME de l’autre, mais des individus, chacun avec son identité, sa sexualité, ses fantasmes…

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Pour Michel Dorais, l’avenir est au flou, au mélange. Il faut en finir avec l’intégrisme identitaire, et apprendre à accepter – mieux, à célébrer! – la diversité. Comme disent les Anglais: «Different Strokes for Different Folks.» Selon Dorais, ce n’est pas parce qu’un homme porte une robe qu’il est nécessairement gai. On ne peut pas juger les gens selon une grille d’analyse précise, il faut y aller au cas par cas…

En fait, Dorais – et tous les adeptes de la pensée Queer – ne font que planter un clou de plus dans le cercueil (déjà passablement clouté) de l’identité.

Car s’il est une notion qui a été fustigée au cours des dernières années, c’est bien celle d’identité.

Identité raciale, tout d’abord. Aux États-Unis, de plus en plus de gens contestent la notion de race. Lorsqu’ils remplissent un formulaire du gouvernement, ils ne savent pas quoi répondre lorsque vient le temps de définir leur appartenance raciale. Ils ne se sentent ni noirs, ni amérindiens, ni blancs… Pour eux, les étiquettes raciales sont obsolètes. Le golfeur Tiger Woods, par exemple, a du sang thaïlandais, amérindien, chinois et noir. Quelle case peut-il cocher?

Identité nationale, ensuite. Comme l’écrit Amin Maalouf dans son superbe essai, Les Identités meurtrières (Grasset): «Mon identité, c’est ce qui fait que je ne suis identique à aucune autre personne. (…) L’identité n’est pas donnée une fois pour toutes, elle se construit et se transforme tout au long de l’existence.» Il n’y a pas LES Serbes, LES Français, LES Québécois, mais des individus qui s’adonnent à vivre en Serbie, en France, au Québec…

Dernière étape dans l’effritement de l’identité: en finir avec l’identité sexuelle. Faire exploser les genres, les catégories. «Sortir de la logique binaire hommes/femmes, masculin/féminin, hétéros/homos; mettre fin au régime d’apartheid sexuel dans lequel nous vivons», comme l’affirme Dorais.

Beau programme. Le hic, c’est que c’est beaucoup plus facile à dire qu’à faire. La sexualité appartient au domaine de l’intime. Remettre en question la notion même d’identité sexuelle, ce n’est pas seulement s’en prendre à l’existence des drapeaux et des passeports: c’est faire littéralement exploser les assises de notre société. Questionner – à la base, en leur cour, et pas juste en surface – les notions de famille, de couple, de sexualité…

Comme l’écrit lucidement Dorais en conclusion de son important ouvrage: «La logique binaire du fondamentalisme identitaire conditionne à ce point notre représentation de nous-mêrmes et des autres qu’il faudra sans doute plusieurs générations avant d’en arriver à penser et à vivre autrement.»

Cela dit, malgré les difficultés, ce combat mérite tout de même d’être livré. Car comme l’écrit Maalouf dans l’essai précité: «C’est notre regard qui enferme souvent les autres dans leurs plus étroites appartenances, et c’est notre regard aussi qui peut les libérer.»

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Un petit mot pour vous dire qu’à partir de cette semaine, un nouveau collaborateur s’ajoute à notre équipe: l’illustrateur Mathieu Bélanger, qui a fait ses armes au Montréal Campus et qui a un coup de crayon redoutable.