Perception directe des loyers : Une classe appart
Société

Perception directe des loyers : Une classe appart

Le ministre de la Solidarité sociale, ANDRÉ BOISCLAIR, vient de repousser du revers de la main la mesure législative qui aurait permis le versement d’une partie des prestations d’aide sociale pour non-paiement de loyer directement aux propriétaires. Les propriétaires ne la trouvent pas drôle et menacent les assistés qui, à leur tour, se réjouissent un peu moins, craignant de faire les frais de la colère des proprios. Et rien ne permet d’envisager un règlement rapide du conflit puisque le ministre ne se fixe aucune échéance.

«Il y en a une maudite pénalité, c’est l’éviction». Visiblement agacé, le ministre Boisclair n’y est pas allé par quatre chemins pour exprimer le fond de sa pensée. La patate chaude que lui avait léguée sa «prédécesseure», Louise Harel, ne l’intéressait pas et les propriétaires de logements disposent déjà de recours. C’est pourquoi, moins d’un mois avant son entrée en vigueur, alors que tous s’y préparaient, il sursoit à l’application de la mesure qu’on avait mis plus de quatre ans à établir. «Il n’est pas anormal que le gouvernement change d’idée», lance-t-il, irrité.

Loin de lui l’idée de nier le problème, assure-t-il néanmoins. Mais M. Boisclair certifie que «de l’avis de tout le monde, ce n’était pas une mesure viable». Il rappelle que la Commission des droits de la personne et de la jeunesse s’était questionnée sur la pertinence de ne viser que les assistés sociaux alors que des salariés sont également en défaut. «En quoi est-il légitime de ne viser qu’une catégorie de citoyens?»

Toutefois, pour M. Boisclair, l’élément déclencheur qui l’a mené à disposer promptement de l’article de loi est un avis de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ), qui jugeait sa mise en pratique «théorique». «L’immobilier, c’est un business comme les autres», fait-il valoir, comme pour enfoncer un peu plus le clou du cercueil.

Ha! Ha! Ha!
«Ha! Ha! Ha! Pauvre M. Boisclair!» La réaction du directeur général de la CORPIQ, Michel Riverain, est sans équivoque. Il se demande comment le ministre a pu déduire que son organisme ne croyait pas au bien-fondé de la mesure. Ce que la CORPIQ contestait, ce n’était pas la loi, mais la méthode de calcul des montants à verser aux propriétaires. Évidemment, ils voulaient plus d’argent. Mais ils étaient prêts à se contenter d’une fraction des loyers à échoir et de la perte de ceux échus plutôt que de devoir systématiquement évincer les locataires, précise M. Riverain.

Que comptent faire les propriétaires maintenant? Suivre le mot d’ordre de M. Boisclair et entamer les procédures d’éviction pour tous les assistés sociaux qui doivent de l’argent. «Tolérance zéro.» C’est, du moins, ce que la CORPIQ va recommander à ses membres au cours de la tournée provinciale qui s’amorcera sous peu. «Il va y avoir un durcissement, menace M. Riverain. Si M. Boisclair veut créer une nouvelle classe d’itinérants…»

Point de vue similaire à l’Association des propriétaires du Québec (APQ). «Nous sommes très déçus de constater le manque de volonté d’agir dont fait preuve le gouvernement, s’indigne le président, Martin A. Messier. On va devoir prendre nous-mêmes des mesures.»

Bien que M. Messier doute que l’éviction soit une solution durable au problème soulevé, il se demande quelles sont les autres possibilités. Il souligne que l’on évalue à seulement 5 % le nombre d’assistés sociaux «abuseurs» qui profitent de l’insaisissabilité des prestations. La disposition, dont l’entrée en vigueur était prévue pour le début octobre, était, selon lui, un compromis acceptable qui aurait permis de freiner le phénomène. «M. Boisclair lance un message d’impunité.»

MM. Messier et Riverain font également remarquer que 80 % des propriétaires de logements en location au Québec possèdent moins de 20 unités. Des démarches d’éviction seraient donc lourdes de conséquences pécuniaires.

Sursaut
Il n’en fallait pas plus pour faire sursauter les assistés sociaux. «C’est une réaction très émotive… Ce n’est pas en montant le ton et en prenant des mesures répressives qu’on va trouver une solution», exhorte le porte-parole du Front commun des personnes assistées sociales du Québec (FCPASQ), Jean-Yves Desgagnés. Bien entendu, il redoute une confrontation et espère que les menaces ne seront pas exécutées.

Afin d’éviter l’affrontement, M. Desgagnés recommande la création d’un comité d’étude qui pourra dresser un portrait réel de la situation. Qui sont les mauvais payeurs et pourquoi ne peuvent-ils pas s’acquitter de leurs obligations? L’une des pistes de solution serait l’augmentation des prestations financée par les surplus budgétaires gouvernementaux. Toutefois, mieux vaut oublier cette hypothèse immédiatement, si on en croit M. Boisclair.

«On a l’impression de ne pas faire partie de leur projet de société», proteste M. Desgagnés, indiquant qu’il n’y aura pas de conditions gagnantes sans la participation des plus démunis. Ils envisageraient donc de descendre dans la rue afin de se faire entendre.

À la Commission des droits de la personne, on serait plutôt favorable à une étude sur le problème. On présume déjà des conclusions qui seraient en faveur d’un accroissement du parc de logements à loyer modique.

Quant à savoir si la mesure que vient d’annuler le ministre Boisclair est discriminatoire… «On n’a pas dit que c’était vraiment discriminatoire», expose l’agent d’information Robert Sylvestre. De plus, la Loi sur le soutien du revenu favorisant l’emploi et la solidarité sociale n’est pas soumise à la Charte québécoise, ce qui permettait donc l’entrée en vigueur de la disposition.

Qu’en est-il maintenant? Retour à la case départ. Les propriétaires ont soumis deux autres demandes au ministre Boisclair: réduire de moitié le délai de 40 jours encouru lors de représentations à la Régie du logement et rendre accessible partout au Québec une liste des personnes contre qui un jugement pour non-paiement de loyer a été rendu. Des propositions qui ne régleront en rien le problème, soulignent les propriétaires, et qui devaient être jointes à la mesure annulée par M. Boisclair. Ce dernier ne veut pas commenter et ne se fixe aucune échéance pour venir à bout des différends entre son gouvernement, les assistés sociaux et les propriétaires de logements.

Projet de règlement sur le soutien du revenu

Au cours de l’année financière 1998-1999, 65 866 audiences ont été tenues, dont environ 25 000 pour des résiliations en matière de non-recouvrement.

Pour un seul adulte, le gouvernement aurait versé directement au propriétaire 48,7 % de la prestation de base ou de la prestation versée, sinon le coût total du loyer.

Pour deux adultes, il aurait s’agi de 40,2 %.

Selon le ministre Boisclair, l’application de la mesure coûterait 600 000 $ par année.

La Régie du logement dispose d’un budget annuel de 12,8 millions $.