Critique de vidéos XXX pour le magazine Érosphères, CHANTAL GIGUÈRE est aussi à l’aise dans un cinéma porno que Daniel Pinard au marché Atwater. Notre journaliste est allé au Cinéma L’Amour en sa compagnie…
Chantal Giguère est au bout du fil. Un peu dérouté, je suggère: «On a le choix entre Baise à Budapest, Fever, Bad to the Bone et L’Infirmière sans culotte. Lequel on voit?» Le lieu de rencontre est le Cinéma L’Amour. Je la laisse choisir le titre qui la titille le plus. Elle opte pour L’Infirmière sans culotte. Je ne rechigne pas. Je n’ai vu aucune des quatre productions, de toute façon.
Étonnamment, c’est la première visite de Chantal Giguère dans l’antre du cinéma trois X. Nous passons tout droit devant le comptoir de kleenex et de hot-dogs pour nous diriger dans la chambre noire. Nos pupilles finiront par entrevoir pas mal de têtes, nous rappelant que la porno est peut-être le secret le mieux partagé par tous. Giguère me souffle à l’oreille être un peu décontenancée par la grosseur du clitoris recouvrant l’écran: «Je croyais que l’écran de mon téléviseur était énorme. Je n’avais visiblement rien vu!»
Son regard ne déroge pas de l’action, qu’elle scrute minutieusement. Très rapidement, elle se fait loquace: «Les acteurs n’ont pas encore gémi et on sait déjà que c’est un film français. Les filles ont des petits seins et ne se rasent pas, ça veut tout dire.» Puis elle pointe l’écran du doigt pour critiquer le mauvais éclairage de la pièce, et poursuit: «Il y a juste une caméra, c’est un peu monocorde, et la musique est trop simpliste. C’est visiblement une production filmée sans grands moyens, comme c’est habituellement le cas en support vidéo.» Bref, ça va très mal pour L’Infirmière sans culotte. Après quinze minutes, on choisit d’aller prendre un café ailleurs.
En sortant, Chantal Giguère donne son verdict: «Selon les critères d’Érosphères, ça ne vaut pas plus qu’un 3,2 sur 5.»
Le sexe des étoiles
Depuis deux ans, Érosphères est la tribune de Chantal Giguère. Le trimestriel «porno québécois pour couples» publie ses critiques de vidéos salés, mais également ses textes sur tous les autres débats explicites: critiques de livres, tours d’horizon des adjuvants sexuels, dossier sur le fétichisme, entrevues avec des stars de la porno et autres artisans de l’industrie… Un emploi à temps plein pour celle qui écoute de la porno comme d’autres répondent au téléphone dans un centre d’appels. Un job, quoi !
On se dit que, pour avoir un tel gagne-pain, il faut aimer beaucoup le sexe. Elle réfute: «Je suis à l’aise avec ma sexualité, j’aime faire l’amour et voir l’amour se faire. Si c’est cela, être une cochonne, alors je revendique ce titre!»
Mais attention, elle le répète souvent: ce n’est pas parce qu’elle passe ses journées à ne penser qu’à cela qu’elle n’a rien dans la tête. «Je suis une spécialiste des rapports de séduction. J’ai travaillé comme shooter girl, réceptionniste dans un salon de bronzage, avant d’être propriétaire d’une agence de rencontre. J’observe les corps festoyer et les jeux de l’amour depuis que je suis toute jeune. Si j’avais été moins gênée, je serais devenue danseuse.»
L’abc du trois X
Après avoir discuté de l’essentiel, parlons maintenant de l’accessoire. Qu’est-ce qui fait un bon film porno? «De beaux acteurs, des décors sophistiqués, une musique originale et des dialogues de plus de trois phrases. Mais en fait, rares sont les films offrant une histoire ficelée: les filles continuent d’ouvrir la bouche et les jambes à tout-venant. Elles le font souvent sans préambule et surtout sans se faire prier trop longtemps. Ce n’est pas crédible.»
Pour le reste, les comptes rendus de Chantal Giguère observent une échelle très stricte: chaque vidéo fait l’objet d’un résumé, d’une appréciation personnelle et d’une note sur cinq (à la décimale près!). Giguère détermine aussi le public susceptible d’apprécier le produit (genre: «film ne mettant en action que des femmes mais s’adressant aux couples» ou «superproduction pour tous, un must pour s’initier à la porno»). Elle précise également qu’elle a banni le bouton fastforward de son magnétoscope et que, contrairement à d’autres critiques, elle ne tient pas compte de l’esthétique de la pochette dans ses évaluations.
Giguère a vu plus de cent cinquante productions l’an dernier et elle affirme qu’elle n’est toujours pas blasée: «Il faut dire que la porno n’est plus ce qu’elle était, les productions offrent aujourd’hui plus de saveur et de couleur qu’autrefois.» Depuis quelques années, la porno s’emploie à redorer son blason. On tourne maintenant des scènes salées sous forme de clips, en engageant des équipes de tournage d’envergure, des stylistes et même des scriptes et des scénaristes. À titre d’exemple, Zazel, une production américaine de Philip Mond, a nécessité un investissement de cinq cent mille dollars (c’est près de quinze fois l’investissement initial de The Blair Witch Project!).
Révolution latex
Giguère s’enthousiasme également quant à «l’extraordinaire vent d’érotisme qui entoure dorénavant le condom». Avec la pandémie du sida, plusieurs acteurs avaient revendiqué et obtenu le port du préservatif à l’écran. Or, dit Giguère, «l’époque où l’on ne voyait le condom que lorsqu’il recouvrait le pénis tire à sa fin. On montre maintenant les acteurs en train de l’enfiler et le rendre aguichant. C’est formidable.»
Certes, l’industrie du film Bleu nuit n’est pas toute rose. Aussi, Giguère déplore-t-elle le clonage et la siliconisation de presque toutes les stars américaines. Mais ce qui l’attriste le plus, c’est que les producteurs soient toujours aussi timides lorsque vient le temps d’employer des femmes ailleurs que devant la caméra: «Tourner un film porno, c’est encore un trip de gars. Souvent, il y a une absence de professionnalisme flagrante, un peu comme une bande d’enfants se retrouvant pour la première fois sur un terrain de jeux. Ce qu’il manque à plusieurs productions, c’est une certaine sensibilité, un regard de femme.»
Voilà pourquoi Giguère n’a pas l’intention de tourner le dos à la religion cathodique du trois X. «En tant que femmes, je crois qu’on a une place à prendre.» Et elle fait tout ce qu’elle peut pour occuper la sienne. Giguère vient tout juste de vendre un synopsis à une boîte de production de films pour adultes. Elle est en pourparlers avec d’autres compagnies et n’a pas l’intention de cesser de prêter sa plume à Érosphères. Elle rêve enfin d’avoir sa chronique dans un journal, et des capsules d’information à la télé. «Rien ne m’arrêtera», conclut-elle.
Rien? Un jour, un prétendant s’est esquivé dès le premier souper en apprenant le boulot qu’elle pratiquait. Il semble que l’aspirant ait eu peur de se retrouver au lit sans érection… «C’est lui qui a manqué quelque chose. Je suis bien avec ce que je fais et j’ai le sentiment que je le fais pour les bonnes raisons. Ces explications devraient suffire à quiconque.»
Le Top 10 de Chantal
Wet
Réal.: Andrew Blake
Sensuel, excellent initiateur à la porno.
Red Vib Diaries
Réal.: D. James Avalon
Raconte une histoire. Les deux épisodes sont excellents.
Forever Night
Réal.: Michael Ninn
Gothique, un peu hard mais présentation superbe.
New Wave Hookers 5
Réal.: Michael Ninn
Assez cochon, costumes et décors magnifiques.
Café Flesh 2
Réal.: Antonio Passolini
Bizarre et assez déluré.
Buda
Réal.: John Stagliano
Images d’un cameraman voyeur dans des lieux illicites. Rafraîchissant.
Exile
Réal.: Brad Armstrong
Hard.
Diva 1 (Caught in the Act)
Réal.: Michael Ninn
Des femmes, que des femmes et encore des femmes.
Mémoires d’un pervers 2
Réal.: Nicky Ranieri
La porno hard vue par les Français.
Sexe Bazar 2
Réal.: Marc Henderix
Pas terrible. Pour les curieux souhaitant examiner ce qui se fait au Québec.