Société

La semaine des 4 jeudis : La vie d’artiste

Monsieur X est un artiste qui connaît une belle carrière au Québec depuis un bon bout de temps. Parti de rien, sorti des campagnes, il a galéré dans les bars, les cafés et les petites salles avant de connaître subitement un énorme succès populaire. La gloire ne l’a pas changé. Sa tenue négligée, sa dégaine de prolétaire et son sourire enfantin sont devenus une espèce de marque de commerce. Monsieur X ressemble au grand frère qu’on voudrait tous avoir. En vieillissant, il a bien pris un peu de coffre, mais les femmes le trouvent encore beau.

Lorsqu’il n’a rien à faire, comme tous les artistes, monsieur X s’ennuie. Alors, il s’en va s’asseoir sur une terrasse de la main de son quartier chic, faire semblant de lire Voir, au cas où on parlerait de lui. Parfois seul, parfois avec sa compagne, éblouissante, il s’installe donc bien en vue et, avec la gueule du type revenu de tout, il se laisse contempler par les badauds, admiratifs. L’un d’eux, mine de rien, s’approche pour lui adresser la parole? Il le regarde en biais d’un air méprisant et, si l’autre insiste, il lui fait sentir toute sa médiocrité d’homme ordinaire en lui lançant un: «Écoute, chuis occupé, là» ou un «On peut-tu déjeuner en paix?» Le fan s’en va, déçu, triste et penaud d’avoir dérangé le sympathique artiste en se demandant ce qu’il a bien pu faire de mal. Il ne peut pas soupçonner que mépriser l’homme ordinaire fait partie des raisons pour lesquelles monsieur X apprécie tant son métier… Il adore attirer les mouches pour mieux leur écraser la gueule contre son ego.

Pour veiller sur sa carrière, monsieur X a un agent et deux gérants qui, s’ils admirent l’artiste, détestent secrètement l’homme caché derrière. L’agent de monsieux X l’a baptisé «le gros détestable». Son gérant le surnomme simplement «l’air bête». Comme la plupart de ceux qui le côtoient de près, ils sont payés pour se taire et cacher ses frasques. Comme la fois où il a pissé dans le pot à eau mis à la disposition des artistes en coulisse, dans le noir.
Même s’ils ne veulent surtout pas dire du mal d’un collègue, les artistes qui le connaissent le traitent affectueusement de mange-marde. Lui ne se gêne pas. On l’a surpris à plusieurs reprises à maudire ses collègues en privé: «La salope, je la déteste. J’espère qu’elle va se casser la gueule», beuglait X dans un centre commercial à propos de Lara Fabian.

Personnellement, après avoir eu affaire à lui à quelques reprises, je l’ai baptisé «le roi des faux-culs». Il vaut mieux ne pas l’appeler avant dix heures ou après dix-huit heures car son état pourrait le pousser à commettre quelques excès verbaux regrettables.

Du genre des abus de langage lancés indifféremment aux techniciens, au personnel de coulisse, aux organisateurs de concerts-événements qui ont appris à accepter ses retards lorsqu’il y avait de la chair fraîche dans les cégeps des environs.

La «fly» remontée, une fois sur scène, X se donne à fond. Toutes les injustices et tous les chagrins du monde résonnent dans sa gorge meurtrie.

Au moment du rappel, X prend la mine ravie de celui qui s’étonne de tout cet amour que lui donne son public. Il baigne ensuite dans les applaudissements qui le font suer d’orgueil. Ceux qui le connaissent bien ont alors l’impression horrible d’entendre le monstre marmonner entre ses dents blanches: «Envoyez, mes crisses de poissons, plus, plus, aimez-moi encore plus. Pis achetez-en, des tickets.»

Il n’y a que la foule qui soit assez grande pour lui. Le voir ainsi en gros plan à la télévision, capable à la fois d’aimer une masse d’anonymes et de mépriser chacun des êtres qui la composent, crée chez moi un malaise à la limite du supportable. Comme si je regardais un dément s’automutiler.

Cette année, monsieur X va sortir un nouveau «produit» qu’il va promener dans les radios, les journaux et les télés qui vont tous se battre pour l’avoir en premier. De mauvais gré, il va encore devoir faire des pirouettes savantes. Raconter des anecdotes cochonnes, ressortir ses photos d’enfance, faire l’assistant d’un magicien, montrer son vieux chien aveugle, épouser la cause des incontinents anonymes et répondre à toutes ces questions connes, histoire d’«enboutter» tous les p’tits monsieurs et, surtout, toutes les p’tites madames qui l’aiment tellement qu’ils vont s’empresser d’acheter sans l’écouter son album plein de chansons sur la tendresse, l’amitié et le bonheur d’aimer le Québec, sa mère, sa femme et les baleines gaies dont il se crisse comme de son premier quarante-cinq tours.

Monsieur X vend tout autant son ouvre que son image publique. Selon l’avocat de Linda Malo et de Pierre Curzi, président de l’UDA, l’image est le seul et unique capital des artistes. Un bien dont ils possèdent le droit de gérer en propre, comme ils le veulent.
Il s’agit d’un commerce dans lequel aucune loi n’interdit de faire de la fausse représentation. De mentir, de manipuler, de tricher et de nous faire allègrement confondre image et réalité par tant de confidences et d’aveux secrets; dans tous les talk shows de la terre.

Cette année, monsieur X ne figure pas aux côtés des Bruno Pelletier, Shania Twain et Andrée Lachapelle au joli palmarès des personnalités préférées des Québécois et Québécoises. Évidemment!

Car toute ressemblance avec des personnages réels ou ayant existé ne serait que pure coïncidence.