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Môman Dion : Pari pâté
Nathalie Collard
On se demande souvent si la télé québécoise est influencée par la télé américaine, et si les nouvelles tendances observées chez nos voisins du sud risquent de contaminer nos beaux contenus nationaux développés à coups de subventions gouvernementales. Oubliez ça. Pendant que les Américains se pâment sur des émissions destinées à des publics adultes (The Sopranos, Sex in the City, Action), que des whiz kids concoctent le South Park de demain dans leur sous-sol, et que l’on développe des émissions hyper-spécialisées qui seront regardées par de minuscules auditoires fragmentés via Internet, le public québécois, lui, continue de vivre dans une bulle plus hermétique qu’un Ziploc pour congélateur. Si ça continue, notre emblème national ne sera plus la fleur de lys mais la statue de sel.
La preuve? Si l’on en croit la plupart des critiques de télé et les observateurs de tout acabit, la sensation de la rentrée, celle qui nous fera entrer de plain-pied dans le XXIe siècle, se nomme Thérèse Tanguay-Dion, Môman Dion pour les intimes (c’est-à-dire à peu près sept millions de personnes), une femme dont la principale caractéristique est d’être la mère d’une vedette internationale. Quelle autre raison pourrait expliquer le fait que cette femme hérite d’une émission de cuisine? «Elle a de l’expérience: elle a cuisiné pour ses quatorze enfants.» Ben oui, pis après! Interviewez n’importe quelle femme de cette génération, elles vous diront toutes à quel point elles ont dû se creuser les méninges pendant des années pour nourrir une tablée d’enfants affamés qui, jour après jour, leur demandaient: «Qu’est-ce qu’on mange ce soir?»
«Môman Dion crève l’écran, même les techniciens qui travaillent sur l’émission n’en reviennent pas», lit-on. C’est certain qu’après le vide intersidéral des échanges entre Taillefer mère et fille (l’émission logée à la même heure, l’an dernier), la conversation de cette septuagénaire frôle le génie. Des phrases comme: «Passe-moi le plat de coconut rapé» ou «Ceuline a toujours beaucoup aimé le tapioca» vont-elles passer à l’histoire pour autant? À écouter les critiques, Martha Stewart n’a qu’à bien se tenir.
«On aurait dû placer son émission en heure de grande écoute» a même osé écrire (à la blague, je l’espère) un chroniqueur télé de Québec. Pourquoi ne pas lui confier la lecture du bulletin de nouvelles, tant qu’à y être? J’imagine déjà le décor: môman Dion assise sur une chaise berçante, crochetant la layette du futur rejeton de Ceuline et Reuné, et nous expliquant que loin, loin d’ici (en Turquie, mettons), la terre a tremblé, et que «toutes les maisons y sont tombées par terre».
Un peu partout dans les magazines, on peut lire que le XXIe siècle sera celui des femmes. Eh bien, on dirait qu’à la télé québécoise, les femmes, c’est encore dans la cuisine qu’on les aime le mieux. Pas menaçantes, drapées dans un tablier plutôt que dans leur fierté, exposant leurs connaissances culinaires et domestiques, rassurantes, maternelles.
Les sondages d’écoute Nielsen viendront confirmer si la population se reconnaît dans ce stéréotype. Môman Dion défoncera-t-elle des records de cotes d’écoute? Si oui, je n’ai même pas le goût d’analyser la signification de cette popularité. Trop déprimant.
Action
Nouvelle série qui a fait ses débuts sur Fox (et Global), la semaine dernière, Action brosse un portrait décapant d’Hollywood. Le thème n’est pas nouveau (qu’on pense à The Player), et le concepteur n’en est pas à sa première parodie puisqu’il a déjà signé l’excellent Larry Sanders Show. Or, voilà qu’Action manque singulièrement de subtilité. Du moins, si l’on se fie aux deux premiers épisodes. Le personnage principal (interprété avec beaucoup de chien par Jay Mohr) est un être immonde. Tellement qu’on se demande comment on fera pour le supporter toute la saison. Les les métaphores et les clins d’oeil sont un peu gros: le producteur qui engage la première call-girl venue pour lui confier la lecture des scénarios parce qu’il a confiance en son jugement en est un exemple criant. Les blagues sur le fait que tous les scénaristes sont juifs, ou encore les allusions à la taille du pénis des plus grands patrons d’Hollywood sentent le réchauffé. Quant au nombre de bips-bips à la demi-heure (utilisés pour masquer les nombreux «fuck» mitraillés par le personnage principal), ils ne réussissent pas à masquer le vide de cette série qui ne dit pas grand-chose, sinon que le cynisme vient d’atteindre un sommet inégalé à la télévision. Ma foi, va-t-on se mettre à regretter Laura Ingalls et sa Petite Maison dans la prairie? On le saura assez vite en regardant le prochain épisode d’Action (dimanche, à 21 h 30, à Global).
Zapping
* Aux États-Unis, les groupes de défense des minorités culturelles voient… blanc, surtout quand ils regardent la télé. Ils reprochent aux grands réseaux de présenter des séries (entre autres Friends et The West Wing) où les personnages ethniques sont absents. Un de ces groupes, le NAACP, a même menacé de boycotter la télé durant la saison des sondages, en novembre prochain. Il n’en fallait pas plus pour faire réagir les patrons de télé qui ont procédé à quelques réajustements au sein de certaines séries comme Wasteland, destinée au public adolescent. Ont-ils le choix? Avec une population hispanophone de plus en plus importante, la télé doit s’ajuster si elle ne veut pas perdre une part importante de son public. En effet, les hispanophones sont accros aux telenovelas, ces dramatiques à mi-chemin entre le soap et le téléroman, et qui ont lancé des carrières comme celle de Salma Hayek et de Ricky Martin. Si vous ne savez pas de quoi il est question, jetez un coup d’oeil à Destinos (lundi et mardi matin, à 9 h), à Télé-Québec. Ce cours d’introduction à l’espagnol est un grand succès auprès des maniaques de telenovelas aux États-Unis. Comment dit-on «patate de sofa» en espagnol?
* Cent jours séparent le 23 septembre de l’an 2000. Pour souligner cette date, RDI présente un reportage sur toutes les prédictions farfelues émises à propos du XXe siècle. Du genre: la télé n’intéressera pas les gens très longtemps (ça rappelle certaines déclarations faites à propos de l’avenir d’Internet). Aux Grands Reportages, jeudi 23 septembre, à 20 h. RDI.