Timor-Oriental : Le choix des armes
Société

Timor-Oriental : Le choix des armes

Après des années de génocide, l’Australie, les États-Unis, le Canada, la Grande-Bretagne et la France volent enfin au secours du Timor-Oriental. Mais qui a vendu des armes aux responsables de ce massacre? Ces mêmes pays. Belle façon de faire rouler l’économie…

On entend beaucoup parler du Timor-Oriental, ces jours-ci. Pourtant, les tumultes qui secouent cette région ne sont pas récents.

Ça fait plus de vingt ans que la marmite est-timorienne se remplit de dizaines de milliers de cadavres sans que l’Occident ne bouge le petit doigt. Saddam Hussein n’avait pas atteint le dixième du lourd bilan des crimes commis par l’armée indonésienne que les États-Unis prenaient les armes et lançaient leurs porte-avions et autres tomahawks à l’assaut du Moyen-Orient. C’est bien connu, un baril de pétrole importe plus qu’un cadavre du Timor-Oriental pour l’Occident. Le pétrole nous sert pour nos déplacements, alors qu’un Timorien, ça sert à quoi au juste? Qu’il crève ou qu’il survive, ça ne changera rien à ma vie…

Silence, on tue
Les médias sont demeurés pratiquement muets pendant une vingtaine d’années. Pourtant, le génocide vécu dans cette île de l’archipel indonésien est comparable à celui qui frappa le Cambodge. Au Timor-Oriental, on se bat depuis 1976 contre une armée indonésienne dont le fusil automatique est le seul argument visant à garder la province dans la fédération.

Quiconque suit le moindrement l’actualité sait aujourd’hui que le Timor-Oriental était un territoire portugais avant d’être annexé en 1976, par le biais d’une occupation militaire. Toute l’économie de l’île a été transformée par cette occupation. Ainsi, les militaires sont devenus des propriétaires terriens importants et ont écarté les Timoriens de tout travail au profit d’une main d’ouvre importée de Jakarta et en accord avec l’occupation militaire de l’île.

Plus de 200 000 personnes ont été liquidées par les militaires qui assurent au pays la mainmise sur ce gros morceau.

John Stackhouse, journaliste à la CBC, s’y est rendu clandestinement en 1996 et il raconte que les atrocités commises n’ont rien à envier aux régimes hitlérien ou stalinien. Les femmes qui se rendaient dans des cliniques postnatales se faisaient stériliser pendant qu’au cimetière de Dili, des militaires surveillaient les allées et venues des proches se recueillant sur les tombes de leurs parents «subversifs» liquidés.

Suivez les armes
Au Timor-Oriental, les militaires n’hésitent pas à tirer sur les civils. Mais d’où proviennent les armes qu’utilise l’armée indonésienne? Il appert que le trafic des armes est l’affaire des pays occidentaux.

Ainsi, les pays qui composent la force internationale (Australie, États-Unis, Canada, Grande-Bretagne, France) déployée cette semaine et visant à aider le Timor-Oriental à jouir de son indépendance, acquise par référendum le mois dernier, sont exactement les mêmes qui vendent les armes aux militaires indonésiens responsables du carnage depuis plus de vingt ans. «Je vous vends des hélicoptères mais je ne veux surtout pas savoir quel usage vous en faites. Moi, je signe les contrats et je fais rouler l’économie, c’est tout ce qui m’intéresse. Le reste, on verra plus tard.»

Comme l’a dit notre homme Jean Chrétien: «L’isolement est selon moi le pire des remèdes pour guérir les problèmes relatifs aux droits de l’homme.» C’est avec un raisonnement comme celui-là que notre gouvernement revenait satisfait de Jakarta en 1996, avec 2,76 milliards de dollars de contrats en poche, dont une bonne partie relative à de l’équipement logistique pour l’armée.

Pour sa part, un diplomate membre de la même mission commerciale déclarait que le Canada et l’Indonésie jouissaient d’une «wonderful bilateral relationship». Il faisait sans doute allusion au fait que le Canada vendait du matériel offensif à l’Indonésie et que l’Indonésie s’en servait pour mater des fous dans une lointaine province orientale. Le progrès, quoi!

(Soit dit en passant, Jean Chrétien et Lloyd Axworthy, lorsqu’ils étaient membres de l’opposition en 1991, écrivaient des lettres pour que le gouvernement Mulroney cesse tout commerce avec l’Indonésie. Suite à un massacre particulièrement violent au Timor en 1991, les relations commerciales entre les deux pays stoppèrent effectivement. Pour reprendre quelques années plus tard lorsque Chrétien et Axworthy prirent la barre du pays.)

À travers toute cette partie de cache-cache, ne pourrait-on pas nous expliquer clairement que l’armement fait rouler l’économie? On leur vend des armes, et ensuite on déploie une force internationale qui, à son tour, va utiliser des armes.

C’est un coup double!
Il est peut-être difficile de reconnaître une injustice lorsqu’on sait qu’on a fourni des moyens pour qu’elle s’accomplisse. Ce qu’il faut espérer, c’est que l’on puisse apprendre de nos erreurs et que les êtres humains qui souffrent le martyre d’un génocide obtiennent une aide plus rapide, fondée sur la fin et non les moyens. On ne peut fêter le cinquantième anniversaire de la déclaration universelle de droits de l’homme si de tels conflits perdurent.