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Vision : Jacques Lacoursière raconte Duplessis
Alexandre Vigneault
Historien réputé, JACQUES LACOURSIÈRE est l’auteur d’Histoire populaire du Québec (Éd. Septentrion) et de la série documentaire Épopée en Amérique. L’été dernier, il a agi à titre de porte-parole de l’événement Duplessis: ombre et lumière tenu à Trois-Rivières.
À l’occasion du 40e anniversaire du décès de Maurice Duplessis, on a beaucoup mis en question le régime du «cheuf» et son héritage. L’événement fut couru, mais vivement critiqué. Ses détracteurs ont parlé de révisionnisme, un terme qui, selon vous, ne convient pas…
«Je suis d’accord pour faire de la révision, mais pas de la réhabilitation. Certains ont dit que le but de l’opération Duplessis était de le réhabiliter. Quand j’ai accepté d’être porte-parole, il était très clair que je ne voulais pas le réhabiliter. Je trouvais cependant qu’après quarante ans, il était temps de revoir les jugements que les hommes politiques, les sociologues et les historiens ont porté sur ce régime.»
Avec tout le bien qu’on dit de Duplessis depuis quelques mois, on a pourtant l’impression d’assister à sa réhabilitation… Quelle est la différence entre révisionnisme et réhabilitation?
«Réhabiliter quelqu’un, pour moi, c’est effacer ses fautes, alors que réviser une période ou la vie d’un homme, c’est y jeter un regard nouveau. Il y a des choses inacceptables dans le gouvernement Duplessis: son anti-syndicalisme, son opposition au communisme ou aux Témoins de Jéhovah – qui s’expliquent d’ailleurs par l’époque – et son autoritarisme. Mais il a quand même pris des mesures qui ont été bonnes. Cette révision ne mènera sans doute pas à la réhabilitation de Duplessis, mais plutôt à la séparation de façon précise du négatif et du positif.»
Chaque fois qu’on prononce le nom de Duplessis, on a l’impression de toucher à une corde très sensible…
«Ce qui m’a le plus surpris, c’est justement l’émotivité avec laquelle les gens abordent le sujet. Jacques Miquelon [ancien ministre sous Duplessis] m’a téléphoné récemment pour me remercier de ce que j’ai fait pour les duplessistes. Je n’ai rien fait pour eux, sauf que, en tant qu’historien, je pense qu’il est bon de revoir une période.
D’ailleurs, l’une des conséquences les plus intéressantes de l’événement Duplessis est que des gens ont relevé la tête. Dans les années 1960 ou 1970, dire qu’on avait été dans le gouvernement Duplessis revenait à avouer un péché mortel. Aujourd’hui, ils osent dire qu’ils étaient là et que ce n’était peut-être pas si pire qu’on le croit. Je ne suis pas d’accord qu’ils en soient heureux, mais pour qu’ils soient plus ouverts et qu’ils s’expriment publiquement.»
La honte persiste-t-elle à Trois-Rivières?
«Non… Après 40 ans, les gens commencent à voir de façon plus claire ce qu’a été cette période-là. On va réparer sa stèle funéraire, parce qu’elle était un peu laissée à l’abandon… Si on retourne trente ans en arrière, bien des gens n’oseraient pas dire qu’ils ont travaillé avec Taschereau tellement Duplessis avait noirci cette administration-là. Puisque le gouvernement Lesage a noirci celle de Duplessis, on en a encore des reliquats aujourd’hui. Duplessis a été victime de la stratégie qu’il a adoptée en 1936 et en 1944.»
On parle beaucoup de l’intense activité économique qui régnait à l’époque de Duplessis. Cette activité n’est-elle pas tributaire de la conjoncture plus que d’une volonté politique?
«Qu’on le veuille ou non, c’est le gouvernement qui prend la décision de construire les écoles et les hôpitaux… et le gouvernement est dirigé par Duplessis à ce moment-là.»
N’y a-t-il pas un décalage entre les intentions de Duplessis et les résultats donnés par certains des gestes qu’il a posés?
«Il y a deux façons de faire l’histoire de quelqu’un: tenir compte de ses déclarations ou de ses gestes. Le résultat n’est pas le même…»
Ce qui compte, selon vous, ce sont donc les gestes?
«Ce sont les gestes posés… Par exemple, on s’est rendu compte que l’impôt provincial instauré en 1954 a été bénéfique. Cela n’a pas véritablement pénalisé les Québécois et a permis au Québec d’avoir une économie plus indépendante et des finances plus saines.»
Est-il risqué pour un historien de se faire le porte-parole d’un événement comme celui-là?
«Oui et non. Je n’ai pas fait l’apologie de Duplessis. Par contre, j’ai dit: «Si c’est l’occasion de regarder cette période de façon différente, j’embarque.»
N’avez-vous pas essuyé quelques critiques?
«Oui, car les gens ont confondu «réétudier» avec «réhabiliter». Ce n’est pas moi qui vais sortir Duplessis du purgatoire.»
En lisant tout ce qui s’est écrit au cours de l’été, on en vient à se demander si les Québécois ne se sont pas autant fait berner pendant les quarante années que Duplessis a passées au «purgatoire» que pendant les dix-huit ans où il a été au pouvoir…
«Il y a eu une sorte de gêne. On paraissait arriéré, autoritariste ou ultra-conservateur si on voulait parler de Duplessis ou apporter des nuances. Un historien comme René Durocher, spécialiste de la période de Duplessis, est pourtant très nuancé. Robert Comeau, qui a une grille d’analyse plus marxiste-léniniste, réfère nécessairement à l’anti-syndicalisme et maintient ses jugements. Chaque jugement d’historien doit être mis en rapport avec ses champs d’intérêts…»