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Baisse d’impôts : L’autre point de vue
Le Canada a d’importants surplus d’argent. Que faire avec tout ce fric? La plupart des éditorialistes disent qu’on devrait en profiter pour baisser les impôts. LÉO-PAUL LAUZON, de la Chaire socioéconomique de l’UQAM, trouve que ce serait une très mauvaise décision, qui nous appauvrirait encore plus.
Carle Bernier-Genest
Photo : Jean-François Leblanc/
agence Stock
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Léo-Paul Lauzon, l’économie du Canada se porte bien, même très bien. Y a-t-il lieu de s’en réjouir?
Effectivement, depuis huit ans, au Canada, la richesse nous sort par les oreilles. Les indices boursiers n’arrêtent pas de battre des records et les compagnies accumulent les surplus. Mais cette croissance ne profite qu’aux riches, ça ne nous a rien donné à nous.
L’écart entre les très riches et les très pauvres se creuse, il n’y a plus de répartition de la richesse. Et ça, c’est pourtant le rôle de l’État. Aujourd’hui, les gens travaillent davantage, plus longtemps et pour de plus petits salaires qu’il y a vingt ans. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Statistique Canada. La moitié des contribuables québécois font moins de vingt mille dollars par année! Dans ce contexte, une baisse d’impôts, ça profite à qui?
Les gains en capital, actuellement, ne sont imposés qu’à 75 %; mais mon salaire, lui, il l’est à 100 %. À qui profite cette mesure? Il y a tellement d’abris fiscaux pour ceux qui ont de l’argent. S’ils étaient si imposés, il n’y aurait pas une telle concentration de la richesse. Le président de la Réserve fédérale américaine, Alan Greenspan, dit la même chose que moi: il y a augmentation de la richesse, mais sans partage. Et les impôts existent pour permettre ce partage.
Oui, mais chaque jour, dans les journaux, on nous répète la même chose: qu’il faut baisser les impôts, que le contribuable québécois est surtaxé…
Les demandes de baisse d’impôts, c’est de la propagande du patronat, amplifiée par ses mercenaires que sont les éditorialistes. Tous les jours, dans tous les journaux, ils enfoncent le clou. Mais quand tu regardes les sondages, tu t’aperçois que ce que les gens veulent vraiment, c’est qu’on réinvestisse l’argent dans les services. Une baisse d’impôts n’encouragerait que la spéculation, pas l’économie réelle.
Ceux qui demandent une baisse d’impôts voient bien que sans ces ressources, le gouvernement serait obligé de continuer de se retirer des services publics. Et si ça continue, on viendra au monde dans un hôpital privé, on boira de l’eau de la Générale des Eaux, on conduira sur l’autoroute SNC et on visitera le musée Seagram! Tant qu’à y être, pourquoi pas des parcomètres dans les corridors des hôpitaux?
On revient aux années 40 avec la disparition de la solidarité sociale au profit de la charité privée. Bientôt, on aura un téléthon du pauvre! Aux États-Unis, les riches ont leurs villes privées, leurs hôpitaux privés, leurs écoles privées. Ils ne veulent pas payer pour les problèmes sociaux.
On compare souvent la situation des contribuables québécois avec celle des contribuables américains ou ontariens. C’est sûr qu’ils paient moins d’impôts, mais là-bas, les services publics sont privés. Les gens paient donc pour l’assurance maladie, l’assurance dentaire de leurs enfants, l’accès aux autoroutes et une foule de choses pour lesquelles on ne paie pas ici.
Pour réellement comparer, il faudrait prendre le revenu après impôts, moins les dépenses liées aux services publics non offerts. On découvrirait que notre revenu disponible, au Québec, est bien plus intéressant! En baissant les impôts, il y aurait inévitablement une baisse des services, qu’il faudrait alors payer… Et on deviendrait plus pauvres!
Pour vous, il faut donc profiter de la situation actuelle pour réinvestir dans nos services sociaux…
Oui, et ça urge! Les hôpitaux sont engorgés, les écoles manquent de ressources, la rue est envahie par la pauvreté… Les programmes sociaux ont été saccagés, on voit bien ce que ça donne! Pourtant, les services ne constituent pas une dépense, mais un investissement! Quel avenir avons-nous si la société est malade et sous-scolarisée?
Plutôt qu’une baisse d’impôts, il faudrait revoir tous les abris fiscaux, mettre sur pied un impôt annuel sur la richesse, comme en Europe, et un impôt minimal pour les entreprises, comme aux États-Unis. Je rétablirais aussi la progressivité dans les taux d’imposition. Pas pour taxer indûment, mais pour le faire équitablement.
Il serait bon de baisser la TPS et la TVQ aussi. Jean Chrétien en avait fait une promesse mais, curieusement, il n’en parle plus… Proportionnellement, ces taxes touchent davantage les pauvres que les riches! Quand tu fais vingt mille dollars par année, tu dépenses pratiquement tout ce montant. Quand tu en fais cent mille, une grande partie est placée, donc non taxée.
Avec les surplus budgétaires gouvernementaux, il ne faut pas baisser les impôts. Ce qu’il faut, c’est assurer à tous l’accès aux biens premiers. Déjà, cet accès est limité. Quand tu nais pauvre, ce n’est pas vrai que tu as les mêmes chances que les autres de t’en sortir dans la vie! Et ces biens premiers, ce sont la santé, l’éducation, l’accès au transport en commun et un revenu minimum garanti pour pouvoir te nourrir, te loger et t’habiller convenablement.