

L’affaire Cousteau : Les paparazzi de la faune
Accusés d’avoir harcelé les baleines de Tadoussac, les membres de l’équipe Cousteau n’en sont pas à leur première gaffe. Selon deux biographes, les amis du célèbre capitaine ne reculent devant rien pour faire de belles images. Avec des amis comme ça, les animaux n’ont pas besoin d’ennemis…
François Desmeules
Photo : John Dominis
Depuis qu’il est presque interdit de les transformer en rouge à lèvres et en bouffe à chiens, les espèces menacées sont devenues victimes de l’étouffante tendresse du genre humain. Conséquence: telles des stars de cinéma, les voilà pourchassées par des paparazzi de la faune. Embusqués devant le terrier, comme devant l’hôtel, ils utilisent des mises en scène qui frisent la fraude afin de déclencher des instincts semblables à ceux qui saisissent les princesses de Monaco devant un mâle bien membré.
Lorsqu’elle fut diffusée dans le monde entier en 1975, la photo présentée ci-haut fut immédiatement considérée comme l’un des meilleurs clichés du genre jamais réalisé. Il faudra vingt ans avant que le photographe animalier John Dominis admette que son image-choc était le fruit d’un arrangement vicieux.
Déçus par des photos jusque-là banales, Dominis et ses acolytes avaient kidnappé un léopard pour ensuite le traîner en voiture sur plus de deux cents kilomètres à travers le parc national de Serengeti avant de relâcher l’animal furieux devant un malheureux babouin qui passait par là. Clic! Photo.
Au début des années 1980, la Mutuelle d’Omaha, qui misait sur les documentaires animaliers hebdomadaires animés par Lorne Greene – le pépé de Bonanza – afin d’augmenter ses ventes de polices d’assurances, fut accusée d’avoir organisé bon nombre de rencontres fortuites entre serpents et mangoustes, lions et gazelles, pour le bénéfice de la caméra.
Les bêtes
Il y a deux semaines, lorsque Pêches et Océans Canada a arraisonné l’Alcion après avoir demandé sans succès à ses occupants de cesser de harceler les baleines de Tadoussac, c’était au tour des membres de l’équipe Cousteau d’être accusés de la même chose.
Pris sur le fait, le porte-parole, Bernard Delmotte, parle d’expérience pour expliquer que son équipe était incapable de ces gestes discutables diffusés sur le site Internet de Québec Science. Ce n’était pourtant pas la première fois que Cousteau et ses héritiers se faisaient remarquer pour leur obstination à provoquer des animaux afin qu’ils réagissent comme le scénario de leurs documentaires l’exige.
Dans son ouvrage Cousteau, une biographie (Fayard, 1996), le journaliste français Bernard Violet recense une bonne dizaine de cas de mauvais traitements que l’équipe Cousteau aurait infligés à des animaux.
D’après Violet, les dérapages débutent dès la fin des années soixante alors que, entraîné dans une avalanche de dépenses, Cousteau s’obstine à rendre ses films attrayants pour le box office en donnant de plus en plus de coups de pouce au hasard afin qu’il penche de son côté.
À la fin des années 1960, après qu’un baleineau se soit blessé sur les pales de l’hélice de la Calypso, l’équipage massacre inutilement à la carabine les requins attirés par l’odeur du sang. Fin des années 1970, on lui reproche de pousser des hippopotames à malmener l’embarcation où se tenait un caméraman, afin de donner au documentaire l’effet dramatique recherché. En Nouvelle-Guinée, Drake Mitchell, propriétaire d’un élevage de crocodiles, expulse les cinéastes après «qu’ils se soient conduits de facon scandaleuse en frappant les bêtes pour les réveiller». Toujours dans le but, semble-t-il, d’obtenir des images spectaculaires, on aurait aussi «injecté une dose de chlorax de soude à une grosse pieuvre pour la faire sortir de son aquarium».
Auteur d’une autre bio non autorisée, le journaliste américain Richard Munson rapporte pour sa part des gestes très discutables pour des écologistes.
En Amérique du Sud, Cousteau capture deux otaries baptisées Pepito et Cristobal pour les besoins humoristiques d’un reportage devenu très célèbre. Dans le film, on peut voir le commandant et l’équipage, délaissant leur sérieux, jouer avec les otaries. Lorsque vient le temps de les libérer, les hommes de la Calypso, qui se sont attachés aux mammifères, semblent avoir le coeur gros. Ce que le spectateur attendri par ces marques d’affection ignore, c’est qu’entre-temps, Cristobal s’est laissé mourir de chagrin quelques jours après sa capture. Pourquoi n’y avons-nous vu que du feu? Simple raccord de plans de caméra. À titre préventif, les «scientifiques empruntaient, au cas, un certain nombre de figurants palmés de plus», rapporte un ex-membre d’équipage.
Les mises en scène ne se limitent pas qu’aux annimaux. André Laban, ancien chef de mission, avouera même avoir simulé un malaise, en plongée, pour les besoins d’une dramatisation.
Lorsque Cousteau réalise un document de plusieurs millions de dollars sur la déforestation en Haïti, cette entreprise commerciale ne profite en rien au pays concerné. Les insulaires lui font remarquer que tout cet argent aurait pu servir littéralement à mettre un terme à la déforestation. «Cette démarche, qui consiste ensuite à vendre avec profits ses films aux pays riches, irrite énormément les pays pauvres», font alors remarquer les observateurs locaux.
Dans l’eau chaude
Les Cousteau étaient au Québec à l’invitation d’Environnement Canada, gestionnaire de la biosphère de l’île Sainte-Hélène, où l’on présentait tout l’été une exposition qui leur est consacrée. À leur arrivée dans la baie des Chaleurs, ils ont été accueillis en héros par l’organisme gouvernemental – maintes fois critiqué par Greenpeace -, trop content de montrer de belles baleines heureuses de barboter dans le BPC. Comment les agissements de visiteurs cautionnés par Environnement Canada peuvent-ils être sanctionnés par Pêches et Océans Canada sans que l’un ou l’autre organisme n’y perde sa crédibilité?
Chez Cousteau, on risque en tout cas de perdre les lucratifs documentaires qu’Environnement Canada était sur le point de commander à nos promeneurs. Car depuis qu’ils se sont fait prendre la main dans le sac, Nicole Lavigne, directrice de la Biosphère, est dans ses petits souliers. Déçue, elle a mis sur la glace les projets de films et les autres collaborations envisagées.
Les Cousteau perdront peut-être de l’argent, mais ils ne veulent surtout pas perdre la face. De Paris, comble de l’absurde, ou de l’hypocrisie, le chef de mission, Bernard Delmotte, est venu expliquer que le document en cours de tournage avait justement pour objectif de dénoncer le harcèlement des baleines par les entreprises touristiques du Saint-Laurent. Faut-il emmerder nos baleines pour évoquer les menaces qui pèsent sur elles?
Simplifions la question: ces gens aiment-ils les animaux? Oui? Alors qu’ils leur foutent un peu la paix.