Société

Le coût des négociations dans le secteur public : Le nerf de la guerre

On discute ferme dans les coulisses du pouvoir ces derniers temps. État et syndiqués ont envoyé leurs troupes au combat et l’artillerie lourde du front commun devrait arriver à la mi-novembre. Et, comme dans les véritables forces armées, cette mobilisation coûte une fortune. Mais, au fait, combien cela coûte-t-il vraiment?

Contribuables et syndiqués, les forces qui vous représentent aux tables de négociations pour le renouvellement des conventions collectives des employés de l’État dépensent allègrement des millions ou plutôt des dizaines de millions de dollars sans comptabiliser quoi que ce soit dans un budget central!

Impossible de savoir combien l’exercice coûte vraiment aux Québécois. Partout, on y va d’approximations qui finissent par ne plus en être tellement elles excluent des dépenses imposantes.

À la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), on est très clair. «Il n’y a personne qui va pouvoir vous dire: "Ça coûte tant", s’exclame le coordonnateur des négociations, Gilles Giguère. Je ne sais pas si ça a déjà même été calculé.»

Peu importe d’ailleurs pour M. Giguère de combien sera la facture déboursée par ses quelque 55 000 syndiqués. «C’est pas une affaire de cennes pis de piastres», ajoute-t-il, reconnaissant tout de même que «ça monte vite». Selon lui, l’important est que l’équipe de négociations fasse son travail et combatte l’État à forces égales.

Et M. Giguère en remet. «Dites-moi pas que ça coûte cher… On ne commencera pas à lésiner sur les pancartes.» En fait, il est convaincu que le rapport coûts/bénéfices est favorable aux syndiqués. «Du côté de la rentabilité, il n’y a pas beaucoup de monde qui négocie.» En fait, il croit que ses membres sont gagnants et que la facture aurait pu être nettement plus salée si les grandes centrales n’avaient pas formé une union, le fameux front commun. «Ça pourrait coûter 25 fois plus.»

La situation est tout à fait semblable à la Centrale de l’enseignement du Québec (CEQ). «Je ne suis pas capable de vous donner un ordre de grandeur», répond simplement la coordonnatrice des négociations pour les 130 000 membres, Diane Fortin. La machine est imposante et la centralisation des renseignements difficile.

Mme Fortin a tout de même tenté de fournir un montant approximatif. Seulement pour la coordination-information-mobilisation du volet central à la CEQ, la note serait de 2 millions $ depuis un peu plus d’un an. Représentatif? Pas vraiment, puisque l’on exclut les dépenses des fédérations et que l’on prévoit un règlement rapide à l’automne.

«C’est assez difficile, on ne l’a jamais fait… [Du moins,] je ne m’en souviens pas, reconnaît Mme Fortin. On devrait peut-être le faire.»

Dernier membre du triumvirat syndical, la coordonnatrice de l’information pour les négociations dans le secteur public à la CSN, Thérèse Jean, nage dans le même mystère. Elle dispose néanmoins de quelques données qui peuvent nous procurer une idée de l’ampleur des fonds engagés. De l’échéance de la convention collective, il y a un peu plus d’un an et demi, à février, l’addition est de 2,76 millions $. Depuis le 1er mars: 1,4 million $. Mais cela ne représente que le travail du noyau dur de permanents et exclut les militants libérés pour l’occasion et les frais encourus par les quatre fédérations. Le compte sera donc beaucoup plus salé.

En plus, Mme Jean fait remarquer que le Québec n’a pas vécu un tel affrontement depuis dix ans. Les clauses «normatives», non négociées depuis 1989, sont la principale pierre d’achoppement. «Il faut qu’il y ait un important coup de barre donné sur les conditions de travail», précise la porte-parole de 135 000 syndiqués. Cela laisse présager des débats interminables, des manifestations impressionnantes et des déboursés de la même ampleur.

Notons également que, hors du front commun, on prévoit aussi un affrontement de longue haleine. Au Syndicat de la fonction publique du Québec, on n’avait pas prévu que le gouvernement Bouchard serait ferme à ce point. «Tout le monde a été surpris», lance un employé qui ne veut pas être cité et dont on doit se contenter, le porte-parole officiel étant «porté disparu» (!). On se prépare donc à un long et coûteux combat. Mais, encore une fois, on ne peut pas – ou ne veut pas – donner de montant exact.

L’État dans les nuages
Vous croyez que l’État contrôle mieux ses dépenses? Pas vraiment! «Il n’y a pas de centralisation de ces données-là», explique tout simplement Jacques Wilkins, l’adjoint du négociateur en chef Maurice Charlebois. M. Wilkins perçoit les négociations comme «un jeu, un rapport de force».

Il faut donc décortiquer les frais acquittés par les différents secteurs, santé, éducation et public, pour arriver à une somme se rapprochant un peu de la réalité. Dans le secteur public, le budget annuel est d’environ 4 millions $ pour les 58 permanents. Est-ce que c’est plus lors des négociations intensives? Bonne question!

En ce qui a trait à la santé, le responsable des négociations pour l’État, Jacques Paradis, évalue le budget à 4,615 millions $, dont 3,467 millions $ sont versés pour les libérations syndicales. M. Paradis juge la facture difficile à avaler. «Je trouve que la beurrée est forte de mon bord», s’exclame-t-il.

Malheureusement, il a été impossible de joindre le responsable dans le domaine de l’éducation afin de connaître son budget.

Malgré tout, les fonds engagés dans le processus de négociations entre le gouvernement et les syndicats ont grandement diminué depuis les années 1970, selon M. Wilkins. Le faste de la vie dans les hôtels durant des mois et des mois, les nombreuses rencontres dans les restaurants, les voyages continuels de villes en villes, etc., tout cela serait révolu. «Ça a bien changé, ce folklore-là», assure-t-il.

Sempiternelle chicane
Récemment, le recteur de l’Université Laval, François Tavenas, a fait une sortie dans les médias de la région pour réclamer la tenue des négociations du secteur public dans la capitale. Qu’en pensent les principaux intéressés? Que cela leur coûterait encore plus cher.

En fait, la plupart des intervenants contactés soulignent le fait que la table centrale, celle où sont négociés les salaires, est établie à Québec. Pour le reste, c’est selon. En éducation, on voyage régulièrement entre la métropole et la capitale. En santé, c’est plus compliqué puisque les permanences sont à Montréal.

Donc, bien que Québec soit reconnue en tant que siège du gouvernement, la majorité des instances syndicales et étatiques ont pignon sur rue dans la métropole et préfèrent y rester. «Il y a une tendance à se rencontrer à Montréal», admet Mme Fortin, de la CEQ, traduisant pour l’essentiel les dires de ses collègues.y

Quelques chiffres
Les syndiqués du front commun réclament 11,5 % d’augmentation sur trois ans. Ils évaluent que l’État devrait débourser 2,568 milliards $ en trois ans pour répondre à cette demande. Les taxes et impôts qui reviendront dans les coffres gouvernementaux ont été soustraits préalablement.

L’État croit plutôt que 5 % d’augmentation suffiraient et évalue à 200 millions $ les coûts engendrés pour chaque pourcentage de hausse, la masse salariale étant d’environ 20 milliards $. C’est donc plus de 3 milliards qu’il dit offrir.

À la CSN, on estime qu’environ 1000 personnes sont impliquées dans les démarches de négociation du front commun.