Le Canada a déjà approuvé une trentaine d’aliments transgéniques, comme des tomates, des pommes de terre, du maïs, du soya et du canola auxquels on a ajouté des gènes. Apparus en 1995, ils envahissent depuis nos champs et nos assiettes. La population, de plus en plus inquiète suite à la publication d’études scientifiques démontrant les dangers de ces aliments, est sortie de sa torpeur cet été. Le droit à l’information est devenu un enjeu majeur du dossier, aux côtés des préoccupations de santé et d’environnement.
C’est Santé Canada qui est responsable de l’acceptation des aliments transgéniques au pays. Ça fonctionne comment? Lyne Lesage, agente aux communications, explique: «Nous demandons aux compagnies de nous fournir une série d’études sur leurs produits, à partir desquelles nous les évaluons.» L’organisme fédéral ne fait aucune étude indépendante et il n’y a pas d’évaluation à long terme…
Le dossier est ensuite transféré à l’Agence canadienne d’inspection des aliments, qui ne fait pas d’études à long terme non plus. Mireille Prud’homme, de la division des sciences, affirme même qu’«une fois que la commercialisation est réalisée, nous ne gardons plus d’information sur ces nouveaux aliments».
Ce manque de prudence des organismes fédéraux inquiète beaucoup l’Union des producteurs agricoles. Dans un document de réflexion sur le génie génétique en agriculture, l’Union dénonçait le «manque d’information sur le génie génétique provenant de sources indépendantes». On y ajoutait aussi que «la fermeture de plusieurs laboratoires de recherche de Santé Canada, la mise à pied de personnel, et le fait que les études d’impacts environnementaux proviennent largement des compagnies, tout cela laisse penser qu’il existe des failles dans le système d’homologation». Même le sous-ministre de la Santé reconnaissait, en mai dernier, que son ministère n’était pas en mesure d’assurer un suivi adéquat des aliments transgéniques.
Haro sur Santé Canada
Malgré tout, notre ministre de l’Agriculture, Lyle Vanclief, affirme haut et fort qu’il se battra pour que les aliments transgéniques soient acceptés partout.
Sylvie Leduc, l’attachée de presse du ministre, se surprend des réticences de la population. «La tangerine sans pépins, c’est un aliment qu’on ne retrouve pas dans la nature, dit-elle. Personne ne conteste sa présence dans nos supermarchés. De plus, quand on énumère les ingrédients d’un aliment transformé, qui peut dire ce que signifient tous les noms chimiques?»
Le gouvernement fédéral se félicite aussi de sa nouvelle politique, annoncée il y a deux semaines, sur l’étiquetage volontaire des aliments transgéniques. Il faut quand même spécifier que la loi permet depuis toujours aux compagnies d’indiquer que leur produit est – ou n’est pas – issu du génie génétique…
Au Bloc québécois, on fulmine. La députée Hélène Alary, porte-parole du parti en matière d’agriculture, dénonce cette politique. «Le ministre a accouché d’une souris! Il est complètement déconnecté de la réalité. Au Manitoba, un récent sondage démontre que 90 % de la population exige un étiquetage obligatoire et que 75 % des gens considèrent la commercialisation des aliments transgéniques comme non sécuritaire.»
Le Bloc est actuellement le seul parti fédéral à exiger l’étiquetage obligatoire. «Il y a un manque de transparence chronique, explique la députée. Quand j’ai demandé comment se faisait le processus d’adoption de ces aliments au pays, on m’a renvoyée à la loi d’accès à l’information! Mais ce qu’on sait, c’est qu’on approuve les aliments transgéniques en quarante-cinq jours, alors que pour un brevet pharmaceutique, ça peut nécessiter quinze ans. Le gouvernement est clairement du côté de l’industrie.»
Hélène Alary dénonce aussi la désinformation qui fait actuellement rage. «Ils disent qu’on a toujours fait des croisements entre les espèces. C’est vrai, mais ça se faisait au sein de la même espèce. Là, ce qu’on trouve sur le marché, c’est une tomate avec un gène de poisson. On ne sait pas quel sous-produit ça peut développer.»
La députée ne se gêne pas non plus pour pointer du doigt Santé Canada. «Ils agissent de façon irresponsable et ils ne se donnent pas les moyens ni les connaissances pour agir. On attend d’être en situation de crise pour réagir…»
La grogne se fait aussi sentir à l’intérieur même des agences gouvernementales, que ce soit en santé ou en agriculture. Plusieurs fonctionnaires nous ont affirmé, sous le couvert de l’anonymat, trouver la situation inacceptable.
De plus, ce sont Mosanto et DuPont, deux compagnies de produits chimiques, qui sont les leaders de l’alimentation transgénique. Rien pour nous rassurer quand on sait que Mosanto est la créatrice des BPC et de l’Agent Orange, qui a ravagé le Viêt Nam; et qu’elle est soupçonnée de verser des pots-de-vins pour faire passer ses produits au Canada…
La résistance s’organise
Déjà, en 1996, une coalition de plusieurs dizaines d’organismes s’était formée pour exiger du gouvernement un étiquetage de tous les aliments transgéniques. Des consultations publiques ont eu lieu, noyautées par l’industrie, selon les organismes environnementaux. Mais avec la levée de boucliers en Europe, ce mouvement reprend de la vigueur.
Greenpeace lançait, il y a deux semaines, une campagne nationale pour faire pression sur le gouvernement, mais surtout sur les distributeurs alimentaires. C’est que dix des plus grandes multinationales du secteur (Nestlé, Kellogg, Mars, Heinz, Cadbury, Kraft, etc.), qui ont déjà annoncé qu’elles retireraient tous les aliments transgéniques de leurs recettes en Europe, refusent de le faire ici. Les marques maison de Provigo (Loblaw), IGA (Sobeys) et Métro sont aussi visées. Johanne Filion, directrice de Greenpeace Québec, considère les aliments transgéniques comme «de la dynamite dans notre assiette». «Le droit du consommateur est sacrifié sur l’autel du commerce», conclut-elle.
Action Réseau Consommateur entend aussi se battre pour que le gouvernement écoute davantage la population. «Les gens se réveillent, affirme Nathalie Saint-Pierre, directrice générale de l’organisme. C’est déplorable qu’on n’assure pas à la population une sécurité alimentaire. Nous avons le droit de savoir ce que l’on mange, de pouvoir choisir! L’étiquetage volontaire, ce n’est pas acceptable. On nous dit qu’un étiquetage obligatoire coûterait trop cher, mais nous avons travaillé avec une firme d’économistes et la tendance démontre que ça ne coûte pas vraiment plus cher.»
Biotech Action Montréal est un des groupes très engagés dans ce débat. Le 21 octobre, ce groupe dévoilera en conférence de presse une pétition de plus de trente-cinq mille noms pour exiger l’étiquetage obligatoire. On en profitera aussi pour rendre publique une proposition de projet de loi, qui devrait être déposée à la Chambre des communes par un député qu’on ne veut pas encore nommer. Pascal Martel, un des responsables du groupe, affirme que «malheureusement, le gouvernement est complice de l’industrie. Ça fait des années que ces aliments sont dans nos assiettes, mais on ne nous a jamais avertis!» Le militant ne se fait toutefois pas d’idées. «Tant qu’il n’y aura pas un mouvement de masse, rien ne changera…»