

Le club Compassion : Entre deux joints
Vendredi, le premier club permettant à des personnes souffrantes de fumer du pot à des fins thérapeutiques a ouvert ses portes, rue Rachel. Pendant que les journalistes se bousculaient, les flics se grattaient la tête en se demandant quoi faire. «Arrêter ou ne pas arrêter? Telle est la question.»
Éric Grenier
Photo : Benoît Aquin
Vendredi dernier, au milieu d’une armada de cars de reportage et d’enquêteurs de la police en civil, deux jeunes femmes sont venues me dire que la compassion se vendrait désormais au gramme.
Acte politique et social, l’ouverture du Club compassion de Montréal, rue Rachel, permettra à des personnes souffrant de différentes maladies d’atténuer leurs douleurs en fumant un joint, selon la posologie recommandée par leur médecin.
Le Club compassion de Montréal est comme une pharmacie qui ne vendrait qu’une seule sorte d’aspirine: le pot. Il est l’initiative de Caroline Doyer et Louise-Caroline Bergeron. Ni l’une ni l’autre n’a de connaissances spéciales en médecine, ni en pharmacologie, pas plus qu’en santé publique. La première a un bac en histoire, la seconde complète une maîtrise de recherche en psychologie. «Nous sommes juste des citoyennes engagées pour le bien de leur communauté», résume Caroline Doyer.
Impossible de savoir si le Club opère déjà, ou quand il ouvrira de fait ses portes. Les intentions sont louables, mais les actions restent criminelles. On entre alors au Club compassion à ses risques et périls. «Nous garantissons la qualité du produit, sa teneur en THC (la substance hallucinogène) selon les besoins, le suivi médical auprès du médecin du patient et la confidentialité, dit Caroline Doyer. Mais nous ne pouvons assurer la sécurité et les risques d’être poursuivis au criminel.»
La vente de drogue est un crime en toute circonstance. Et cela vaut aussi pour la compassion.
«Les policiers ne peuvent pas décider de leur propre chef de laisser vendre de la drogue sur leur territoire», a fait savoir le commandant André Lapointe, du SPCUM. Déjà, l’escouade dirigée par le commandant Lapointe «accumule de la preuve», ce qui pourrait mener, s’il y a suffisamment d’accumulation, à des accusations de trafic de stupéfiants contre les deux instigatrices, et quiconque se trouverait sur les lieux au moment de la perquisition.
Et en cas de descente policière, le Club compassion aura au moins le mérite d’économiser les sous des contribuables. En effet, les policiers pourront laisser les voitures au poste: ils n’ont qu’à traverser la rue Rachel pour se rendre sur les lieux du crime, le Club étant situé en face du poste de police 33!
«C’est un hasard, fait savoir Caroline Doyer. Le choix du local s’est fait en fonction des coûts et de la disponibilité. Mais le fait d’avoir un poste de police si près, ça nous arrange, en quelque sorte. Ça assure notre sécurité contre des revendeurs qui seraient peut-être tentés de rôder autour de nous.»
Le Club n’a pas non plus la bénédiction du Collège des médecins. De ce côté, les attentes sont plutôt minces. Cela tombe bien, puisque le Collège s’interroge toujours sur la pertinence des traitements à la méthadone. Alors, imaginez avec le pot… «C’est quand même un de nos objectifs: établir des contacts avec le corps médical.»
L’endroit est très réservé. Seul un minuscule écriteau, déposé au bas du châssis de la vitrine, annonce le club. Des rideaux blancs cachent la vue aux indiscrets. Un petit bureau fermé permettra de recevoir les patients. Le reste de la surface sert de salle d’attente. Le décor est du style «vente de garage», avec une touche sixties typique d’un sous-sol lavallois. Tout près, il y a les odeurs de la Crêperie Ty-Breiz.
Dans cet environnement de pacotille, la gestion quotidienne du Club relèvera presque des meilleurs thrillers policiers. Par exemple, l’approvisionnement demeurera un des secrets les mieux gardés en ville – comme les prix, d’ailleurs. Mais histoire de ne pas se faire d’ennemis dans la population, surtout dans le voisinage, les deux dirigeantes du Club assurent qu’elles ne feront pas affaire avec le crime organisé.
«Et comment faites-vous pour savoir s’ils sont bien producteurs indépendants, dans la mesure où ça reste un monde illicite? Ne vaudrait-il pas mieux le produire vous-mêmes?
– Qui vous dit qu’on ne le fait pas? Nous ne sommes pas des criminelles, le crime organisé n’est pas dans notre entourage. Au Québec, 80 à 90 % de la production est contrôlé par le crime organisé, si l’on se fie aux évaluations de la police. Il en reste donc 10 à 20 % qui ne le sont pas», réplique Caroline Doyer.
Mieux vaut tard que jamais
Montréal accuse un retard dans la vente de marijuana aux sidéens, cancéreux, diabétiques, épileptiques et victimes de la sclérose en plaques.
Au Canada, il y a eu Toronto, mais surtout Vancouver. À Toronto, l’expérience a cependant mal tourné. «Ils étaient trop "lousses" sur les règles, affirme Caroline Doyer. C’est pour ça que la police a fait fermer l’endroit.»
Sur la Côte-Ouest, par contre, le Compassion Club de Vancouver prend de l’expansion. Les fondatrices du Club de la rue Rachel se sont d’ailleurs largement inspirés de l’expérience de Vancouver. Elles ont photocopié la charte, et feront respecter les mêmes règles (voir encadré).
Le Club de Vancouver compte maintenant sept cents membres, au vu et au su de la police locale. Le député du Bloc québécois Bernard Bigras, fervent partisan de la décriminalisation du pot comme médicament, parle même d’un modèle pour le Canada.
Mais bien avant Vancouver, il y a eu les États-Unis, où les Clubs compassion prolifèrent à la manière des MacDonald’s.
Les politiciens locaux ont même eu le courage de poser la question à leurs citoyens: «Voulez-vous permettre la culture et la consommation de marijuana à des fins thérapeutiques?» En Californie, la question avait pris la forme de la Proposition 215. Près de 60 % de la population avait répondu oui. Mais deux ans plus tard, la loi californienne permettant la prescription de pot n’est toujours pas en vigueur: le libellé de la loi pose problème. Comment, en effet, permettre une chose quand une législation supérieure l’interdit?
En attendant de trouver une formulation qui calmera les ardeurs des policiers et des procureurs de l’État, un Californien souffrant du syndrome de désordre post-traumatique depuis sa retraite du Viêt Nam, a été envoyé au trou pour deux ans et trois mois pour avoir fait pousser son pot qui lui permettrait de prendre son mal en patience.
Dans l’Oregon, une même loi est en vigueur. Deux cents malades ont obtenu leur «permis de pot», et plus de 1500 attendent une réponse. Le district attorney de Portland, la principale ville de l’État, fera preuve de plus de souplesse que ses collègues californiens, satisfait, disait-il dans un journal local, des mesures de sécurité prévues à la loi; mesures destinées à empêcher les intentions criminelles d’infiltrer le programme de permis.
Au Canada, on se trouve devant une situation inverse: ce sont les pouvoirs locaux qui se font gardiens de la législation fédérale. Le gouvernement central, lui, a fait un petit pas vers une certaine forme de décriminalisation. Le ministre fédéral de la Santé, Allan Rock, a fait mettre sur pied un programme de recherche sur les effets thérapeutiques de la marijuana. Mais ce programme (au coût de 7,5 millions de dollars) ne sera complété que dans cinq ans seulement.
Des règles strictes
Les contrôles seront stricts au Club compassion, promet Caroline Doyer. Personne n’entrera dans le Club sans avoir obtenu au préalable un rendez-vous. Avant de passer à la distribution, trois étapes devront être franchies:1) Remplir un formulaire de consentement éclairé, rappelant au futur client que le pot est une drogue interdite par la loi;2) Faire remplir un formulaire d’attestation médicale par le médecin traitant; après, le Club s’assurera auprès du Collège des médecins que le docteur n’est pas un charlatan. 3) Par la suite, le Club entrera en contact avec le médecin, pour bien prendre en note les besoins exacts du patient.Quels sont les maux qui peuvent être soulagés par le pot? Nausées et vomissements associés aux traitements contre le cancer et le sida; stimulation de l’appétit; soulagement des douleurs dues à la sclérose en plaques; réduction de la fréquence des crises d’épilepsie; diminution de la pression intra-oculaire dans les cas de glaucome; réduction des effets néfastes de la médication pour les maniaco-dépressifs.Le docteur Lester Greenspoon, professeur rattaché à l’Université de Harvard, soutient même dans son livre Marihuana: The Forbidden Medecine (Yale University Press) que les symptômes du syndrome prémenstruel peuvent être atténués grandement par le pot! Il y a de l’espoir, messieurs.