Le mâle a mal. Les petits garçons, les hommes de demain, ne vont pas bien. Ils sont indisciplinés, délinquants, violents, suicidaires. En Occident, leur condition est l’objet d’études, de colloques et d’essais. Aux États-Unis, les féministes les plus en vue (Susan Faludi, Carole Gillian, etc.) tournent leur lorgnette vers la condition masculine.
Au Québec, où l’on compte le plus grand nombre de suicides chez les jeunes hommes, on s’inquiète aussi. À titre d’exemple, les 12 et 13 novembre prochain, le Cégep de Limoilou accueillera le premier Forum québécois sur la condition masculine. On y réfléchira à l’homme de l’an 2000.
L’origine du problème? L’école. Du moins si l’on en croit une analyse en vogue ces temps-ci.
Récemment, deux études québécoises concluaient que le sexisme du processus de scolarisation expliquait les pauvres résultats scolaires des petits garçons.
La faible performance des garçons à l’école inquiète aussi nos cousins français, comme en témoigne un dossier publié il y a quelques semaines dans l’hebdomadaire Le Nouvel Observateur et intitulé: «\École, pourquoi les filles battent les garçons???»
La guerre des sexes
Dernièrement, une équipe du Point se penchait sur l’échec des garçons à l’école. En guise d’introduction, Stéphan Bureau posait l’hypothèse suivante: «Les gars réussissent moins bien que les filles en classe. Faut-il y voir un échec de notre système scolaire, un effet pervers du féminisme ou un manque de modèles masculins?»
La réponse du journaliste Louis Lemieux laisse pantois.
Point de départ de son reportage: les filles aiment l’école parce qu’elles réussissent mieux. Les garçons, eux, ne pensent qu’à jouer et à niaiser. Cette vérité – puisqu’elle sort tout droit de la bouche des enfants – était suivie d’une déclaration-choc du ministre de l’Éducation François Legault: «Nous n’avons pas le droit de permettre que les garçons soient exclus de la réussite scolaire.» (On se prend à rêver d’un ministre qui déclarerait la même chose, et avec autant de fougue, à propos du sort des filles dans la société…) Le ton était donné: nous sommes sur un pied de guerre. Le contexte se prête donc mal à la nuance.
Pourtant, les questions soulevées au cours de ce reportage valent la peine d’être débattues.
Par exemple, selon Claudette Gagnon, une enseignante qui a consacré sa thèse de doctorat au rapport qu’entretiennent les garçons avec l’école, il faudrait travailler sur les stéréotypes. Selon ses recherches, les garçons ont tendance à associer l’investissement et l’effort au domaine féminin alors qu’eux préfèrent le jeu, la cour d’école.
Pourquoi? Une question toute simple à laquelle on ne tente pas de répondre.
Au contraire, le journaliste préfère passer à l’étape suivante, beaucoup plus facile à schématiser: l’école est une affaire de filles, surtout au primaire où les modèles sont presque exclusivement féminins. Est-il venu à l’esprit du journaliste de se questionner sur l’absence des hommes au sein du corps professoral? La lourdeur de la tâche (l’effort) et la rémunération inadéquate (l’investissement) y seraient-elles pour quelque chose? Ces avenues ne sont même pas explorées.
Non, on sent plutôt dans le ton que cette présence féminine est loin d’être une bonne chose. Et le commentaire de la chercheuse, qui vient confirmer que le sexe du modèle n’a pas une grande influence sur l’intérêt et l’appréciation que les petits garçons portent à l’école, ne semble pas rassurer M. Lemieux car il poursuit: il n’y a pas seulement à l’école que les femmes ont plus d’influence sur les garçons. À la maison, la supervision scolaire est le plus souvent assurée par les mères.
Pourquoi parler d’«influence» (l’emploi du mot est visiblement péjoratif dans ce contexte) plutôt que de «présence»? Car au fond, n’est-ce pas de cela qu’il s’agit? De l’absence de bon nombre de pères qui perdure, encore aujourd’hui, en 1999?
À ce sujet, les recherches de Claudette Gagnon démontrent que les petits garçons sont davantage motivés quand un deuxième parent s’implique.
Qu’à cela ne tienne, le journaliste poursuit sur sa lancée: «Les garçons ne sont pas assez motivés dans une école qui, plutôt que de les stimuler, les contraint à une soumission contre nature et contre-productive. Et pourtant, c’est si simple. Peut-être leur faudrait-il une école différente?»
En d’autres mots, et pour reprendre le constat du ministre Legault, à défaut de changer les garçons, on va devoir changer l’école…
Brasse camarades
On croit rêver. Les filles, elles, se sont adaptées à l’école. Elles ont appris à composer avec des valeurs qui n’étaient pas particulièrement féminines et qu’on ne leur apprenait pas: la performance, la compétition, le rationalisme, par exemple. Pourtant, ça a marché. Elles sont studieuses, ont de bons résultats, et ont assimilé ces valeurs dites masculines (prouvant qu’elles ne le sont justement pas) à leur avantage.
Pourquoi les garçons, en retour, ne trouveraient-ils pas à l’école le moyen d’apprendre des filles? Parce que la société est sexiste, et considère les valeurs dites féminines comme étant inférieures: si les garçons aiment l’effort, le silence, la discipline ou la concentration, ils passent pour des «fifs», comme le veut la jolie expression en vogue. Mais ça, il a bien fallu que quelqu’un le leur apprenne, et ce ne sont sûrement pas les femmes.
Dans le reportage, un intervenant disait qu’il était nécessaire de réserver un espace aux garçons pour qu’ils aient le loisir de se défouler, de s’agiter, de bouger. Très bien. À quoi servent les classes d’éducation physique? Que demander de plus?
L’une des solutions préconisées dans le reportage fait de plus en plus d’adeptes: revenir à la non-mixité. Mais la mixité est le fait d’une société en progrès et évoluée. La non-mixité est un recul qui intensifie les craintes d’un sexe envers l’autre. Les garçons ont besoin de chahuter? De se faire brasser? Parfait. Mais pas à l’école. L’école est un lieu social, où l’enfant doit apprendre à connaître ses limites, à devenir un être civique, à respecter l’autorité (non, nous ne sommes pas pour le retour de la «strappe»). S’il veut se battre avec quelqu’un, va-t-on le laisser faire sous peine d’étouffer le petit homme qui est en lui? La non-mixité est un leurre. Combien de petits garçons sont les souffre-douleur des autres dans les écoles de garçons? Se font casser leurs lunettes, cracher dessus, insulter?
C’est ça, apprendre à devenir un homme: savoir brasser et pousser une bonne gueulante pour prendre sa place dans la société?
Les hommes s’inquiètent de la féminisation de l’école, alors qu’ils sont une minorité à s’investir dans le domaine de l’éducation et dans la vie scolaire de l’enfant. Louis Lemieux se demande, dans son reportage du Point, ce qui a bien pu se passer avec les hommes pendant qu’on faisait la révolution féministe: ça fait trente ans que les femmes usent leurs cordes vocales et leur énergie à demander aux hommes de s’impliquer, et à leur dire que, sans eux, la partie est foutue.
Alors, on change l’école, ou on change les hommes?