Se réclamant du même flambeau autrefois brandi par les militants des droits civils et de la protection de l’environnement, des militants pro-animaliers ont entrepris une étonnante croisade: donner aux vaches, aux singes et aux chihuahuas les mêmes droits constitutionnels qu’aux humains.
Déjà, les jugements qui mettent en cause les droits des animaux commencent à se multiplier. L’an dernier, un visiteur d’un zoo de Long Island a créé un précédent en poursuivant l’État parce qu’un chimpanzé qu’il avait aperçu seul dans sa cage semblait s’ennuyer. Il a obtenu gain de cause, et les zoos doivent maintenant s’assurer que leurs animaux ont de la compagnie. Autre victoire: en Pennsylvanie, un concours annuel de tir de pigeons qui avait lieu depuis soixante-cinq ans a été annulé après que des avocats des droits des animaux eurent poursuivi les organisateurs jusqu’en Cour suprême pour cause de cruauté envers les animaux.
«Depuis quelques années, les tribunaux entendent de plus en plus de causes qui concernent les animaux, explique Rob Roy Smith, rédacteur en chef d’Animal Law, une publication universitaire qui traite du droit des animaux. Je crois que c’est parce que de plus en plus d’avocats travaillent à bâtir un monde où les animaux auraient des droits légaux semblables à ceux dont jouissent les humains. C’est un combat de longue haleine. Les juges ne vont pas se lever un matin en disant: "Très bien, les animaux ont maintenant des droits!" Pour ça, il faut que les mentalités changent, et que toute la société suive.»
Des établissements aussi réputés que Harvard et Georgetown ont déjà ajouté des cours de droit des animaux à leurs programmes. De plus, depuis 1993, le meilleur ami de l’homme et sa bande ont même leur propre cabinet d’avocats: Meyer & Glitzenstein, situé à Washington, s’occupe exclusivement des causes qui concernent les animaux.
Droits devant
Personne n’aime voir souffrir les animaux. Mais faut-il pour autant leur accorder les mêmes droits que ceux dont bénéficient les humains? «C’est certain qu’on ne peut pas leur donner tous les droits, comme par exemple le droit de vote, poursuit Rob Roy Smith. Mais nous pouvons leur donner plusieurs droits reconnus légalement. Pourquoi ne pas le faire? Les chimpanzés, par exemple, possèdent 98 % de nos gènes. Ils peuvent communiquer, ressentir la douleur, le plaisir, etc. Aux yeux de la loi, ils devraient avoir les mêmes droits que nous!»
Mais jusqu’où le droit des animaux peut-il aller? Les chiens qui travaillent pour la police et pour Douanes Canada pourraient-ils réclamer un salaire minimum ou la semaine de trente-cinq heures? Les moustiques pourraient-ils être protégés? Et que penser des germes, impunément sacrifiés sur l’autel de la propreté? «Tout dépend de la définition que vous donnez au mot "animal", rétorque Rob Roy Smith. Par exemple, pour accommoder l’industrie pharmaceutique, la loi américaine exclut présentement les oiseaux, les rats et les souris du terme "animal", parce qu’ils sont largement utilisés lors des tests en laboratoires. Nous devons tracer une limite, et je crois que le dénominateur commun des animaux auxquels on pourrait donner des droits pourrait être la capacité de ressentir le plaisir et la douleur. Mais devra-t-on donner les mêmes droits aux souris qu’aux singes? Je ne le sais pas. Ce sont des questions sur lesquelles nous devrons nous pencher.»
Selon le rédacteur en chef d’Animal Law, la première chose à faire est d’éliminer le concept de propriété des animaux: ces derniers ne devraient plus être considérés comme des objets que l’on peut posséder, mais bien comme des sujets autonomes. Les propriétaires de chiens ne seraient désormais plus des maîtres, mais des parrains, responsables de leurs protégés comme on garde des enfants.
On peut toutefois craindre que le droit des animaux n’ouvre une véritable boîte de Pandore juridique, ce qui donnerait lieu à des poursuites complètement surréalistes. Par exemple, en juillet dernier, le maire de New York a banni des limites de sa ville deux cents espèces d’animaux sauvages, dangereux, ou naturellement enclins à blesser, ce qui a soulevé l’ire des propriétaires d’iguanes et de crocodiles. Aurait-on ici affaire à un cas patent de ségrégation animale?
«C’est un dossier très intéressant, et des avocats qui ont à coeur l’avancement de la société pourraient très bien songer à poursuivre la Ville pour cause de discrimination, s’enthousiasme Rob Roy Smith. Ce qui est fascinant avec notre combat, c’est que tout un monde de possibilités auxquelles personne n’avait songé s’offre à nous. C’est très excitant!»
Et ça permet de multiplier la clientèle des cabinets d’avocat…
Position controversée
Pourtant, l’idée de permettre à un avocat d’intenter un procès au nom de Coco le perroquet ou de Yogi l’ours est loin de faire l’unanimité, même chez les groupes de défense des animaux.
«Ce que le public doit comprendre, c’est que même si nous le voulions, nous ne pourrions pas donner de droits aux animaux pour la simple et bonne raison qu’ils ne pourront jamais interagir dans notre système judiciaire et politique. Ce ne serait qu’un jeu de sémantique», croit Patti Strand, directrice du National Animal Interest Alliance (NAIA), un organisme qui fait la promotion du bien-être des animaux.
Patti Strand est d’avis que la protection accordée aux animaux doit constamment être améliorée. Mais pour elle, la défense des droits des animaux n’est rien d’autre que de… l’enculage de mouches. «L’important est de voir à ce que les animaux que nous utilisons pour nous nourrir, pour nous vêtir, pour faire de la recherche ou tout simplement pour nous tenir compagnie soient traités de façon humaine et responsable. Or, les gens qui font la promotion des droits des animaux sont des radicaux: ils veulent que les humains cessent totalement d’utiliser les animaux. Pour eux, on ne peut avoir un animal chez soi que s’il provient d’un refuge ou de la rue: en un mot, si on l’aide. Sinon, c’est comme avoir un esclave à la maison pour son propre divertissement! C’est insensé… Je crois que les gens qui sont vraiment préoccupés par le sort des animaux devraient supporter les groupes qui essaient de faire bouger les choses sur le plan local, au lieu de financer une bande d’illuminés qui cherchent à gagner des procès.»
STATISTIQUES
Alexandre Vigneault
– La S.P.A. de Québec recueille en moyenne 32 animaux par jour, pour un total de 8 769 bêtes depuis le 1er janvier 1999.
– 6 577 des animaux accueillis cette année ont été euthanasiés, soit 75 %.
– En moyenne, 24 chats ou chiens sont éliminés chaque jour.
– 25 % des euthanasies sont demandées par le propriétaire de l’animal. Dans la plupart des cas, l’animal n’est plus en santé.
– 63 % des animaux accueillis sont des chats, 28 % sont des chiens.
– Le service d’adoption compte 73 cages: 35 pour les chiens, 32 pour les chats et 6 pour les autres espèces.
– De la mi-juin à la mi-août, la S.P.A. reçoit plus d’animaux que d’ordinaire. Cette période correspond évidemment aux vacances estivales.
– Pour être placé en adoption, l’animal doit être en santé et avoir un comportement stable. Lorsque le service d’adoption est surchargé, les animaux les plus âgés sont euthanasiés.
– 80 % des animaux qui accèdent à l’étape de l’adoption trouvent une nouvelle famille.
– Adopter un chien à la S.P.A. coûte entre 90 $ et 110 $; pour un chat, on demande environ 50 $.
– Un peu moins de 1 000 animaux perdus retrouvent leur propriétaire par l’entremise de la S.P.A.
Source: S.P.A. de Québec. Ces chiffres ne concernent que la S.P.A. de la région de Québec pour la période comprise entre le 1er janvier et le 30 septembre 1999.