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Animaux de laboratoire : Les monstres
Chaque année, des millions d’animaux meurent pour faire avancer la recherche. Mais où va-t-on chercher ces pauvres créatures? Dans des usines spécialisées, qui fabriquent des cobayes sur mesure – comme des souris obèses, imberbes ou immunodéficientes. Belle business…
Marie-Pier Elie
Monsieur Duval est président du Comité de protection des animaux de l’Université Laval. Ce professeur de biologie donne, dans cette même université, des cours pratiques et théoriques sur l’utilisation des animaux de laboratoire: considérations d’ordre moral et éthique, méthodes d’entretien des animaux d’expérimentation, modèles de prédilection… Bref, la personne à qui parler lorsqu’on veut écrire un texte sur le sort réservé aux animaux de laboratoire.
Je lui ai donc téléphoné. «Je vous rappelle dès que j’ai le temps de vous parler, aujourd’hui ou demain», m’a-t-il répondu. Le lendemain en fin de journée, aucun retour d’appel. Je laisse un message sur sa boîte vocale.
Quelques minutes après, je reçois un coup de fil de l’attachée aux relations publiques de l’université: «Monsieur Duval vient de me téléphoner, paniqué. Il me demande ce qu’il doit vous dire… Quelles questions avez-vous l’intention de lui poser?
– Euh, des questions d’ordre général, afin de dresser le portrait le plus exact possible quant à l’utilisation des animaux de laboratoire, en 1999…»
Demande rejetée. Comme quoi les laboratoires ont intérêt à conserver leur aura de mystère pour ne pas que s’emportent les âmes trop sensibles.
D’un côté, il y a les extrémistes pour qui les chercheurs ne sont que des sadiques qui prennent leur pied en sectionnant des moëlles épinières ou en brûlant des chiens vifs. De l’autre, ces mêmes chercheurs, entièrement dépendants des subventions qu’ils doivent obtenir pour mener à bien leurs recherches. Quelques tests sur un animal et le tour est joué: le rapport de recherche acquiert une bonne dose de crédibilité.
Que ces expériences soient un mal nécessaire ou non, un fait demeure: elles coûtent chaque année la vie à des centaines de millions d’animaux.
Permettent-elles vraiment de sauver des millions d’humains? «Il ne faut pas raisonner dans ces termes-là; on se fourvoie», croit Michel Cabannac, un physiologiste de l’Université Laval qui a lui-même eu recours à l’expérimentation animale. Selon lui, la science ne doit pas rechercher que le bénéfice, mais aussi la connaissance pure et simple. «On cherche tout d’abord à satisfaire une curiosité. Si les applications ne viennent pas aujourd’hui, elles viendront demain.»
Usines à cobayes
Pour assouvir cette insatiable soif de savoir, il en faut, des animaux. Certains, tels les chimpanzés et autres primates, sont directement importés d’Afrique. D’autres sont ramassés à même les ruelles (voir encadré). Mais la plupart sont fabriqués sur mesure. Des entreprises telle Anilab enr., qui a pignon sur rue à Sainte-Foy, se spécialisent dans la production de matériel biologique à des fins pédagogiques (lire grenouilles, lapins, rats, souris, ainsi que pièces détachées conservées dans le formol, que dissèqueront les étudiants d’écoles secondaires et de cégeps lors des cours de biologie). La plus importante usine à cobayes est quant à elle située à Saint-Constant. Il s’agit d’une des filiales de la multinationale Charles River Laboratories, un géant dans le domaine. Les chercheurs des hôpitaux et universités du monde entier peuvent y commander, par Internet s’ils le désirent, des animaux déjà affligés des tares de leur choix: souris obèses, imberbes ou immunodéficientes, parmi d’autres spécimens pré-mutilés.
En plus des entreprises pharmaceutiques et cosmétiques, Santé Canada, tous les hôpitaux et centres de recherche ainsi que la plupart des universités canadiennes font de l’expérimentation sur des modèles animaux. Afin de superviser l’ensemble des animaleries, un organisme existe: le Conseil canadien de protection des animaux, à Ottawa. «La mafia qui surveille la mafia», résume Diane Johnson, de la Société québécoise pour la défense des animaux. Sans aller aussi loin, on peut néanmoins sérieusement remettre en question le mode de fonctionnement de l’organisme, fondé en 1968. D’abord, bien que toutes les universités canadiennes aient adhéré à son programme d’inspection, cette adhésion demeure volontaire. Une institution peu désireuse de recevoir la visite des inspecteurs du CCPA peut très bien décider de ne jamais avoir affaire à eux.
Et peut-on obtenir une copie des rapports d’évaluation des laboratoires visités? Nenni! Pas même une banale liste nous énumérant le nom de ces laboratoires? «Il faut comprendre que nous travaillons de manière confidentielle», explique Marie Bédard, porte-parole du CCPA. Pour cacher quoi, au juste? «Ce n’est pas une question de cacher des choses; on préfère discuter franchement des problèmes avec les institutions sans qu’elles ne soient immédiatement critiquées», répond-elle.
Autre anicroche: le CCPA est presqu’entièrement subventionné par le Conseil de recherches médicales du Canada et par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie… qui sont aussi les deux principaux subventionnaires de la recherche scientifique au Canada! «Justement, se défend Marie Bédard, si, par nos évaluations, on découvre des problèmes sérieux avec une institution, on peut demander au CRM et au CRSNG de geler les fonds de recherche.» Est-ce déjà arrivé? Encore une fois, la confidentialité l’empêche de répondre à cette question…
Une dernière chose: les visites régulières des inspecteurs du CCPA sont annoncées plusieurs semaines à l’avance et n’ont lieu que tous les trois ans. Sans avaler goulûment les propos teintés d’anthropomorphisme de certains fanatiques qui confondent parfois «laboratoires» et «charniers», «recherche» et «torture», on constate néanmoins que les chercheurs ont énormément de latitude dans leur façon de procéder. Heureusement, des comités indépendants existent dans chaque université. Dommage, toutefois, que la circonspection excessive ait empêché un de leurs représentants de répondre, par le biais d’une entrevue journalistique, aux légitimes questions que se posent monsieur et madame tout le monde sur cet univers clos.
Types d’expériences
Le CCPA classe les diverses expérimentations effectuées sur des animaux en cinq catégories:A) Expériences avec la plupart des invertébrés ou avec des prélèvements de tissus vivants. Par exemple, l’utilisation de divers tissus, d’oeufs, de protozoaires ou d’autres organismes unicellulaires B) Expériences causant peu ou pas d’inconfort ou de stress. Par exemple, les expériences aiguës sans survie au cours desquelles les animaux sont complètement anesthésiés et ne se réveillent pas. Nombre d’animaux utilisés pour ce type d’expériences: 541 973 *C) Expériences causant un stress mineur ou une douleur de courte durée. Par exemple, l’exposition d’un animal à des doses non mortelles de drogues ou de substances chimiques. Nombre d’animaux utiliséspour ce type d’expériences: 709 306 *D) Expériences causant une détresse ou un inconfort modéré à intense. Par exemple, les procédures provoquant l’interruption continuelle ou irréversible de l’organisation sensitivomotrice. Nombre d’animaux utilisés pour ce type d’expériences: 414 436 * E) Procédures causant de la douleur intense égale ou au-dessus du seuil de tolérance à la douleur chez des animaux éveillés non anesthésiés. Par exemple, l’utilisation de relaxants ou de drogues paralysantes, ainsi que l’infliction de brûlures ou de traumatismes, sans l’usage d’anesthésiques. Nombre d’animaux utilisés pour ce type d’expériences: 90 701 * * Au Canada, en 1996, selon les données compilées par le CCPA
Douleur «animale» vs douleur «humaine»
«La souffrance ressentie par un animal n’est sûrement pas comparable à celle que ressentirait un humain soumis au même traitement, croit Michel Cabannac: l’émotion d’ordre culturel reliée à la douleur augmente considérablement celle-ci.» Effectivement, l’animal ne peut anticiper toutes les conséquences d’une mutilation; l’être humain, si. Ce qui ne veut pas dire que les animaux sont totalement dépourvus d’émotion. Le physiologiste affirme d’ailleurs que l’émotion a probablement émergé quelque part entre les batraciens et les reptiles, dans l’évolution des êtres vivants. «Autrement dit, on pourrait découper un poisson ou un batracien vivant sans qu’il ne dise rien, tandis que le reptile éprouverait probablement une sensation similaire aux nôtres.» Monsieur Cabannac tient toutefois à préciser qu’un tel embryon de conscience n’équivaut en rien à la conscience du philosophe ou de l’artiste.«Et alors?» s’insurge Richard Stanford, ancien biochimiste profondément dégoûté par les diverses interventions qu’il a dû pratiquer sur les animaux, dans les années 1970. «Peu importe si ces bêtes sont stupides, ne peuvent effectuer de calculs mathématiques ou créer des oeuvres d’art; elles ressentent la douleur. Et accorder moins d’importance à cette douleur qu’à celle de l’humain est totalement incohérent.»
Gardez l’oeil sur Fido…
Moins cher que les animaux issus d’élevages spécialisés, plus malléable, surtout, le chien qui roupille paisiblement à vos pieds pourrait s’avérer un outil de recherche de prédilection. Le kidnapping d’animaux existe depuis belle lurette. Outre la vente aux laboratoires, il sert aussi d’approvisionnement à certains élevages clandestins. La méthode conventionnelle a fait ses preuves: les voleurs s’amènent dans les quartiers huppés avec leur camion, dans lequel s’agite une chienne en chaleur. Mus par l’instinct reproducteur, les chiens deviennent complètement fous, brisant la chaîne qui les relie à leur niche pour aller retrouver la belle. Ni vu, ni connu, on les embarque vers des contrées inconnues… «De tels cas nous ont été rapportés à maintes reprises; le kidnapping d’animaux domestiques existe, c’est évident», confie Pierre Barnotti, directeur de la SPCA. Les preuves sont par contre moins évidentes à établir. Il y a un an et demi, toutefois, la SPCA a filmé en cachette des chiens supposément en route vers la fourrière municipale de Terrebonne. Surprise! Les bêtes entraient à la queue leu leu dans un laboratoire, le collier et la médaille de leur maître toujours accrochés au cou…
Quelle horreur…il faut que cesse ce genre de pratique et d expérimentation. Le respect de la vie ne se limite pas seulement à la considération du genre humain. Je me pose une question, comment peut-on se coucher le soir et bien dormir quand notre travail nous impose de torturer ces pauvres bêtes sans défense et ce même au nom de l’avancée médicale ou autre…Ce qui me heurte ç est de réaliser qu’un choix de carrière est un choix conscient pris en toute connaissance de cause…certain justifieront ces pratiques en allégeant toutes les avancées du monde médicale reliées à ces pratiques de tortures animales mais toutes ces pratiques ne se font surement pas toujours dans le respect de ces animaux que certains continuent de croire nos inférieurs….finalement, le sont ils vraiment?….Quand je lis cet article j en doute !