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Droit de pêche des autochtones : Panier de crabes
Pour faire valoir leur droit de pêcher sans permis, des autochtones ont ressorti des boules-à-mites un traité aussi vieux que la Conquête. Grâce à cette pièce de collection, la Cour Suprême leur a donné raison. Pendant que nos politiciens tentent d’étouffer l’affaire par un moratoire, des spécialistes, eux, se posent de questions sur cette utilisation de vieux textes pour gérer le présent…
Carle Bernier-Genest
Michel Pelletier
Professeur de Sciences Politiques à l’UQAM
«Cette décision de la Cour de donner raison aux autochtones rend évident un problème beaucoup plus profond, soit celui du manque de légitimité démocratique de la Constitution. Il va falloir attendre une cinquantaine d’années pour avoir accès aux documents officiels concernant le rapatriment de la Constitution de 1982, mais je soupçonne que la Reine a indiqué aux autorités politiques qu’elle accepterait le rapatriment à la condition que le Canada assume dorénavant la responsabilité des traités signés naguère par la Couronne britannique.
Le traité dont il est question dans le cas de la pêche au homard a été signé entre la couronne britannique et une nation autochtone. Jamais les citoyens du Canada n’ont pu se prononcer ni sur la Constitution ni sur la reconnaissance de ces traités. Ce qui fait apparaître les fondements de notre démocratie: l’impérialisme et le colonialisme. On ignore toujours la volonté du citoyen.
De plus, les juges rendent leurs décisions en disant se baser sur la primauté du droit. Ils n’ont aucune légitimité puisqu’ils sont nommés par le Premier Ministre seul. Mais c’est eux qui déterminent actuellement l’évolution du Canada. Et ils le font en interprétant l’histoire à leur façon! Or, ils n’ont pas de formation d’historiens, à ce que je sache.»
Alain Beaulieu
Professeur d’Histoire à l’UQAM
«Depuis 1982, on a inclus dans la Constitution la reconnaissance des droits issus de traités, et il y a eu quelques cas de contestation devant les tribunaux. Sur le plan politique, il y a quand même des décisions à prendre une fois qu’un jugement est rendu. Rien n’empêche le gouvernement d’imposer des limites à l’application de ces traités. Sa seule contrainte, c’est qu’il doit justifier la nécessité de ses règlements.
Un des problèmes soulevé par l’application du traité des droits de pêches, c’est qu’elle crée une catégorie de citoyens qui ont des privilèges. Quand c’était les Blancs qui en avaient, on n’en parlait pas, mais maintenant que ce sont les autochtones…
Et on n’a pas fini d’en voir, des jugements! On a ouvert cette boîte de Pandore et on ne pourra pas la refermer. Il existe plusieurs autres traités dont on ne parle pas encore et qui finiront par être utilisés par les autochtones.
Au Québec, il y a eu le document Murray, dont se sont servis les Hurons pour faire reconnaître leurs droits. Même si ce document ressemblait plus à un sauf conduit qu’à un traité, il a été accepté par la Cour, qui a tendance a avoir une optique très large. Ce document a servi dans une autre cause contre le Ministère du revenu, et servira sûrement encore. On n’en a pas fait le tour….
Sans parler de tous les traités oraux, de ceux qui datent de la Nouvelle-France et de ceux qui parlent vaguement de territoire…»
Michel Duquette
Professeur de Sciences Politiques à l’Université de Montréal
«La valeur des traités est irréfutable. La couronne britannique a donné aux autochtones le droit d’assurer leur subsistance – ce qui inclut le commerce, – sur les terres qui lui appartiennent. Et ce, sans aucune contrainte. Maintenant, ce qu’il y a de dangereux, c’est que les politiciens ne veulent pas se mouiller et prendre parti dans les débats engendrés par l’application de ces traités. Ce n’est pas rentable politiquement, donc ils n’en parlent pas.
Ce silence favorise la déréglementation, parce qu’on ne fait rien tant que la situation n’est pas assez criante pour qu’on se retrouve devant les tribunaux. On laisse aller, on tolère… L’inaction des politiciens crée une société qui doit s’autogérer, s’autoadministrer, et c’est déjà commencé, on le voit.
Dans le cas des autochtones qui ont gagné le droit de pêcher sans permis en Cour, théoriquement, ils auraient même le droit d’écumer la mer…»
Julius Grey
Avocat
«Ce n’est pas parce qu’un traité a deux cents ans qu’il n’a pas de fondement aujourd’hui. On ne peut pas retirer à quelqu’un sa maison familiale sous prétexte que le papier prouvant qu’elle lui appartient date de deux cent ans! Mais ces traités, on devrait pouvoir les remplacer par des compensations monétaires – tout comme le gouvernement peut exproprier votre maison, par exemple.
Je suis fondamentalement en désaccord avec des droits inaliénables liés à une appartenance ethnique. J’imagine donc qu’on tentera de trouver un terrain d’entente pour remplacer ces traités par des compensations.»