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Entrevue avec Léo-Paul LauzonÉconomiste : À propos de la guerre des colas
LÉO-PAUL LAUZON est titulaire de la chaire d’études socio-économiques de l’UQAM. Plus tard cette année, la chaire publiera un recueil d’entretiens de François Patenaude avec Léo-Paul Lauzon et Michel Chartrand.
Carle Bernier-Genest
Photo : Jean-Francois Leblanc
Les universités tentent actuellement d’établir des partenariats lucratifs avec Coke et Pepsi. Que pensez-vous de ces commandites commerciales?
«D’abord, c’est la pointe de l’iceberg. Il faut situer cela dans un contexte plus général qui est celui du démantèlement de l’État. On s’attaque à nos acquis sociaux que sont le système de santé, le transport en commun, l’eau et l’éducation. On coupe et ensuite on amène les universités – et aussi les collèges, les écoles secondaires et même primaires – à vendre leur âme, à se prostituer.
Mais, à l’université, il n’y a pas seulement les commandites commerciales, il y a aussi des chaires privées. À l’UQAM, les fondations sont dirigées par des gens d’affaires. Plus cela va aller, plus les universités n’auront de public que le nom; au bout du compte, elles deviendront privées…
Lorsqu’on coupe des services, on coupe ceux dont le marché – c’est-à-dire les commanditaires et les chaires privées – ne veut pas. Ils ne veulent pas d’histoire et de philosophie parce que, pour eux, ce ne sont pas des domaines gagnants. Alors, ils privilégient l’économie, l’administration, l’informatique… D’ailleurs, le ministre de l’Éducation a dit quelque chose de très grave: il a dit que dans des domaines comme l’administration ou l’économie, les professeurs obtiendront des hausses de salaire. Autrement dit, ils veulent se baser sur le marché. C’est possible parce que le privé est prêt à offrir plus à des professeurs dans les domaines qui les intéressent.
Là, on parle de boissons gazeuses, mais ensuite ce sera la bouffe. McDonald’s commence à viser le marché des écoles et des hôpitaux. Qui dit qu’il n’y aura pas de franchises McDo sur le campus de l’Université Laval?»
Les recteurs qui affirment que ces «contrats d’exclusivité» n’ont rien à voir avec les problèmes de financement des universités sont donc de mauvaise foi?
«Je vais vous le dire une fois pour toutes: ce sont des ostie de menteurs! Ces recteurs d’université sont des vendus qui ne pensent qu’à leur petite carrière! Ils ne veulent pas se mettre à dos les politiciens et les gens d’affaires… Regardez où sont rendus les anciens recteurs; plusieurs des anciens recteurs de l’UQAM sont aujourd’hui dans le privé ou en politique.»
Les millions de dollars versés aux universités sous forme de commandite par Pepsi ou Coke sont-ils déductibles d’impôt?
«Bien sûr que ces commandites sont déductibles d’impôt, c’est ça qui est grossier! Dépendamment du taux d’imposition de la compagnie, collectivement, on peut en financer de 30 à 40 %. Il y a des choix de société à faire en ce qui concerne l’éducation, la santé, la sécurité du revenu, etc. Les compagnies veulent tout orienter: elles réclament des diminutions d’impôt et, quand elles donnent des "pinottes" à la culture, c’est déductible d’impôt. Cela devient un abri fiscal. Ensuite, même si la collectivité fournit encore une bonne partie de l’argent, c’est le privé qui impose ses préférences.»
Croyez-vous que les étudiants détiennent un pouvoir suffisant pour renverser la situation?
«C’est sûr qu’il y a des groupes d’étudiants au collégial et à l’université qui sont conscientisés et qui s’opposent. Mais il y en a aussi qui sont pour. Regardez les jeunes libéraux; ils sont jeunes et ils sont pour le partenariat avec l’entreprise privée…
On a subi des coupures drastiques dans l’éducation et les jeunes – excusez-moi – n’ont pas bougé beaucoup. Comment se fait-il qu’ils bougent pour les commandites et qu’ils n’ont rien fait contre les chaires privées? Ces chaires sont pourtant financées par des entreprises qui veulent s’accaparer les ressources publiques que sont les professeurs!
Il faut que les étudiants en fassent plus. Pas juste pour leurs petits intérêts, pas juste pour une "gugusse" comme "Coke vs Pepsi". Voir les étudiants monter aux barricades pour une telle question, cela ne m’impressionne pas! Il y a des choses beaucoup plus dommageables: le privé est déjà installé dans les universités d’une façon plus dévastatrice et les étudiants n’ont rien vu ou ils n’ont rien voulu voir…
Quand je vais parler à des groupes de jeunes, je leur dis que leurs associations collégiales et universitaires me font penser à un petit caniche. Un petit caniche frisé et pomponné qui donne la patte, qui fait le beau quand on lui demande et qui demande la porte avant même qu’on la lui propose. Ce n’est pas le comble de l’asservissement, ça?»