Après les autochtones, les éleveurs de porcs et les camionneurs, ce sera bientôt au tour de l’industrie éolienne de se servir des autoroutes pour donner une visibilité à ses revendications. Mais cette fois, pas question de bloquer la circulation. Pour sensibiliser la population à l’importance d’investir dans cette forme d’énergie, on songe plutôt à construire une éolienne en bordure d’une route près de Montréal.
«Les hommes politiques ne comprennent que ce qu’ils peuvent voir», explique Jean-Louis Chaumel, vice-président de l’Association Canadienne de l’Énergie Éolienne.
C’est donc un colosse de 55 mètres de haut (15 étages!) – le même modèle que celui utilisé dans le parc d’éoliennes Le Nordais, inauguré il y a un mois en Gaspésie – que les automobilistes pourraient découvrir sur l’une de nos routes.
L’association veut ainsi protester contre le fait que depuis le début des travaux pour le parc Le Nordais, en 1993, il n’y a eu aucun nouveau développement pour cette énergie propre. À l’époque, on prévoyait construire 300 de ces moulins à vent, mais le projet final a été ramené à 133. Il y a aussi eu le projet Val d’Espoir, mais ses promoteurs ont dû plier bagage, faute d’appuis gouvernementaux. On voulait construire 400 turbines, un investissement de 285 millions de dollars, qui aurait créé 450 emplois.
Après des années de vaches maigres, cette filière énergétique recevait sa première bouffée d’air frais en octobre 98. La Régie de l’énergie recommandait au gouvernement de lancer un projet de développement de l’éolien sur 10 ans, à raison d’un parc de 50 Mw par année (le projet Le Nordais, avec ses 133 turbines, compte 100 Mw). Selon la Régie, 50 Mw par année, c’est le strict minimum pour permettre à une industrie locale de se développer. Mais pour les groupes environnementaux, c’est très peu: 50 Mw, c’est juste assez d’énergie pour alimenter 5000 maisons.
L’inauguration officielle du parc Le Nordais se tenait le 28 septembre, presque un an jour pour jour après le dépôt de l’avis de la Régie, et tous les intervenants du milieu s’y était donné rendez-vous pour entendre l’allocution de Jacques Brassard, le ministre des Ressources naturelles. On s’attendait à ce qu’il fasse suite à l’avis de la Régie et qu’il dévoile une politique gouvernementale sur l’éolien. Le ministre s’est plutôt contenté d’un discours d’usage, sans aucun engagement. Et il n’y avait même pas de période de questions pour les nombreux journalistes présents.
Accalmie
Les recommandations de la Régie de l’énergie avaient suscité bien de l’espoir, mais la lenteur du gouvernement en décourage déjà plus d’un. NEG Micon, la compagnie danoise conceptrice des éoliennes du parc Le Nordais, pourrait être la première à réagir à la situation. Son usine d’assemblage de Boucherville, construite en 1994 à la demande du gouvernement et subventionnée par celui-ci, a déjà licencié son personnel et pourrait ne pas survivre. Chez NEG Micon, on se laisse trois mois pour réfléchir. Mais la compagnie possède une usine d’assemblage en banlieue de Chicago…
«Il n’y a pas de contrats locaux ici, et pire, il n’y a même pas de perspective! explique Jean-Louis Chaumel. Il y a même des compagnies qui s’intéressaient au Québec mais qui ont cessé de regarder ce qui se passe ici par découragement.»
Le marché de l’énergie éolienne est en pleine expansion, dépassant les 25 % de progression par année. Plus de 10 000 Mw d’énergie éolienne sont produits dans le monde par une cinquantaine de pays, dont plusieurs lancent actuellement de vastes projets de développement. Au Canada, on ne produit que 124 Mw, alors que le Québec a un potentiel éolien estimé à 2 500 Mw.
Des millions pour GM
Le gouvernement, rapide à intervenir dans d’autres secteurs de l’économie, n’a toujours rien à annoncer pour l’éolien. Louise Accolas, l’attachée de presse du ministre Brassard, nous explique: «Nous attendons un avis sur les petites centrales hydrauliques, la cogénération est aussi un enjeu, les morceaux du puzzle énergétique québécois se placent. Le gouvernement n’a jamais dit non à l’éolien. Le ministre réfléchit seulement dans un cadre plus global. De toute façon, l’avis de la Régie ne prévoyait lancer un programme de développement qu’en 2002.» Quand nous avons demandé à madame Accolas si cet avis serait appliqué, elle nous a expliqué que toutes les avenues étaient ouvertes: plutôt que 50 Mw par année, ça pourrait être 40, ou 30. Mais jamais elle n’a émis l’hypothèse que ça pourrait dépasser les 50 Mw, un minimum selon la Régie.
«Le gouvernement tente de pelleter la neige chez le voisin, croit Jean-Louis Chaumel. Il est dans une partie de bras de fer avec Hydro, qui ne veut pas payer plus de 3 sous le Kw/h.
L’électricité du parc Le Nordais est actuellement vendue à 5,8 sous, soit le meilleur prix au monde! La différence est minime et continuera à baisser à mesure que la technologie évoluera. Comme la Régie l’a démontré, le gouvernement se paierait largement avec les revenus que générerait une industrie éolienne locale. Québec s’enlise aussi dans un match assez compliqué avec le fédéral pour qu’il paie une partie de la facture, ce qui est légitime, mais qui pourrait durer très longtemps.»
Les demandes de l’industrie sont pourtant simples: le respect de l’avis de la Régie et l’accès aux mêmes avantages fiscaux que ceux consentis au pétrole, au nucléaire et au gaz. Mais en attendant que la situation change, tout est en place pour que le Québec manque le bateau.
Le vent du sud
Du point de vue de la consommation locale, l’éolien serait aussi avantageux. Jean-Marc Pelletier, du Syndicat professionnel des scientifiques de l’IREQ, l’Institut de recherche d’Hydro-Québec, est formel: «L’éolien serait très rentable pour le Québec, particulièrement aux îles-de-la-Madeleine et dans le Nord québécois, alimentés en électricité par des centrales au diesel qui coûte de 25 à 30 sous le Kw/h, comparé à 5 ou 6 sous pour l’éolien. Et on ne parle même pas du coût du transport du diesel, des effets sur l’environnement, etc. Visiblement, ni le gouvernement ni Hydro ne sont intéressés par ces nouvelles technologies. Il y a quinze ans, nous étions vingt chercheurs en énergie éolienne, aujourd’hui, il en reste deux…»
À Hydro-Québec, on se fait plus prudent sur les avantages de cette énergie. Thierry Vandal, vice-président au développement des affaires et à la planification stratégique, explique: «L’éolien est une énergie d’appoint, ce qui nous oblige à maintenir les infrastructures thermiques en place dans ces régions.» Et à Hydro, tout comme dans l’industrie, on attend la politique du gouvernement avant de faire quoi que ce soit.
À moins que l’impulsion du mouvement nous vienne du sud. Le gouvernement américain est sur le point de déposer sa propre stratégie sur les énergies renouvelables, qui pourrait obliger les exportateurs à fournir la preuve que 5 % de leur énergie provient de sources «vertes». Le vent de changement pourrait aussi émaner du prochain budget fédéral. Plusieurs intervenants croient que Paul Martin profitera du budget du millénaire pour dévoiler un vaste programme de développement environnemental. Dans un cas comme dans l’autre, le Québec pourra alors définitivement dire «bye bye» à son titre de leader dans le domaine éolien.