Société

Référendum à l’Île-des-Soeurs : Égalité ou indépendance!

Pendant que le PQ tergiverse, les séparatistes de l’Île-des-Soeurs, eux, agissent. La semaine prochaine, au cours d’un référendum, ils demanderont aux résidants de l’Île s’ils veulent se séparer de Verdun. La campagne ressemble à celle qui secoue régulièrement le Québec: il y a le clan du Oui, le clan du Non, les minoritaires qui craignent pour leur avenir… et même un plan B!

Il y a du rififi chez les bourgeois de l’Île-des-Soeurs. Dimanche prochain, deux familles se déchireront sur l’avenir de ce chic secteur de Verdun: les partisans du small-is-beautifull affronteront les disciples du c’est-bien-meilleur-en-groupe.

Déjà, dimanche dernier, les premiers insulaires ont commencé à trancher la question référendaire, lors du vote par anticipation: «Êtes-vous favorable à ce que l’Île-des-Soeurs devienne une municipalité autonome?»

«La question est claire», affirme Juliette Barcelo, de la Coalition des résidants pour l’autonomie (CORA).

À ceux qui y verraient la transposition du débat national de 1995 à une échelle de modèle réduit, qu’ils se détrompent. C’est plutôt un exercice de référendum-fiction dans le Québec de 2002: un référendum qui n’émeut guère la population, et un camp du Non qui joue la carte du plan B, en ne reconnaissant pas la légitimité du processus enclenché par les autonomistes au pouvoir. Les deux conseillers représentant l’Île au conseil municipal de Verdun sont d’obédience autonomiste, une sorte de Bloc insulaire.

«La population n’est pas intéressée par ce référendum, juge Gilles Pétel, président du Regroupement des insulaires contre la séparation (RICS). C’est un exercice futile dans une cause perdue d’avance. La séparation, c’est un cul-de-sac! C’est tellement absent dans le paysage, que je l’avais oublié. C’est votre appel qui me l’a rappelé.»

La Ville de Verdun, qui joue ici le rôle du fédéral, refuse toute collaboration. Pour Gaétan Laberge, Verdun est indivisible. Il nie même l’existence d’une identité propre à l’île. «Une identité insulaire? Voyons donc, cela fait juste trente ans qu’il y a des résidants sur l’île. Et ce n’est que depuis 1978 qu’il y a des propriétaires, avec un fort taux de roulement de la population. Vous savez, ces débats sur l’autonomie de l’Île, ça revient tous les dix ou quinze ans…»

«De toute façon, c’est aux résidants de l’Île de décider par eux-mêmes de leur avenir», croit madame Barcelo.

Mais voilà, les autonomistes de CORA risquent de se retrouver aussi les seuls aux bureaux de vote. Le RICS n’a pas participé à la campagne référendaire. «Cette consultation n’a aucune valeur légale», soutient monsieur Pétel. «Les absents ont toujours tort», croit plutôt madame Barcelo.

Sans l’aide de la Ville de Verdun, ni coup de pouce du directeur général des élections, CORA a dû se débrouiller elle-même pour trouver des listes électorales, des urnes, des guides d’élection – grâce, paraît-il, au support d’une autre Ville… «De toute façon, vous en connaissez, des Villes qui aient accepté d’aider leurs citoyens à se séparer d’elles?»

Oui: en 1959, à Sainte-Marguerite, dans les Laurentides. Quarante ans plus tard, les résidants s’en mordent les pouces et tentent de récupérer la ville d’Estérel: une poignée de résidences secondaires évaluées en moyenne à cinq cent mille dollars pièce, un hôtel, aucune institution, ni services ni commerces, le tout complètement enclavé.

Une lutte des classes déguisée?
L’Île-des-Soeurs n’a pas été conquise, ni annexée par la force. Et le Québec vit à l’heure de la globalisation dans le monde municipal. Alors, pourquoi l’autonomie?

«Nous prendrions les décisions nous-mêmes, pour nous-mêmes. Nous sommes tellement mal desservis par Verdun. Notre bibliothèque ne respecte pas les normes minimales (NDLR: c’est le cas de trois bibliothèques sur quatre au Québec). Presque tous les services administratifs sont sur sur la terre ferme. Il faut traverser le pont pour y accéder!»

«Peu importe la ville où vous habitez, lui répond Gilles Pétel, il y a toujours matière à amélioration dans les services. On ne défait pas une ville juste pour ça. On élit plutôt un autre conseil municipal.»

Pour monsieur Pétel, la seule loi implacable du nombre justifie l’association avec les autres Verdunois. «Nos intérêts à la CUM seront bien mieux défendus à 65 000 habitants plutôt qu’à 12 000. C’est quand même pas l’Île-des-Soeurs qui va dicter les politiques de la CUM!»

Pour la Ville de Verdun et le RICS, le mouvement autonomiste n’est rien de moins qu’une résurrection de la bonne vieille lutte des classes, mais à l’envers! «C’est essentiellement une question d’argent», laisse entendre Gaétan Laberge.
«CORA agite un triste discours d’exclusion, dit Gilles Pétel. Pour les autonomistes, les Verdunois sont des pauvres qui dilapident l’argent des riches de l’Île-des-Soeurs dans le jeu et dans la boisson. Ils n’en ont que faire de la rue Wellington et de ses magasins à une piastre. Ils le disent eux-mêmes! Ce n’est qu’une histoire de snobisme.»

«C’est absolument faux!» rétorque madame Barcelo, qui rejette du revers de la main les accusations de «séraphinerie» de ses adversaires. Elle en veut pour preuve le désir des autonomistes de contribuer à la Communauté urbaine de Montréal. «Nous sommes même en faveur d’une plus large forme de péréquation dont profiteraient les villes moins bien nanties, comme la Ville de Verdun.»

Or, la péréquation devra être drôlement généreuse pour que Verdun récupère le manque à gagner en cas d’indépendance de l’Île: celle-ci représente plus de 40 % des revenus de la Ville, et 20 % des dépenses. «Ce n’est pas normal», dit Juliette Barcelo.

Pourtant, par tête de pipe, l’Île reçoit largement sa part. Les treize mille résidants ne constituent que 20,6 % de la population totale de Verdun.
De plus, «la terre ferme» doit absorber seule les coûts reliés à la présence d’institutions sur son territoire: hôpitaux, écoles, édifices gouvernementaux, artères principales, église, de gros consommateurs de services, exempts de tout impôt foncier en vertu de la loi municipale québécoise.

Pour les autonomistes, à Verdun de se dépatouiller seule. «Ils n’ont qu’à mieux gérer leur ville. Et si cela s’avère insuffisant, ils pourraient mettre en branle la fusion qui est depuis longtemps envisagée: Lachine, LaSalle, Ville Saint-Pierre et Verdun.»

N’est-ce pas un peu contradictoire d’exiger l’autonomie pour soi et de forcer la fusion pour les autres? «Nous ne sommes pas contre les fusions de villes. Nous voulons juste fusionner avec qui on veut!» Et ce n’est pas avec Montréal. Alors, avec quelle autre ville? La question est en suspens…

En attendant, les autonomistes assortissent leur projet d’indépendance d’une offre de partenariat avec ses futures voisines. La Ville de l’Île-des-Soeurs signerait des ententes avec les villes voisines, comme pour le service des incendies. Ce qui leur éviterait des investissements massifs dans les immobilisations.

Une minorité à protéger
Monsieur Pétel est également ex-président de l’Association des locataires de l’Île. Ce détail a son importance. Car, être locataire à l’Île-des-Soeurs, c’est comme être anglophone au Québec: minoritaire. Et comme les anglophones dans le débat national, les locataires de l’Île craignent de se voir reléguer au rang de citoyens de seconde classe dans une ville indépendante.

«Nous vivons une situation de monopole dans le logement. La compagnie Structure urbaine (un gestionnaire d’immeubles) possède la très grande majorité des immeubles locatifs, soit plus de trois mille.»

«C’est comme revenir cinquante ans en arrière, ajoute Gaétan Laberge, à une époque où seuls les propriétaires, généralement aisés, avaient droit de vote aux élections municipales.»

Y aura-t-il un deuxième référendum en cas de défaite crève-coeur? Les indépendantistes de l’Île suivront-ils le conseil de Jacques Parizeau: «Il faut se retrousser les manches, se cracher dans les mains et recommencer»? Rien de moins sûr. Comme l’affirme la chef des autonomistes: «Si l’on perd, personnellement, j’arrête tout.»