Société

Droit de cité : L’ennemi intérieur

Il y a eu beaucoup d’excitation médiatique la semaine dernière autour d’une bande de petits voyous. Trois, quatre bums sont partis de chez eux un samedi soir (peut-être après La Soirée du hockey, qui sait?), pour une virée downtown.

Après une nuit de massacre, les petits vauriens avaient vandalisé de leurs tags trois stations de métro. Le lendemain et les jours suivants, en prenant connaissance de leurs méfaits et de la réaction que cela avait suscitée dans l’ensemble du Québec, j’avais l’impression que des hordes de guerriers mongols étaient passées sur Montréal. (Les combattants mongols de Gengis khan ont fait régner la terreur, de l’Oural jusqu’en mer de Chine, avec des troupes mille fois moins nombreuses que celles de leurs adversaires au XIIIe siècle.)

On se calme le pompon. Montréal n’est pas New York, et à New York, ils doivent bien se bidonner en voyant notre état de panique devant quelques barbots – si, d’aventure, il y a bien un New-Yorkais pour s’intéresser à nous.

À réagir ainsi, vous leur avez donné la cagnotte. Le but du tag est d’être vu – et, à ce titre, les auteurs du crime ont été servis. D’ailleurs, l’embarras des autorités était palpable, à l’écran, quand on exigeait leurs réactions devant la caméra: elles savaient qu’en répondant aux demandes d’explications des journalistes, elles jouaient le jeu des petits morons.

Mais avaient-elles le choix? Si elles avaient refusé les demandes d’interviews, vous les auriez accusées d’inaction, de renonciation face à l’adversité, de contrôle de l’information.

De plus, les médias ont nourri encore une fois le gigantesque imbroglio qui existe dans la population entre graffiti et tag. En effet, il y a graffiti et graffiti. Voyez-vous, les tags du métro sont à certaines formes de graffiti ce que la vidéo-surveillance est à Citizen Kane. Remettre en question le graffiti comme forme d’art dans son ensemble, comme l’ont fait certains médias à l’occasion de cet événement, c’est comme de s’interroger sur la légitimité du cinéma italien parce que la CSST filme ses bénéficiaires en cachette. Autrement dit, ils ont utilisé la recette de Jerry Springer: pour illustrer les dangers du sexe chez les adolescents, on prend l’exemple d’une fille de seize ans qui a couché avec quarante-cinq gars en quarante-cinq jours. Voilà, et l’abstinence vient de faire de nouveaux adeptes chez les parents d’ados!

Les tags dans le métro ne vous ont pas plu? À moi non plus. Mais, chez certains d’entre vous, il y avait un deux poids, deux mesures. Que des motards soient mieux armés que le 22e Régiment de Valcartier ne provoque chez vous, en général, qu’un haussement d’épaules. «Tant qu’ils se battent entre eux, ça me dérange pas.» Mais trois p’tits culs font du vandalisme, c’est un battage de gueule incessant: «Mais où s’en va la société? J’ai peur de prendre le métro…»; et vous réclamez le retour des boot camps.

Pourtant, à la campagne, il n’y a plus un rocher, un bout de falaise aux abords d’une route ou d’un lac qui n’ait été «tagué» par un Roger was here 9-9-68, une Monique loves Michel ’72 ou un Vive le Québec libre. Ce qui est encore plus embêtant, parce que la roche, ça ne se repeint pas. A-t-on crié au scandale pour ça? Avez-vous le désir de crucifier ces tagueurs comme ceux du métro? Ben non, parce que ça n’existe pas, l’autocrucifixion…

Si à une autre époque, la grande peur de l’Amérique (ce qui nous inclut, Québécois) était le communisme, aujourd’hui, the ennemy is within: les ados, «nos jeunes». Un irrépressible besoin d’avoir la chienne de quelque chose.

Le tag est une tare, je vous l’accorde. Mais il y a plein d’autres tares urbaines, que peu de gens dénoncent: les motos plus bruyantes qu’un hydravion, les systèmes antivol de voitures qui s’agitent à la moindre crotte de moineau, l’affichage sauvage, l’affichage publicitaire à outrance, les machines vidéo poker, les herbicides et insecticides à pelouse, les voisins bruyants, la clôture de Ville Mont-Royal, la Banque de Montréal.

La Banque de Montréal?

BPC
Il y a quelques années, la Banque de Montréal projetait de changer de nom. La «Mbanx» ne désirait plus voir sa vénérable réputation entachée par la référence à Montréal dans son nom. C’était associé à la morosité, aux guerres linguistiques, à la fuite des capitaux, au séparatisme, au tribalisme et quoi encore! On l’aurait désormais appelée First Canadian Bank, Banque Première Canadienne en français. Ainsi, on aurait pu dire «j’ai un compte de BPC». Ce qui n’avait pas manqué alors de faire réagir très négativement certains Québécois.

Aujourd’hui, ça devrait être à notre tour d’exiger de la banque qu’elle biffe le mot Montréal dans son nom. Parce qu’à la fin, ça commence à être gênant que notre ville soit associée à une entreprise qui annonce la suppression de 1500 emplois, 1,3 milliard de dollars de profits nets en poche chaque année. On passe pour des sauvages.