Pas difficile, avec Notre-Dame de Paris ou ses interprètes en nomination dans six catégories, le Gala de l’ADISQ ne pouvait pas être autre chose qu’un événement plus entendu qu’attendu. Et de voir, en début de spectacle, Luc Plamondon si près de la scène confirmait tous les soupçons: si la tendance se maintient, les gagnants seront… La tendance s’est maintenue.
Quel groupe de rap pouvait surpasser Dubmatique en ventes? Comment Bigras ou Minville pouvaient-ils compétitionner avec les mégaventes de Kevin Parent? Qui d’autre que Céline Dion pouvait être l’artiste s’étant le plus illustré dans une autre langue que le français? Ray Bonneville?
Non, il n’y aurait pas grand-chose à dire sur cette soirée brouillonne si les ficelles du show-business n’y avaient pas cédé de toutes parts.
Gala hors ondes, party hors ondes. Partis bambocher à Québec pour la fin de semaine, nos amis de Montréal se retrouvent affligés d’une petite gueule de bois; lorsque vient le temps de chanter et de danser, le coeur n’y est plus. L’ambiance s’en trouve perturbée, les humeurs changeantes.
Ce n’est pas tous les jours qu’on entend un invité admettre en direct qu’il s’emmerde ferme; une animatrice évoquer les vapeurs suspectes en coulisse; un humoriste conspuer un chanteur débile; un monument de chez nous se lancer dans la philosophie de cuisine (ah! la vie, la mort, la gloire et le toutim); une chanteuse qui ignore son texte multiplier les effets de manche; un président de l’ADISQ chercher inutilement des puces à la ministre de la Culture…
Agnès Maltais avait de quoi écarquiller les yeux. Alors que son ministère obtient plus que la note de passage en soutenant le disque québécois, Pierre Rodrigue semonce maintenant la ministre d’accorder des crédits d’impôt qui vont permettre aux humoristes d’endisquer des jokes de blondes. Il ne faut pourtant pas être très fin pour comprendre que ce fric en plus serait du fric en moins pour la chanson. Dans un contexte économique où des politiques culturelles qui incitent encore à ne prêter qu’aux riches ont la vie dure (20 000 dollars de subventions à l’écriture pour Roch Voisine jadis), on imagine où s’en serait allé l’argent avec ces farceurs professionnels qui engrangent les millions.
Question uniformisation des cultures, M. Rodrigue pourrait s’intéresser un peu plus à ce qui se passe dans sa cour avant d’aller pitcher des roches dans la cour des grands. Il pourrait, par exemple, prêter l’oreille à ces radios urbaines qui diffusent à longueur d’année les mêmes six artistes francophones, trichent continuellement avec les quotas francophones et se débarrassent de cette obligation comme on va aux chiottes, à des heures de grand sommeil.
On pourrait aussi lui faire remarquer que son propre gala n’encourage en rien la diversité. L’ADISQ s’est régulièrement fait accuser par le passé d’«ostraciser» des genres musicaux comme le country ou le classique pour des questions de cotes d’écoute. Musique du monde, rock alternatif, vidéoclip de l’année, pochette même. Voilà quelques catégories dans lesquelles on aurait aimé rencontrer quelques créateurs méconnus du grand public. En consacrant tout ce temps d’antenne à un défilé de chanteurs et de chanteuses surexposés, l’ADISQ maintient son public dans l’ignorance d’une bonne part de ce qui se fait ici. Et c’est comme ça qu’on fait un show plate, convenu, prévisible qu’aucune séance de lavage de linge sale ne parvient à faire lever.
Alors la prochaine fois qu’à l’ADISQ, vous voudrez tuer le temps durant un pépin technique, profitez plutôt du silence pour chercher la solution à la délicieuse contrepèterie: l’animatrice a une panne de micro (de une minute); ou demandez-vous si Jean Leloup regarde la télévision.