Légalisation des drogues : La filière Soros
Société

Légalisation des drogues : La filière Soros

L’Américain Georges Soros est l’un des hommes les plus riches du monde. C’est aussi un schizophrène: lorsqu’il ne fout pas des pays au bord de la faillite en spéculant sur leur monnaie, il finance des organismes à but non lucratif. L’un de ceux-là est le Lindesmith Center, une institution qui lutte pour mettre fin à la guerre contre la drogue. Cette institution est dirigée par ETHAN NADELMANN, qui a étudié à l’Université McGill. Nous l’avons joint dans ses bureaux de New York.

«Ah! C’est donc vous qui voulez rendre les drogues légales?» se fait souvent lancer Ethan Nadelmann. Pourtant, bien que considéré aujourd’hui comme un des principaux détracteurs de la politique antidrogue du gouvernement américain, ce diplômé en sciences politiques de McGill (eh oui!) et de Harvard se montre frileux à l’idée de rendre les drogues légales. Mauvais timing, croit-il: la population n’est pas prête pour un tel changement.

Elle serait, en revanche, de plus en plus disposée à voir les milliards de dollars dépensés annuellement pour la lutte contre les drogues servir à enrayer les véritables fléaux causés par la prohibition des drogues: la violence, le crime organisé, la maladie et la souffrance.

Financé par le multimilliardaire Georges Soros – qui partage avec lui la conviction que le gouvernement fait fausse route -, Nadelmann met sur pied, en 1994, le Lindesmith Center, un institut de recherche qui critique la politique de prohibition des drogues aux États-Unis. L’institut, qui se veut un incubateur d’idées en matière de gestion des drogues, tente depuis de faire avancer le débat entourant la politique de «tolérance zéro», un débat qui, constatent Soros et Nadelmann, commence à peine à trouver écho au sein de la population.

Nous avons joint Ethan Nadelmann dans ses bureaux de New York.

Comment le multimilliardaire Georges Soros en est-il arrivé à financer votre projet?
J’enseignais à l’Université de Princeton quand j’ai reçu un appel me disant que monsieur Soros voulait dîner avec moi. Nous avons alors beaucoup discuté, et, à la fin du repas, il m’a dit ceci: «Nous avons quelques divergences d’opinion, mais je vois que nous nous entendons sur les points fondamentaux. Mon horaire est très chargé, mais j’ai des ressources et je veux les mettre à profit pour que nous atteignions nos objectifs communs.» J’ai donc dressé un plan d’action et, un an plus tard, je laissais mon travail pour me consacrer entièrement au Lindesmith Center. C’était en 1994; aujourd’hui, le centre emploie dix-huit personnes à temps plein.

Le but de votre projet est de changer la façon dont le gouvernement traite les consommateurs de drogues. Vous voulez qu’il passe «du sermon et de la punition au traitement et à la réhabilitation». Comment cela pourrait-il se faire?
Nous partons du fait que la lutte contre la drogue est remarquablement coûteuse, contre-productive, inefficace et immorale. Il faut donc absolument changer d’approche. Une solution de remplacement serait de considérer la drogue comme un problème de santé publique, et non comme un problème criminel. Pour ce faire, beaucoup de choses doivent changer! Les lois, les mentalités, les façons de gouverner, etc.

Ce n’est pas gagné d’avance. Par exemple, huit États américains refusent toujours de légaliser la méthadone, un produit utilisé pour traiter les héroïnomanes; et dans bien des États, il n’y a carrément aucun programme d’échange de seringues usagées! Les États-Unis sont l’un des pays où les gens qui consomment des drogues sont le plus fortement touchés par le sida. La politique draconienne mise en place par le gouvernement à l’égard des drogues entraîne ce genre de désastres.

Que pensez-vous des méthodes de sensibilisation employées par le gouvernement pour réduire la consommation de drogues?
Elles sont inefficaces. Avec sa campagne intitulée Just say no, le gouvernement réussit à rejoindre les jeunes de l’école primaire. J’ai une fille de onze ans, et quand on lui dit non, c’est non, point. Mais quand vous vous adressez à des élèves du secondaire, qui sont à un âge où ils expérimentent l’alcool, la cigarette et la marijuana, le slogan Just say no ne sert plus à grand-chose.

Donc, au lieu de matraquer un slogan bidon comme Just say no, le gouvernement devrait dire aux jeunes Just say know! [NDLR: Renseignez-vous!] On devrait considérer l’éducation sur les drogues de la même façon que l’on considère l’éducation sexuelle: même si on veut éviter que les jeunes s’engagent trop tôt dans la sexualité, on sait pertinemment qu’ils auront des relations sexuelles bien avant l’âge où leurs parents aimeraient qu’ils en aient. Est-ce une raison pour ne pas leur montrer à réduire les risques? Pas du tout. Une bonne éducation sexuelle tient compte de la réalité: une bonne éducation sur les drogues devrait faire de même.

À ce titre, notre stratégie a aussi le mérite de ratisser plus large que celle du gouvernement. Quand Just say no ne fonctionne pas, il ne reste plus rien. Par contre, une éducation éclairée et intelligente sera toujours là si le jeune décide d’essayer une drogue.

Croyez-vous que toutes les drogues devraient être décriminalisées?
Non. La marijuana, oui. Mais pas le reste. Ce que je crois, c’est que l’état de prohibition dans lequel nous nous trouvons présentement doit cesser, car c’est une des sources majeures des problèmes. Mais je ne crois pas que la légalisation soit la meilleure solution, tout comme je ne crois pas que la tolérance zéro soit souhaitable. Je suis en faveur de l’approche du moindre mal.

La politique vis-à-vis des drogues doit viser à réduire deux choses. D’une part, elle doit atténuer les conséquences négatives de l’usage des drogues, comme les overdoses, les décès, les maladies. De l’autre, elle doit réduire les effets négatifs liés à la prohibition: le crime, la corruption, l’incarcération massive, etc. Actuellement, le gouvernement est incapable de diminuer ni l’une ni l’autre! Au contraire: en 1980, le gouvernement dépensait un milliard de dollars par année en lutte contre la drogue. Aujourd’hui, c’est dix-huit milliards! Et la drogue est toujours aussi accessible. C’est de l’argent jeté par les fenêtres.

Pourtant, certaines personnes demandent la légalisation pure et simple de toutes les drogues. Je ne dis pas que c’est une mauvaise chose, mais je pense qu’il est trop tôt pour de telles actions. C’est d’ailleurs ce que tente présentement de faire le gouverneur du Nouveau-Mexique, et son discours dérange et étonne les habitants de l’État. Les gens ne sont pas encore capables de faire la distinction entre les problèmes causés par la prohibition et ceux entraînés par la drogue elle-même. Cette réflexion doit d’abord être entreprise pour qu’il y ait ensuite un débat intéressant sur la question de la légalisation.

Vos opposants vous accusent de vouloir conduire l’Amérique dans le nihilisme et le chaos. Comment réagissez-vous face à ces accusations?
Je crois que les arguments de bien des gens qui critiquent nos actions sont enracinés dans la peur et l’ignorance. Mon expérience m’a appris que les gens qui prennent le temps d’écouter ce que nous avons à dire se rendent compte qu’ils ne sont finalement pas si en désaccord que ça avec nous. J’ai donné plusieurs conférences devant des salles remplies de policiers, et, à la fin, plusieurs sont venus me voir pour me dire à quel point mes idées leurs avaient plu, même s’ils ne pensaient pas être d’accord au début!

Mais, aux États-Unis, il y a environ 20 % de la population qui ne veut pas écouter notre discours. Ce sont des radicaux issus de la même veine que les anticommunistes des années cinquante. Pour eux, les drogues sont immorales, point. En fait, ils considèrent l’usage des drogues de la même façon que les fondamentalistes religieux considèrent l’homosexualité: c’est un péché! Ils se foutent des coûts sociaux, des analyses économiques, ou de tout autre argument: la drogue, pour eux, c’est le diable en personne. Le hic, c’est que ce 20 % est très influent, notamment au sein des instances qui décident de la politique nationale en matière de drogues. Ça paralyse le système.

Votre centre fonctionne avec un budget annuel de 1,7 million de dollars. En contrepartie, Washington dépense dix-huit milliards annuellement dans sa lutte contre la drogue. Comment pensez-vous faire le contrepoids?
Eh bien… nous devons faire en sorte que chaque dollar que nous dépensons compte pour mille des leurs! Sérieusement: nous essayons de faire en sorte que le plus de gens possible réfléchissent sur la question des drogues et remettent en question la politique actuelle du gouvernement. Par exemple, présentement, je suis en train de vous parler; tout à l’heure, je vais donner une entrevue à la radio et à la télévision britanniques; cet après-midi, j’ai dîné avec Georges Soros et un sénateur, avec lequel nous avons discuté des politiques sur les drogues; nous préparons plusieurs conférences, et deux de mes confrères sont présentement au Vermont pour essayer d’y légaliser la méthadone. Nous oeuvrons sur plusieurs fronts, et tentons de rejoindre le plus de personnes possible.

Et notre voix est de plus en plus écoutée. Nous sommes toujours minoritaires, mais de plus en plus de gens adhèrent à nos idées. J’ai récemment écrit un long article pour le L. A. Times, et il a été reproduit dans plusieurs journaux importants à travers le pays. Il y a seulement cinq ans, ç’aurait été impensable.

En 1993, vous avez déclaré que d’ici cinq à dix ans, le droit de posséder et de consommer des drogues serait aussi inébranlable et accepté que tous les autres droits dont jouissent les Américains. Êtes-vous encore aussi optimiste?
Non. Je ne crois pas que mon échéancier était réaliste. Il ne faut pas oublier que notre société vit une période d’interdictions: nous sommes de plus en plus sévères vis-à-vis de l’alcool et de la cigarette. Et ce mouvement va en s’accentuant: dans dix ans, nous n’achèterons plus l’alcool et les cigarettes comme nous les achetons maintenant.

Mais, à court terme, ce qui pourrait se produire, c’est une convergence dans nos politiques à l’égard des drogues. Nous pourrions continuer à durcir nos lois contre l’alcool et les cigarettes – tout en les maintenant légales – et, au même moment, décriminaliser la marijuana et d’autres substances tout en se gardant de les rendre aussi accessibles que l’alcool et les cigarettes. La solution réside peut-être dans une sorte de consensus. Par exemple, aux Pays-Bas, la marijuana n’est pas exactement légale, mais elle n’est pas exactement illégale non plus: la vente au détail est essentiellement tolérée, alors que la vente de gros est interdite.

Mais je crois que le fond de l’affaire est qu’il est immoral de discriminer les gens sur la base des substances qu’ils consomment. Nos jugements devraient tenir compte du mal que les gens font aux autres, pas de ce qu’ils choisissent de mettre dans leur corps.


Les prescriptions d’Ethan Nadelmann
Monsieur Nadelmann, que devrait-on faire avec la marijuana?

La marijuana devrait être taxée, contrôlée et vendue en magasin. Le rôle de la société serait ensuite d’éduquer les jeunes relativement aux dangers de la mari, comme on le fait présentement pour le tabac ou l’alcool.

L’héroïne?
Pour l’héroïne, nous devrions peut-être penser comme les Suisses, les Hollandais et bientôt les Allemands, c’est-à-dire mettre de la méthadone et même de l’héroïne à la disposition des héroïnomanes. Qu’on arrête de faire l’autruche! En contrôlant l’héroïne, on réduit le crime, la violence, les décès, les maladies – bref, une partie de la souffrance sociale entraînée par cette drogue -, et c’est ce qui importe le plus.

La cocaïne?
Avec la cocaïne, c’est beaucoup plus compliqué. Mais il y a quand même des choses que l’on peut faire. La cocaïne vient du coca, qui est cultivé en Amérique du Sud. On pourrait commencer par légaliser l’exportation des produits dérivés du coca, des produits dont la teneur en cocaïne est faible. Ce faisant, on commencerait à gruger un peu du terrain qu’occupe le marché noir, ce qui contribuerait encore une fois à réduire le crime.
Je crois qu’un cocktail composé de décriminalisation modérée, d’approche sensée et d’éducation concourrait à sauver des vies et à épargner une bonne partie de l’argent dépensé pour combattre les drogues. Et, au fond, c’est ce que les gens veulent.