Société

Recherche universitaire : Chute libre

La recherche universitaire québécoise est à l’article de la mort. Afin de survivre, elle se tourne donc vers l’entreprise privée. Les universités deviendront-elles des labos au service de l’industrie?

«Oui, c’est sûr qu’il y a un problème au niveau du financement de la recherche… Il faut s’y attaquer de façon urgente.»

Le président du Conseil de la science et de la technologie du Québec, Camille Limoges, pose un constat alarmant. Après plus de cinq années consécutives de coupes dans les budgets de recherche et d’embauche de professeurs dans le réseau des universités, les gouvernements commencent seulement à reconnaître la problématique qu’ils ont engendrée. «Dès 1994, il y a eu une diminution nette des fonds octroyés, surtout du fédéral.»

Et malgré toute la bonne volonté que semblent démontrer les élus, on est loin du Klondike, croit monsieur Limoges. «Ça nous remet à la situation de 1994. Mais en dollars constants…» Dans les faits, le problème subsiste donc entièrement. Pire, il s’aggrave.

Selon Camille Limoges, si l’on compare notre prorata de chercheurs/produit intérieur brut ou nombre d’habitants à celui des autres pays industrialisés, le résultat est toujours le même: «On est en déficit.» En plus, face à notre principal compétiteur, l’Oncle Sam, nous serions loin de gagner du terrain comme tentent de nous le faire croire les autorités. «On n’est pas en train de diminuer l’écart; il s’accroît!» expose l’homme alarmé qui va déposer, d’ici quelques semaines, un mémoire à ce sujet sur le bureau du ministre responsable de la Recherche, de la Science et de la Technologie, Jean Rochon.

«Il y a bien des choses qu’on ne peut pas faire parce qu’on n’a pas assez d’argent», renchérit le vice-recteur à la recherche et doyen de la faculté des études supérieures et de la recherche de l’Université McGill, Pierre Bélanger. Les représentants étatiques doivent donc sortir de leur torpeur, selon lui. Ce serait une question d’avenir pour la société québécoise.

En plus des diminutions de budget des organismes «subventionnaires», les coupures de cinq cent millions de dollars imposées aux universités seraient la principale cause de la «périclitation». «Ça a fait mal aux chercheurs.» Faute de ressources pécuniaires, on ne peut mettre à leur disposition des équipements valables et leur octroyer des salaires à la hauteur des offres émanant de l’étranger. Plusieurs partent donc vers la fortune, alors que ceux qui restent doivent donner les bouchées doubles et abandonner certains projets d’envergure.
En bout de ligne, c’est la relève qui écope. Le manque de temps et d’argent affecte directement les étudiants aux cycles supérieurs qui seront les chercheurs et penseurs de demain.

Voilà un cercle vicieux qu’il faut briser au plus vite selon la vice-rectrice à la recherche de l’Université Laval, Louise Fillion. «\La capacité de recherche repose en grande partie sur le renouvellement du corps professoral, fait-elle valoir. Quand, durant plusieurs années, on ne le renouvelle pas, c’est problématique.» Elle rappelle que les jeunes apportent de l’eau au moulin, débarquent avec de nouvelles idées qui peuvent faire progresser les recherches.
Madame Fillion soulève également une autre entrave à l’avancement de la connaissance. De tout temps, les sciences humaines, sociales, les arts ainsi que les lettres ont été dénigrés par les organisations qui subventionnent la recherche universitaire. «Ces domaines sont sous-financés, souligne-t-elle. Il ne faut pas négliger les retombées de la recherche en sciences humaines.»

Mais, peu importe le domaine, la solution envisagée pour contrer les effets pervers du désistement de l’État semble émaner du monde des affaires. «Ils ont compensé par une plus grande ouverture au secteur privé… Les contributions d’organismes externes non-gouvernementaux sont de plus en plus importantes», détaille Jean Lebel, directeur des études de cycles supérieurs et de la recherche pour toutes les universités du Québec (UQAM, UQTR, UQAR…).

Ce nouvel élan de générosité du privé pour la recherche universitaire engendre toutefois bien des contraintes. Monsieur Lebel explique que les chercheurs modifient maintenant leurs projets afin de les rendre plus attrayants pour les entreprises. Il faut donc que les résultats soient monnayables. Et, encore une fois, quels sont les secteurs qui en ressortent grands gagnants? «Ce sont les sciences pures et appliquées de même que la santé qui en bénéficient.»

Néanmoins, Monsieur Lebel doute que les laboratoires des universités deviennent des prolongements des laboratoires industriels. Il croit fermement qu’un équilibre sera trouvé et que le «fondamental» aura encore sa place au Québec. «L’argent du public va toujours demeurer la principale source… Il ne faudrait pas que le privé dépasse la moitié [de la somme].»

Amélioration en vue

Le vice-recteur à la recherche de l’Université de Montréal, Alain Caillé, partage l’essentiel des critiques de ses collègues mais demeure optimiste. Les récents engagements du fédéral dont nous avons eu vent lors du discours du trône et le désir du Québec de soumettre sous peu une politique scientifique laisseraient entrevoir des jours meilleurs. «À l’horizon, les choses s’améliorent. On a un bon espoir de réinvestissements.»

Toutefois, M. Caillé doute que l’ensemble des universités québécoises pourra être dans le peloton de tête. «On va assister à une spécialisation… Il faut que le Québec ait le courage de se donner de grandes universités», juge-t-il.

Le ministre Jean Rochon assure quant à lui que la recherche est sortie du marasme. «Je ne dis pas que le problème n’est plus là. Ce qui est important, c’est de réaliser qu’on s’en est sorti. On est déjà reparti pour bâtir l’avenir.»

Le ministre Rochon insiste même sur le fait que le Québec ne serait pas si en retard face aux autres puissances. Mais il admet que des efforts supplémentaires devront être investis. Il espère donc pouvoir maintenir les mesures du dernier budget afin d’insuffler un peu de vitalité dans la recherche, quelques centaines de millions de dollars.

Malheureusement, le ministre de l’Éducation du Québec, François Legault, n’a pas donné suite à notre demande d’entrevue. Il en va de même pour le ministre de l’Industrie du Canada, John Manley. Trop occupés.