Société

Entrevue avec Jacques Languirand, communicateur : À propos de la condition masculine

Animateur de radio, comédien et auteur, JACQUES LANGUIRAND porte plusieurs chapeaux. Il participera au Forum québécois sur la condition masculine qui se tiendra cette fin de semaine au Cégep de Limoilou, une activité organisée par le centre de ressources AutonHommie de Québec.

Le forum auquel vous participerez veut redéfinir ce qu’est l’homme. Pourquoi est-il si important de marquer la différence entre le masculin et le féminin?
«La question ne se pose pas tout à fait comme cela. La vérité, c’est qu’il n’y a pas de modèle de ce que nous sommes en train de devenir. Puisqu’il n’y a pas de clé, il est nécessaire d’examiner la condition masculine, mais sans perdre de vue la condition féminine. Je ne pense pas qu’il faille spécialiser entièrement notre regard.

Il était évidemment plus simple de naître homme à l’époque où moi j’ai vu le jour, dans les années 1930. À cette époque-là, on ne s’interrogeait même pas tant c’était clair. Il y avait une domination mâle et, aujourd’hui, la société se transforme considérablement. La femme prend sa place dans le monde, l’homme se sent bousculé – il l’est, d’une certaine façon – alors il doit maintenant redéfinir sa position par rapport à la femme. C’est même toute la société qui doit se redéfinir; on ne se rend peut-être pas suffisamment compte à quel point tout est à repenser. Être jeune, c’était plus simple autrefois qu’aujourd’hui. Tout est devenu plus complexe. Il faut donc, comme le disait le philosophe Edgar Morin, s’entraider à penser de façon complexe; il ne faut pas juger des choses avec un esprit de simplification.»

Un véritable affranchissement des stéréotypes homme/femme ne serait-il pas plus profitable à notre société?
«D’une certaine façon, oui… Mais prenons le cas du féminisme, qui a connu deux étapes. Dans un premier temps, on disait qu’une femme et un homme, c’était pareil, que toute la différence relevait d’un conditionnement par le milieu. La deuxième étape, c’est lorsqu’on s’est rendu compte que la femme, en réalité, n’est pas pareille à l’homme. À partir de ce moment-là, on s’est dit que l’égalité doit exister dans la différence et non pas en fonction de la similitude.

Par exemple, la gestion féminine (la gestion par les femmes n’étant pas nécessairement féminine) est sensiblement différente. Elle fera preuve de plus d’ouverture, aura une vision plus large en ce qui concerne les conditions des travailleurs. Les hommes sont plus pointus; ce n’est pas une allusion à leur sexe, mais presque. Les hommes sont plus spécialisés que les femmes. Il y a des femmes qui vont dire qu’elles peuvent être spécialisées et je n’ai rien contre cela! Cela m’agace qu’on soit obligés de tenir ce genre de propos. Que les femmes fassent ce qu’elles veulent, bien sûr. Cela suppose aussi le droit ou le privilège d’être différente. À l’homme aussi d’être différent; mais cette différence doit être redéfinie en fonction du rôle que la femme joue dans la société.

Pour moi, il n’y a pas de conflit. Il s’agit seulement d’un regard qu’on jette sur les choses pour arriver à trouver des solutions à notre vie commune. Je souhaite qu’on ne réagisse pas en tant qu’homme à ce qu’est la femme et à ce qu’elle fait, qu’on arrête de se définir par rapport à cette situation et qu’on envisage d’agir. Que doit-on faire et être, nous, les hommes?»

Est-il possible que, contrairement à leurs aînés, les hommes âgés de moins de 30 ans n’aient pas perdu leurs repères?
«Il est important que la formation soit "bisexuée", dans une certaine mesure, mais il est également important que les garçons soient pris en charge par des hommes. Je suis de cet avis depuis très longtemps. La situation qui prévaut actuellement dans le système d’éducation vient beaucoup de la première vague du féminisme – qui n’est pas sans vertu – qui a "désexualisé" l’école, qui mettait l’accent sur l’absence de différences. Maintenant, il faut franchir cette étape-là dans le domaine de l’éducation et donner les mêmes chances aux filles et aux garçons, en tenant compte de la différence et sans mettre l’accent dessus.

Je pense que, lorsqu’ils sont jeunes, les garçons ont de la difficulté à prendre des femmes pour modèle et à leur obéir. Il faut que les mâles règlent certains problèmes entre eux, ils faut que les garçons prennent leur modèle chez les mâles.»

L’homme a-t-il perdu la «guerre des sexes»?
«Il a perdu une bataille, mais il n’a pas perdu la guerre… C’est certain qu’il a perdu des plumes dans l’entreprise de conquête de la femme, mais c’est pour le mieux! Ce que je veux dire, c’est que maintenant qu’on a reçu des coups dans l’oeil, il faut repenser sérieusement notre affaire, sans aborder la question comme s’il s’agissait d’une situation conflictuelle entre les deux sexes.»