Le journalisme: y croyons-nous encore?
C’est la question que la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) pose à ses membres en vue du prochain congrès annuel qui se tiendra à Sainte-Adèle, du 26 au 28 novembre (avis aux intéressés: c’est ouvert au public).
La question est toujours pertinente. Les sondages d’opinion ont beau répéter que la population a peu d’estime pour les journalistes, le travail journalistique réussit encore, à l’occasion, à exposer les abus des plus grands au détriment des plus petits.
Pour s’en convaincre, il suffit d’aller voir The Insider, l’excellent film de Michael Mann mettant en vedette Al Pacino. Ce long métrage raconte comment le réseau américain CBS a tenté d’empêcher la diffusion d’un reportage dévastateur sur l’industrie du tabac, par crainte d’une poursuite qui aurait pu nuire à la vente du réseau, et donc priver ses actionnaires de plusieurs millions de dollars.
Les pessimistes sortiront du cinéma en rageant contre la concentration des médias qui complique le travail des journalistes tandis que les optimistes, eux, retiendront une chose: la vérité a fini par être exposée au grand jour. Après tout, c’est ce qui compte.
Or, s’il faut en croire les critiques, les médias sont de moins en moins soucieux d’informer et de plus en plus obsédés par le divertissement, la cote d’écoute et la rentabilité.
Ce constat, qui est loin d’être nouveau, est au cour de deux récents ouvrages: La Tyrannie de la communication, écrit par Ignacio Ramonet, directeur du Monde diplomatique (voir entrevue en page 14) et Don’t Shoot the Messenger: How our Growing Hatred of the Media Threatens Free Speech for All of Us (traduction libre: Comment notre haine des médias menace notre liberté d’expression à tous), de Bruce W. Sanford, un avocat spécialisé dans les questions de liberté de presse.
Dans les deux cas, les auteurs parlent du dérapage des médias, des dangers de la désinformation et de la méfiance du public envers la couverture journalistique en général.
À titre d’exemple, les deux hommes citent le même cas, celui du Monicagate et remarquent que, malgré l’insistance de la classe journalistique à réclamer la démission du président, la population américaine n’a pas suivi. Pourquoi? Parce que les gens se méfient de plus en plus des médias, disent-ils.
Ce qui fait dire à Ramonet que leur crédibilité est en jeu. Sanford, lui, sonne l’alarme: les médias creusent leur propre tombe. Sans l’appui de la population, qui défendra les médias lorsque le pouvoir (financier, politique ou autre) tentera de les museler? Personne.
En entrevue, Ignacio Ramonet fait également référence à la concentration de la presse comme obstacle au travail journalistique. Il cite le cas de la General Electric qui est propriétaire du réseau NBC, une réalité qui a teinté la couverture journalistique de la guerre du Golfe, en 1991.
Le problème de la concentration des médias a des échos chez nous. Le 15 septembre dernier, le Syndicat des travailleurs de l’information du Journal de Montréal déposait une plainte à l’effet qu’il y avait des pressions exercées auprès de ses membres pour orienter la couverture journalistique concernant la station TQS. Le comité des sages mis sur pied lors de l’achat de TQS par Quebecor a rejeté la plainte mais a toutefois proposé l’adoption d’un code de conduite qui encadrerait les relations entre les différentes filiales de Quebecor sur le plan de l’indépendance des décisions rédactionnelles.
Cette situation a également fait l’objet d’un reportage dans le cadre de l’émission Médias dimanche dernier (Radio-Canada, 11 h 30). Le représentant des travailleurs de l’information du Journal de Montréal a bien démontré l’importance démesurée que son quotidien accordait aux activités de l’empire Québécor. «Ce n’est pas de l’information, c’est du publireportage», a-t-il remarqué.
Dans ce contexte pour le moins délicat, comment faut-il interpréter un texte de Paule Beaugrand-Champage, rédactrice en chef du Journal de Montréal, publié ces jours-ci dans le programme du congrès de la FPJQ? Dans ce billet intitulé Plaidoyer pour le feu sacré, elle écrit: «Je ne comprends pas qu’un journaliste, dans n’importe quelle boîte que ce soit, puisse dire: la direction ne veut pas qu’on couvre, elle ne pense qu’à couper les budgets, on ne peut plus travailler. Ben voyons donc! Personne ne peut empêcher un ou une journaliste, passionné(e) de son métier, de trouver une histoire, de la fouiller et de la publier. La société n’a jamais été aussi friande de nouvelles!
(…) [Les journalistes] sont-ils blasés ou paresseux? Je ne sais trop. Mais j’ai souvent eu envie de les brasser, de leur dire: lâchez les virgules de la convention collective, si vous avez le bonheur d’être syndiqué, et profitez de la protection et du salaire qu’elle vous donne pour mieux faire ce métier, pour retrouver le feu sacré que vous avez déjà eu.»
S’agit-il d’un encouragement à peine voilé de Madame Beaugrand-Champagne à ses journalistes? À moins qu’elle ne critique ses troupes sur la place publique? Étant donné la réputation sans tache du personnage, on optera pour la première option. Reste que son commentaire soulève des questions intéressantes.
Bref, en demandant à ses membres s’ils ont encore le feu sacré, la FPJQ s’apprête à débattre des questions de fond. Le congrès risque d’être passionnant.
Sélection du festival de Banff
Vous voulez voir de la bonne télé? La Cinémathèque québécoise vous invite à visionner la sélection des meilleures émissions de télé du dernier Festival de Banff (l’équivalent de Cannes pour la télé, nous dit-on). Jusqu’à dimanche prochain, vous pourrez voir des émissions en provenance d’Israël, d’Irlande, des Pays-Bas, d’Angleterre, etc. Pour obtenir la programmation complète, consultez le programme de la Cinémathèque ou son site Internet (www.cinematheque.qc.ca). L’entrée est libre.
Mon ennemi intime
Si vous avez manqué cet excellent documentaire présenté cet automne au complexe Ex-Centris, voici la chance de vous rattraper. Le cinéaste allemand Werner Herzog nous parle ici de sa relation ambiguë avec cet étrange personnage qu’était l’acteur Klaus Kinski. Un film intense. Dimanche 21 novembre, à 21 h 30. Télé-Québec.