Je ne peux pas douter des bonnes intentions de l’administration Bourque-Fortier avec sa loi anti-sacs blancs. En matière de matières putrescibles, un nombre ahurissant de Montréalais sont indisciplinés.
Dans plusieurs quartiers résidentiels, des ruelles ont des haleines de lendemain de brosse, tant les ordures sont jetées n’importe quand, n’importe comment et dans n’importe quel état.
Pas nécessaire de faire un Ti-Mé de soi pour bien gérer ses propres déchets: il suffit d’un peu de jarnigoine et le tour est joué. Mais, pour plusieurs Montréalais, c’est encore trop demander.
Voilà pourquoi l’administration du maire Bourque, dont la propension à la propreté n’est plus à prouver, a vu, par son troisième oeil, planer la menace du petit sac blanc.
Quand, en mai dernier, la Ville a rendu publique la nouvelle réglementation, je me suis interrogé dans ce même espace: après quatre-vingt-seize heures en ligne à l’étudier sous tous ses angles, à la regarder, l’observer, la toucher, la humer, y goûter, je me suis demandé comment une chose à l’allure aussi inoffensive avait pu provoquer un tel mépris.
L’intention est louable, mais l’enfer est pavé de bonnes intentions, et dans ce cas-ci, elles nous mènent droit à la tentation du potentat à laquelle la Ville de Montréal semble souvent succomber.
Car ce n’est pas tant l’esprit du règlement qui dérange, mais son application. Pour éliminer un problème de pucerons dans ses rosiers, notre jardinier-maire vaporise à l’Agent Orange.
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Soixante-quinze dollars à la première infraction, jusqu’à mille dans les cas de récidive.
C’est quand même hallucinant de constater qu’à mon troisième sac blanc illégalement déposé, on pourrait saisir mon automobile, ma télévision et ma chaîne stéréo! Pour trois malheureux sacs blancs, pourtant dûment fermés, parfaitement étanches et jetés à la rue à la bonne heure.
Pour une sentence similaire, il faut brûler des BPC, se garer vingt-cinq fois devant une borne-fontaine, rouler à 175 km/h dans une zone scolaire, chasser le chevreuil au missile Cruise, battre les enfants dont on a la garde… Et encore.
La Ville se comporte en matrone: grosse, acariâtre, vulgaire, et crissement «patroneuse» relativement aux aspects de la vie civile de ses citoyens, quand elle aurait d’autres chats à fouetter.
Par exemple, la Ville n’a même pas fait de représentation devant la Commission internationale mixte des eaux des Grands Lacs et du Saint-Laurent, où se joue pourtant l’avenir du fleuve! Mais le petit sac, lui…
Au-delà du règlement, il y a l’insistance. L’insistance d’un esprit illuminé, inspiré par un écologisme de pacotille. On peut être le champion des bonnes manières dans le salon de thé, et raidir le petit doigt en levant sa tasse, ça ne nous empêche pas d’être un gros malotru en privé.
Évidemment, comme tout bon potentat, la Ville applique son pouvoir de façon discrétionnaire. C’est ainsi qu’un citoyen du secteur du Bout-de-l’île s’est vu obligé de défrayer plus de huit mille dollars, rubis sur l’ongle, pour la réparation d’un bout de tuyau d’égout qui connecte sa toilette au réseau municipal, sous la rue. Que voulez-vous, c’est le règlement… même si partout ailleurs (où le gros bon sens prévaut), le réseau d’égouts sous la voie publique est la responsabilité de la municipalité.
Le règlement, c’est le règlement? Pourtant, on vend des condos avant d’avoir les permis de construction et les changements de zonage; et on «rénove» le Rialto sans autorisation, en toute impunité. Si vous êtes l’entrepreneur qui développe la Cité Paul-Sauvé, la Ville enfouit même pour vous, à ses frais, le réseau électrique. Tout dépend du pont d’or que vous étendez devant la Ville.
He’s back!
L’amiral Nelson est de retour sur sa colonne, place Jacques-Cartier, après deux ans d’absence – et ce, au grand plaisir de la Ville et des Montréalais. Une place pour Jacques Cartier amputée de son Horatio Nelson, là depuis 190 ans, c’était un peu désolant.
Il y a quelque chose de biologiquement montréalais là-dedans, quelque chose comme la molécule zéro de l’identité montréalaise.
Dans la deuxième ville francophone du monde, un militaire britannique a mérité sa colonne pour avoir bouté hors de son chemin tous les Français qu’il a croisés – à Trafalgar et sur le Nil, notamment. Pire: il domine une place nommée en l’honneur de notre grand explorateur français! Jacques Cartier dans l’ombre de Nelson… Dans d’autres contrées, on s’est fait la guerre pour moins.
Alors qu’ici, quand un conseiller municipal de Vision Montréal avait suggéré de le déplacer sur le chemin Trafalgar, dans Côte-des-Neiges, pour cause de rectitude historique, la fronde publique avait été telle qu’on avait remisé l’idée au musée des ballons abattus.
C’est peut-être une forme collective du syndrome de Stockholm: vous savez, quand les otages se prennent de sympathie pour leurs ravisseurs?
C’est comme ça qu’on l’aime, Montréal: en forme d’éloge de l’incongru.