Le combat de Joël Pinon : La croisade d'un brave
Société

Le combat de Joël Pinon : La croisade d’un brave

JOËL PINON a créé tout un remous le printemps dernier en avouant avoir donné du sang en cachant volontairement son homosexualité. Il n’en est pas resté là. Survol d’un combat à finir contre la discrimination.

Les élus entérinent les réformes, mais ce sont les militants qui les provoquent. «Aucun changement social ne se fait sans activistes», insiste Joël Pinon. Activiste gai et militant politique – il s’est déjà présenté aux élections sous les bannières du P.Q. et du N.P.D. -, M. Pinon a créé tout un remous le printemps dernier lorsqu’il a avoué avoir donné du sang en omettant volontairement de déclarer son homosexualité.

En posant ce geste controversé, M. Pinon voulait relancer le débat sur l’interdiction faite à tous les homosexuels de donner du sang. En effet, le sang «gai» est refusé d’office par les organismes responsables des collectes de sang au Canada depuis 1985. L’activiste ne demande rien de moins que l’abrogation de ce règlement, arguant entre autres qu’il «perpétue le préjugé voulant que le sida ne soit qu’une maladie de gais».

«On sait que le sida touche maintenant autant d’hommes que de femmes et les hétérosexuels autant que les homosexuels. Pourquoi seuls les gais sont touchés par cette loi d’exclusion totale?» questionne M. Pinon, convaincu qu’Héma-Québec se trompe de cible. «Ce n’est pas l’orientation sexuelle, mais les pratiques sexuelles qui déterminent si une personne est à risque ou non», plaide-t-il.

Geste prémédité
Joël Pinon n’a pas agi sur un coup de tête. La nécessité de poser un geste pour combattre ce règlement qu’il juge «inhumain», «amoral» et «sans fondement légal» s’insinuait en lui depuis plusieurs mois déjà. Chaque fois qu’il y songeait, il se remémorait une phrase entendue de la bouche de Michel Chartrand il y a quelques années: «Si tu trouves qu’une loi est tyrannique, aie donc le courage de demander de la supprimer!»

Les préparatifs commencent vers février 1999, date à laquelle l’activiste passe le test de dépistage du VIH. Il est déclaré séronégatif, certificat à l’appui. Trois mois plus tard, il passe au mode offensif: le 22 mai, il se rend aux Galeries de la Capitale où se tient une collecte de sang. À la fameuse question numéro 16 du protocole, «Depuis 1977, avez-vous eu des relations sexuelles avec un autre homme?», il ment et il le sait. Mais il sait aussi que son sang est «propre». Lorsqu’il se démasque publiquement, une quinzaine de jours plus tard, son sang coule déjà dans les veines d’un autre homme. «Il fallait qu’une personne ait le sang d’un gai dans les veines avant de le dévoiler au monde entier, explique l’activiste. Sans cela, c’était un échec.»

Six mois plus tard, le militant ne regrette rien. «J’ai été la seule personne cette journée-là à mentir à la question numéro 16 – que je demande à ce qu’elle soit abrogée – et j’ai aussi été la seule personne à prouver ma séronégativité, papier en main, avant de donner de mon sang, soutient-il. En plus, j’étais abstinent sexuellement depuis plusieurs mois. J’étais sans doute la personne la moins à risque parmi tous les donneurs», se défend-il.

Plusieurs ne sont pas du même avis. Le ministre fédéral de la Santé, Allan Rock, a vite qualifié ce geste «d’irresponsable», tandis qu’Héma-Québec l’a accusé d’avoir mis la vie de plusieurs personnes en danger.

L’activiste n’est pas au bout de ses peines: à sa grande surprise, les associations de gais et lesbiennes s’empressent elles aussi de dénoncer son geste. Elles sont d’accord avec le principe, mais condamnent la méthode employée. M. Pinon croit pour sa part que les représentants de ces associations n’ont pas digéré le fait d’avoir été «pris de vitesse» par un seul individu.

Autre surprise pour le militant, la direction du journal Être, mensuel gai et lesbien de Québec, montre des réticences à imprimer un texte qu’il a soumis à la rubrique «courrier». M. Pinon affirme avoir dû insister beaucoup pour que sa lettre intitulée «Épuration de la race sanguine» paraisse dans l’édition de juillet 1999. Dans cette longue confession, qui ressemble à une première mouture de la lettre adressée aux commissaires de la Commission des droits de la personne que nous publions ci-après, M. Pinon cherche à expliquer son geste.

Deuxième «round»
Malgré les désaveux publics, M. Pinon dit n’avoir jamais pensé à mettre fin à sa croisade, qui a effectivement amené le débat sur la place publique. «Les straights n’étaient pas au courant de l’exclusion systématique des gais. C’est déjà une victoire d’avoir montré à la population que les gais étaient exclus», affirme-t-il.

L’activiste considère également la sortie publique conjointe du député bloquiste Réal Ménard, du Dr Réjean Thomas, spécialiste du sida, et de l’épidémiologiste Michel Alary, comme un appui tacite à sa cause. En août dernier, le trio a plaidé pour le don de sang des homosexuels. Ils ont dénoncé l’ambiguïté de la directive actuelle, qui vise un groupe social et non une pratique, tout en soulignant que la performance des nouveaux tests de dépistage du VIH ne justifient plus cette exclusion catégorique.

Quant à son bras de fer avec Héma-Québec, M. Pinon le poursuit dans un autre ring. L’activiste a déposé une plainte à la Commission des droits de la personne et de la jeunesse contre l’organisme pour discrimination basée sur l’orientation sexuelle.

Depuis qu’il a commis son coup d’éclat, en mai dernier, M. Pinon cherche à attirer l’attention des médias et, par conséquent, celle de la population. La plainte officielle fait également partie de ce que nous pourrions appeler sa «stratégie médiatique». «[Héma-Québec] sait qu’une nouvelle fait la manchette pendant deux jours et qu’on n’en parle plus après. Le vou suprême d’Héma-Québec, c’était de me faire oublier. Ils ne sont pas tombés sur le bon gars», assure M. Pinon.

Dans une lettre datée du 28 septembre 1999, la Commission lui annonce que sa demande est jugée recevable et qu’une enquête aura lieu. M. Pinon a accueilli cette réponse avec un brin d’ironie. En 1995, la même commission avait été chargée d’une plainte semblable. Elle avait alors reconnu le caractère discriminatoire de la question numéro 16, mais elle estimait que cette mesure visait le bien-être de tous.

La Commission pourrait-elle émettre un jugement différent? L’organisme affirme que «le contentieux est actuellement sous examen» et se refuse à tout autre commentaire. L’été dernier, Marc Bilocq, directeur du bureau de Québec, avait toutefois laissé entendre que la situation avait peut-être évolué en quatre ans, donnant l’exemple des nouveaux traitements du VIH.

Pour l’heure, Joël Pinon attend que le responsable de son dossier communique avec lui. Il veut bien faire preuve de patience, mais il ne lâchera pas prise: «Je suis prêt à attendre au moins jusqu’au prochain siècle, ironise-t-il. Je suis dans mon droit. Ils n’auront pas le choix», conclut l’activiste, confiant.