Conseil des Canadiens : À propos du «Cycle du millénaire» de l'O.M.C.
Société

Conseil des Canadiens : À propos du «Cycle du millénaire» de l’O.M.C.

MAUDE BARLOW est présidente du Conseil des Canadiens, un organisme non-partisan qui défend les programmes sociaux, la démocratie et la justice économique. Elle sera à Seattle la semaine prochaine, où elle participera à un sommet mis sur pied par les opposants à l’Organisation mondiale du commerce.

Y a-t-il une différence entre la conférence de Seattle et celle de Montréal, en 1998, où l’Accord multilatéral sur l’investissement (A.M.I.) était discuté?

«Oui. À Seattle, ce sont les ministres du Commerce de 135 pays qui se réuniront. Bill Clinton en fera l’ouverture, Al Gore, qui espère être le prochain président des États-Unis, va le clôturer et les têtes dirigeantes de toutes les grandes corporations y seront. Comme vous pouvez l’imaginer, les dispositifs de sécurité seront d’une envergure exceptionnelle. Le sommet sera beaucoup plus gros, mais il y aura aussi beaucoup plus de manifestants.

Quant aux objectifs, ils sont probablement les mêmes. Plusieurs éléments de la ronde de l’Organisation mondiale du commerce tentent de réintroduire l’A.M.I. dans le commerce international. Mais ils sont très prudents, ils ne l’appellent plus l’A.M.I.; ils parlent plutôt de règles gouvernementales régissant la compétition, de contrats gouvernementaux vendus à d’autres corporations ou à d’autres pays… Ils parlent également d’élargir les accords régissant les services, ce qui inclurait l’éducation, la santé et d’autres programmes sociaux. L’A.M.I. aurait éventuellement visé ces champs d’action.»

Un journal suisse a qualifié l’O.M.C. de «gouvernement mondial dans l’ombre»; cela vous paraît-il justifié?
«Tout à fait. Je parierais qu’il n’y a pas un élu sur cent au Canada qui sait que le gouvernement fédéral s’apprête à négocier la santé, l’éducation et les programmes sociaux. Ceux qui négocient les accords commerciaux pour tous les pays du monde sont des bureaucrates dont le mandat est de libéraliser les échanges et les investissements, point. On ne leur dit pas d’essayer de protéger l’environnement où les services publics; leur mot d’ordre est beaucoup plus simple: «Va et abat toutes les barrières qui limitent les échanges.» C’est leur travail et ils le font. Ils établissent les cibles et les objectifs; ensuite, les politiciens se rencontrent et tentent d’atteindre les objectifs. Mais les politiciens ne sont pas élus sur cette base; les Canadiens et les Québécois n’ont pas voté pour que le gouvernement fasse la promotion de cela. C’est profondément antidémocratique.»

Bill Clinton a déjà déclaré que la mondialisation n’était pas un choix, mais un fait.
«Il a raison jusqu’à un certain point. La question que nous nous posons c’est: sous quelles conditions? Je ne suis pas contre une mondialisation des standards environnementaux ou une mondialisation des droits humains… La mondialisation dont nous parlons aujourd’hui, c’est la mondialisation d’une monoculture de marché où la démocratie doit prendre la deuxième place derrière les libertés économiques.»

Est-ce que la mondialisation implique nécessairement des inégalités?
«\Il y a bien sûr des pays, des corporations et une classe de gens dans plusieurs pays qui profitent beaucoup de la mondialisation de l’économie. Mais le fossé entre les pays riches et les pays pauvres, et entre les riches et les pauvres dans un même pays, s’est creusé dramatiquement avec le libre-échange. Les organisations internationales du travail estiment qu’il y a environ deux milliards de personnes qui sont soit sans emploi, soit en manque de travail. Dans un système de mondialisation économique tel que celui dans lequel nous vivons, tout le monde n’est pas égal, tout le monde ne compte pas autant. La réalité, c’est qu’il est bon pour une économie globale d’avoir beaucoup de sans-emploi parce que cela garde les salaires bas et entraîne une forte compétition sur le marché.»

Qu’espérez-vous des manifestations planétaires prévues pour le 30 novembre?
«L’O.M.C. est une institution existante; on ne peut pas espérer la démanteler. Mais je pense que nous verrons que la société civile va dire, d’une façon non-équivoque: «Cessez ce non-sens!» C’est le temps pour eux de réviser ce qui a été fait jusqu’ici et d’amorcer une discussion avec la société civile, question de retirer les plus mauvaises parties de l’O.M.C. Les plus gros pays disposent d’un pouvoir énorme sur les petits pays. Les États-Unis, l’Union européenne, le Japon et le Canada ont établi tous les objectifs, toutes les cibles et ont soufflé tous les autres. Il ne faut pas seulement transformer la nature foncièrement antidémocratique de l’O.M.C., mais aussi les corps de participants. Saviez-vous que les co-hôtes du comité qui reçoit tous les ministres sont Bill Gates de Microsoft et Phil Condit de Boeing Corporation? Pas de professeur, pas d’environnementaliste, pas de défenseur de la pauvreté. Amusant, non? Tant que cette mentalité ne changera pas, nous ne mettrons pas fin à notre opposition.»