Essais de vaccins anti-VIH : Les cobayes humains
Société

Essais de vaccins anti-VIH : Les cobayes humains

Récemment, plusieurs Montréalais ont participé à des essais destinés à trouver un vaccin contre le sida. Pour certains observateurs, la tenue de tels essais est une bonne nouvelle. Mais pour David Thompson, du Centre de bioéthique de l’Institut de recherches cliniques de Montréal, on est en droit de se poser de sérieuses questions.

Cet été, on a invité des Canadiens à participer à un essai vaccinal préventif contre le VIH. Il s’agissait de la première expérimentation du genre à être réalisée sur des êtres humains. Mais, déjà, on peut s’attendre à être invité à participer à d’autres études. En effet, plusieurs compagnies pharmaceutiques flirtent sérieusement avec l’idée de faire de nouvelles expérimentations pour trouver un remède à la pandémie.

Dans le cas des essais vaccinaux qui se conduisent présentement, ce sont les hommes homosexuels et bisexuels séronégatifs de trois grandes villes canadiennes – Vancouver, Toronto et Montréal – qui ont été approchés comme éventuels cobayes. Des démarches presque similaires ont également été entreprises aux États-Unis, en Hollande et en Thaïlande. L’étude cherche à vérifier la validité du prototype de vaccin fabriqué par la firme californienne VaxGen, le meneur de peloton dans la lutte au vaccin anti-sida dont les essais en sont à la troisième phase des expérimentations.

Au Canada, ce sont les Montréalais qui ont répondu avec le plus d’enthousiasme à l’appel de VaxGen et du Centre hospitalier de l’Université de Montréal. Quatre-vingt-dix-neuf des quelque deux cents participants ont été recrutés chez nous. Si bien que l’on prévoit qu’au cours des prochaines années, pour les nouveaux essais cliniques qui devraient débuter à travers le monde, Montréal pourrait s’avérer être l’une des terres d’accueil les plus favorables à ce genre d’études. Pour plusieurs chercheurs, ces expérimentations constituent un événement faisant basculer le sida dans une autre époque. Mais pour d’autres – dont plusieurs éminences de la communauté scientifique internationale et de la lutte anti-sida -, ces essais vaccinaux soulèvent d’abord une série d’enjeux fondamentaux et une foule de questions éthiques.

L’avocat David Thompson, du Centre de bioéthique de l’Institut de recherches cliniques de Montréal, est l’un de ceux qui ont scruté de près les différentes problématiques entourant les essais vaccinaux. Nous l’avons rencontré.

Récemment, l’un des responsable de VaxGen, le docteur Robert Nowinski, déclarait qu’«après de longues années de lutte pour apprendre les différents aspects de la maladie et comment la traiter, nous allons finalement vers une période où l’ont peut envisager de prévenir le sida». Êtes-vous d’accord avec cette affirmation?
Pas du tout. C’est un bel exemple du pire discours qu’il faudrait justement ne pas entretenir. À force de laisser miroiter l’arrivée d’une nouvelle ère de la maladie ou, pire encore, de la fin du sida, on encourage la population à moins se protéger contre le VIH. Or, on sait qu’un vaccin efficace protégeant toute la population contre le sida n’est pas sur le point d’être commercialisé. Dans le cas du vaccin VaxGen, il ne s’agit que d’une expérimentation. Des aveux mêmes du président de la compagnie, il sera satisfait si le vaccin obtient un taux d’efficacité de 30 %. Et on est loin d’être sûr que le vaccin fonctionne… C’est d’ailleurs ce que redoute déjà une bonne partie de la communauté scientifique. Ce vaccin ne réglera donc jamais totalement la question du sida.

Ce qui m’inquiète dans le discours de certaines compagnies pharmaceutiques, c’est qu’à force de nous présenter des pubs affichant les vertus de la trithérapie avec des beaux gars hyper musclés escaladant des montagnes, on véhicule le message qu’être séropostif, c’est être en pleine santé. On banalise ainsi la maladie et on présente la trithérapie comme une arme contre le virus; alors qu’on sait que la seule arme efficace contre le VIH-sida est la prévention.

Imaginez l’impact possible d’une mauvaise campagne vantant de fausses vertus attribuées aux essais vaccinaux, ce serait terrible!

Qu’avez-vous pensé de la rapidité avec laquelle on a recruté des volontaires pour tester ce vaccin expérimental?
Ça m’inquiète beaucoup. Les études de ce genre se font avec les pressions d’une économie de marché. Les actionnaires veulent voir des résultats rapidement. Dans ce cas-ci, en moins de six mois, tous les volontaires ont été recrutés et vaccinés. C’est très court comme laps de temps. Les gens n’ont pas le temps de vraiment s’informer…

Les participants à de telles recherches croient qu’ils peuvent abandonner le sécurisexe… Un de mes amis s’est inscrit à cette recherche parce qu’il vit plusieurs expériences sexuelles non protégées, et qu’il voit dans cette étude une possibilité de diminuer les risques d’être contaminé. Je crois que le Centre hospitalier de l’Université de Montréal aurait dû rejeter de tels candidats. De plus, il ne faut jamais perdre de vue qu’il y a toujours un prix à payer lorsqu’on reçoit un vaccin comme celui -là: les participants à cette étude ne seront pas admissibles aux essais d’un autre vaccin dont les chances de réussite pourraient être considérées comme meilleures… Et si un jour ils contactent le VIH, ils seront barrés de toutes les thérapies expérimentales.

Les responsabilités civiles de VaxGen sont-elles limitées face aux participants?
Bien sûr! La plupart des recherches faites sur des humains sont effectuées par des petites compagnies de biotechnologie. C’est le cas de VaxGen. Évidemment, ces petites compagnies sont incorporées dans de plus grosses, qui les utilisent comme paravent corporatif. Si un malheur devait se produire dans le cas des essais vaccinaux de VaxGen, on pourrait récupérer les actifs de cette petite compagnie, mais pas ceux de la maison mère. Par contre, les participants pourraient toujours décider d’entamer un recours contre le conseil d’administration de l’hôpital.

Ce n’est toutefois pas la première fois qu’on utilise des êtres humains pour des expérimentations médicales…
Effectivement. Ce qui est nouveau, toutefois, c’est le discours d’urgence extrême pour trouver un remède au sida, surtout dans les pays en voie de développement. J’ai peur que les cliniciens deviennent beaucoup moins stricts quant au code d’éthique à suivre… De plus en plus, la règle qui prévaut pour suivre les participants pendant et après une expérimentation, c’est de leur offrir le meilleur standard de soins possibles là où ils sont offerts… En Afrique, ça pourrait équivaloir à donner aux sujets un verre d’eau et une aspirine.

Ce qui est pernicieux, également, c’est que la plupart de ces entreprises anti-VIH sont gérées par des compagnies privées dont l’objectif principal est la rentabilité. À Montréal, par exemple, les usagers des drogues par intraveineuses ont été laissés pour compte dans la dernière étude… Pourtant, on sait que le virus du VIH s’attrape par des souches distinctes. Concrètement, ça veut dire qu’il faudra possiblement développer des vaccins différents pour les personnes ayant justement été contaminées par des souches différentes. Or, où se trouve l’argent? Beaucoup plus dans les poches des hommes gais que chez des gens faisant face à un problème sérieux d’héroïne, n’est-ce pas? D’où cette mobilisation un peu navrante des compagnies pharmaceutiques pour ce groupe cible. C’est l’illustration parfaite d’une forme de recherche à deux vitesses….

Il faut toutefois préciser que les recherches de VaxGen en Thaïlande touchent des consommateurs de drogues par intraveineuses.

Voyez-vous des pistes de solutions tangibles?
Certainement: il est urgent que Montréal se dote d’un code déontologique pour affronter les prochains essais vaccinaux. Il faut dès aujourd’hui organiser un forum public, réunissant les cliniciens, la direction de la santé publique, Santé Canada, la Commission des droits de la personne et tous les membres de la communauté touchés par les études… Tout le monde doit sortir du placard et se questionner très sérieusement quant aux pratiques à adopter dans le futur! La compagnie VaxGen a pris le temps de créer un comité formé de ressources communautaires. C’est maintenant au tour des communautés de prendre un rôle actif dans ce dossier, de jouer celui de chien de garde pour les études ultérieures.

Dans l’imaginaire collectif, on associe souvent les vaccins à des remèdes, et on leur attribue des taux de guérison phénoménal. Pourtant, les vaccins ne guérissent pas toujours. On n’a qu’à penser aux vaccins contre la grippe, ils sont parfois efficaces, parfois un peu, mais parfois pas du tout. Un vaccin anti-VIH pourrait avoir des effets comparables dans les premières versions de sa mise en marché… Il faut donc, dès maintenant, former des éducateurs capables de vulgariser auprès de tout le monde les enjeux de ces nouvelles réalités. On a longtemps donné le cours de Sida 101, il faut maintenant offrir le cours de Vaccin 101.

Le train est arrivé en ville, et plus rien ne devrait pouvoir l’arrêter. C’est peut-être un bonne chose; peut-être pas. Mais on n’a plus vraiment le choix de monter à bord ou pas. Au moins, faisons-le correctement.


Droit de parole
«Les essais vaccinaux contre le VIH sont l’une des réalités les plus ardues et les plus complexes auxquelles aura été confrontée la communauté gaie», affirme René Lavoie, le directeur d’Action Séro Zéro. Pour tenter d’y voir un peu plus clair, l’organisme tiendra un forum communautaire au Centre Saint-Pierre (1212, rue Panet), le 9 décembre à 19 heures. L’avocat David Thompson sera invité à y prendre la parole.

De plus, ce soir, à 17 h, au Sky Pub (1774, rue Sainte-Catherine Est), l’équipe de Séro Zéro procédera au dévoilement de sa campagne de sensibilisation sur les essais cliniques, tout en soulignant l’importance du maintien des comportements sexuels sécuritaires. Pour info: (514) 521-7778.