Îlot d'Aiguillon : Système action-réponse
Société

Îlot d’Aiguillon : Système action-réponse

Piqué au vif par l’architecte montréalaise de réputation internationale Phyllis Lambert, qui critique l’attitude de la Ville dans le dossier de l’hôtel en construction sur l’îlot d’Aiguillon, le maire de Québec persiste et signe.

Tenez-vous-le pour dit, Jean-Paul L’Allier n’a que faire de l’opinion de l’architecte Phyllis Lambert dans le dossier de l’îlot d’Aiguillon.

La proposition de faire avorter les travaux en cours ne lui effleure même pas l’esprit. Le maire accuse donc une fin de non-recevoir aux récriminations et ne compte pas intervenir dans le dossier. «Ce n’est pas un projet de la Ville… Je ne peux rien y faire… On ne peut pas revenir en arrière», précise-t-il.

M. L’Allier souligne que tout a été fait selon les règles de l’art et que la Commission d’urbanisme et de conservation de Québec a approuvé le projet non sans avoir exigé des modifications pour le rendre conforme à la réglementation municipale. «Ce sont des décisions professionnelles prises par des professionnels. La commission est autonome du conseil municipal», insiste-t-il, affirmant qu’il ne voit pas comment il serait justifié de s’immiscer dans le dossier.

De plus, le maire de la capitale n’a pas aimé le ton employé par Mme Lambert dans sa correspondance. Cela, bien qu’il dise la respecter. «J’ai senti passer des critiques basses et personnelles», ajoute-t-il, irrité. Mais, cela ferait partie des affres du métier et il préférerait ne pas s’en offusquer outre mesure.

Par contre, M. L’Allier est moins tendre lorsqu’on lui demande ce qu’il pense des critiques qui lui sont faites concernant le statut de site du patrimoine mondial octroyé à Québec par l’UNESCO. Il ne croit pas du tout, mais vraiment pas, que l’érection de l’hôtel puisse nuire au caractère patrimonial de la ville. «La place d’Youville n’est pas en danger», tranche-t-il.

Mêler l’UNESCO au débat n’inspire d’ailleurs pas beaucoup de sympathie et de déférence à M. L’Allier face aux détracteurs. «C’est aller étendre de la merde de chat sur la ville alors qu’on n’a pas besoin de ça… C’est aller porter nos vieilles chaussettes à l’international», vitupère celui qui, faut-il le rappeler, a été président de l’Organisation des villes du patrimoine mondial de 1991 jusqu’à tout récemment. «Si je ne faisais pas attention, je serais choqué.»

Le maire poursuit son attaque en règle contre les opposants au projet en les taxant de «chasseurs de puces». «Il y a des gens qui sont contre à peu près tout ce qui se fait dans la ville… Le groupe qui chiale avait 10 ans pour chialer», remarque-t-il, notant tout de même que l’opposition est saine dans une démocratie.
Démolir les quatre étages déjà érigés comme le demande la résistance? Pas question! «Ça s’appelle de la démagogie pure et simple… On ne vit pas dans un pays communiste d’avant la Russie», s’offusque M. L’Allier.

On aura donc compris que le maire de Québec n’a pas du tout apprécié l’intervention de Mme Lambert. Il croit qu’elle a été orchestrée par le mouvement de citoyens qui réclame un parc, un espace vert. «Le comité court après tout ce qui peut faire du brassage.» Et, si l’architecte tenait tant à la préservation des anciens immeubles, elle n’avait qu’à les restaurer. «Mme Lambert, qui a les moyens, aurait pu l’acheter et en faire un centre d’interprétation architectural.»

«C’est affreux»
Vous aurez deviné qu’il n’en fallait pas plus pour soulever l’ire de l’équipe de Mme Lambert. «Ce qu’ils ont fait, c’est affreux… On construit à peu près n’importe quoi», s’exclame sa consultante en patrimoine et collaboratrice dans le dossier, Michèle Picard. Selon elle, la Ville a presque commis une infamie en approuvant le projet de construction à l’îlot d’Aiguillon. C’est d’ailleurs à elle que l’on doit la correspondance avec l’UNESCO. Une résultante de son découragement et de son désir de rétablir la situation selon ce qu’elle croit être le mieux pour la capitale québécoise.

En contact avec M. L’Allier depuis quelques mois déjà, mesdames Lambert et Picard ont récemment redoublé d’ardeur en effectuant une sortie publique car elles n’étaient pas satisfaites des réponses obtenues. «On nous envoie des généralités pour nous faire taire, proteste Mme Picard. C’est pour ça qu’on a décidé d’agir.»

Selon Mme Picard, l’intérêt porté à la cause a été d’autant plus important que les deux comparses ont remarqué que, dans la capitale, tous se taisent. Les autorités jouiraient ainsi d’une certaine impunité.

Mais, contrairement à ce qu’ont pu déduire certains, les membres du Centre canadien d’architecture ne s’opposent pas à la construction d’un hôtel à l’îlot d’Aiguillon. C’est plutôt la façon de procéder de la Ville qui les rebute. En fait, s’il y avait eu des consultations publiques préalables dont l’issue aurait été un consensus populaire appuyant le projet, elles s’y seraient soumises, admet Mme Picard.

Qu’adviendra-t-il maintenant que le maire a indiqué très clairement que tout suivrait son cours? «Idéalement, ce serait de démolir et de recommencer», expose Mme Picard. Elle ajoute toutefois que la balle est dans le camp des résidents et qu’ils devront utiliser à bon escient l’appui de taille reçu de Mme Lambert. «C’est aux gens de Québec à agir.»