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Le salaire des députés : Heureux élus?
Bien que taboue en public, la rémunération des députés fait grand bruit au sein de l’Assemblée nationale. Dès la fin des négociations dans le secteur public, on peut donc s’attendre à ce que les députés demandent des hausses salariales. Caprice ou nécessité?
Baptiste Ricard-Châtelain
Photo : Benoît Aquin
Les députés québécois ont faim. À la diète salariale depuis maintes années, ils rêvent de se rassasier avec des dollars publics.
Quelle devrait être leur rémunération? Beaucoup plus que les 60 860 dollars actuels. L’idéal tourne plutôt aux alentours de 100 000 dollars, comme le salaire des sous-ministres, croit le président de l’Assemblée nationale, Jean-Pierre Charbonneau. Mais on ne parle ici évidemment que du salaire de base puisque de nombreuses primes sont versées selon les postes occupés.
«Combien vaut cette fonction-là?, se questionne celui à qui est dévolue la tâche ardue de piloter le dossier. La plupart des cadres gagnent plus… On est dans une pente dangereuse.» En fait, monsieur Charbonneau n’en revient tout simplement pas que des employés de l’État n’ayant pas de comptes à rendre à la population puissent être mieux payés que les députés à qui on demande toujours plus d’efforts. Le message ainsi envoyé à la population est: «Vous avez raison de penser que les élus ne valent pas grand-chose.»
Qu’est-ce qui justifierait un salaire bien au-delà du taux présent outre les impératifs d’un régime parlementaire représentatif, selon Jean-Pierre Charbonneau? L’horaire de travail. «Je ne prétends pas que les élus sont pauvres… Mais, à l’heure, ça ne fait pas cher», note-t-il.
En deçà du salaire minimum
La députée de Rosemont et ancienne ministre, Rita Dionne-Marsolais, partage entièrement l’avis de monsieur Charbonneau. «On est toujours de garde… [En bout de ligne], c’est un peu plus que le salaire minimum, et encore.» Ayant déjà sorti sa calculatrice pour effectuer l’équation, elle évalue à cinq ou six dollars le taux horaire réel qui leur est versé! Et, ils ne jouissent même pas d’une sécurité d’emploi, contrairement aux sous-ministres qui gagnent jusqu’à 131 600 dollars, souligne-t-elle. «On a une structure déficiente.»
Mais, malgré le constat d’inéquation entre le travail effectué et la rémunération, elle doute qu’un véritable débat puisse avoir lieu. «Au Québec, il y a des choses dont on ne peut pas discuter. Il y a plein de tabous», observe-t-elle.
Néanmoins, elle souhaite que la question soit un jour débattue. Sans quoi, on ne pourra compter sur une relève d’expérience, selon elle. Pourquoi? Parce que la compétition du secteur privé est extrêmement forte. «Les salaires ne se comparent pas.» Ancienne consultante pour une grande firme, elle a d’ailleurs subi une réduction importante de revenus lors de son entrée à l’Assemblée nationale.
Si cette tendance n’est pas renversée, elle doute donc que le recrutement soit facilité. «C’est de plus en plus difficile d’avoir des gens en politique», fait-elle valoir, indiquant que si les salaires sont maintenus, d’ici cinq ou dix ans, il n’y aura que des jeunes dans la profession.
Point de vue repris à son compte par le député de Sainte-Marie-Saint-Jacques et leader adjoint du gouvernement, André Boulerice. «Qui va me succéder? se demande-t-il, à l’aube de la retraite. Il va falloir rendre les conditions intéressantes… [Sinon], un jour comme société on en paiera le prix.»
André Boulerice croit que les Nord-Américains sont trop puritains. Ce qui aurait mené à un déséquilibre dans la rémunération des élus québécois par rapport aux hauts fonctionnaires ou aux dirigeants de sociétés d’État. «Les députés font presque voeu de pauvreté, de chasteté et d’obéissance», se lamente-t-il.
Des ti-counes
Les contribuables devraient donc prendre conscience du rôle joué par leurs représentants et se pencher sur la question de leur émolument. S’ils jugent alors que la fonction n’est pas sous-évaluée, ils maintiendront la rétribution. «S’ils veulent des ti-counes, ils leur donneront des salaires de ti-counes», tonne André Boulerice avec une verve surprenante.
Dans le camp libéral, on considère également que la rétribution est dérisoire. Le président du caucus, Jacques Chagnon, s’étonne qu’un directeur-général d’hôpital gagne plus que le ministre de la Santé, par exemple. «Soixante mille dollars, un prof du secondaire peut gagner ça… Ça n’a pas de sens!»
N’empêche que moins du cinquième des 125 députés, surtout des jeunes, ne reçoit que les appointements de base, admet M. Chagnon.
Même constat pour sa consoeur de l’opposition, la députée de Sauvé, Line Beauchamp, une de ces jeunes qui sont dans la cave de l’échelle. «Au PLQ, on est dix ou quinze à ne recevoir que le salaire de base de député», évalue-t-elle. Les autres cumulent les fonctions et les primes. Elle ajoute que le salaire est généralement à l’image de l’importance accordée à une fonction tout en affirmant ne pas faire plus d’argent en politique que dans son emploi précédent, directrice générale de Pro-Est, un groupe de concertation de Montréal.
Vive Bourassa!
Pour le ministre des Régions, Jean-Pierre Jolivet, le débat sur le salaire des députés ne serait pas perpétuellement sur la table si on n’avait pas touché au régime établi par l’ancien premier ministre Robert Bourassa. Il l’encense presque pour avoir décidé que leur paie suivrait la médiane de l’échelle des cadres classe IV, c’est-à-dire environ 65 398 $ aujourd’hui. Ainsi, les élus obtenaient la même augmentation que tous et on n’en parlait plus. Mais, tout ça, c’était avant les coupes successives de 1 % en 1993, puis de 6 % en 1997. Depuis, retour à la case départ.
Selon monsieur Jolivet, les gouvernements successifs ont donc fait fausse route en coupant les salaires d’un total de 7 %. «On devrait avoir la même augmentation que les employés du secteur public», dit-il.
La «solution Bourassa» n’est cependant pas aussi limpide pour le député libéral de Limoilou, Michel Després. Une rétribution fixe, c’est bien beau, mais un problème subsiste. «À quoi on compare ça, un député?» demande-t-il. Est-ce que le salaire des cadres classe IV est équitable? Rien n’est moins sûr, selon lui. Il ne faudrait pas perdre de vue que personne ne fait du 9 à 5 en politique. «La majorité des gens qui sont là pourraient avoir de meilleures conditions dans un autre travail», lance-t-il.
Même son de cloche auprès du chef de l’Action démocratique du Québec, Mario Dumont. «Pour quelqu’un qui a connu autre chose, dans neuf cas sur dix, c’est une baisse de salaire.» Ce qui n’est pas son cas puisqu’il n’a jamais connu mieux avant son entrée dans l’arène politique. Il ne croit toutefois pas qu’une hausse de salaire entraînerait directement un flot de compétences vers l’Assemblée. «L’équation n’est pas si simple.»
Extrêmement prudent, Mario Dumont n’ose pas réclamer une augmentation substantielle. Il remarque néanmoins qu’un cadre classe IV est un petit directeur d’un petit bureau de région avec une petite équipe. Un député devrait donc gagner plus. «Dans une structure hiérarchique, en affaires, ça n’aurait pas de bon sens.»
Mais, quoi que disent ou pensent les députés de l’Assemblée, le premier ministre québécois, Lucien Bouchard, accuse une fin de non-recevoir à leurs demandes. «Actuellement, monsieur Bouchard n’est pas partisan d’une augmentation des salaires des députés», explique clairement son attachée de presse, Christiane Miville-Deschênes.
Jean-Pierre Charbonneau semble avoir compris le message. Il s’est entendu avec le premier ministre sur une trêve durant les négociations du secteur public. Mais, il reviendra cogner à sa porte dès l’exercice terminé.
Les salaires
Le salaire de base des députés est de 60 860 $. À celui-ci, s’additionnent les primes de fonction suivantes. Si plusieurs s’appliquent, seule la plus importante est versée.
– Premier ministre: 63 903 dollars
– Ministres, président de l’Assemblée, chef de l’opposition officielle: 45 645
– Vice-présidents, leader parlementaire de l’opposition officielle, chef d’un parti d’opposition reconnu, whip en chef du gouvernement: 21 301
– Whip en chef de l’opposition officielle: 18 258
– Président du caucus du gouvernement, président d’une commission: 15 215
– Adjoints parlementaires, leader parlementaire adjoint du gouvernement, vice-président d’une commission: 12 172
– Leader parlementaire adjoint de l’opposition officielle, whip adjoint du gouvernement, whip adjoint de l’opposition officielle, whip d’un parti d’opposition reconnu: 9 129
En plus, les députés reçoivent:
– Une allocation de dépenses non-imposable de 12 078 dollars
– Un montant maximal de 11 000 dollars par année pour le logement dans la capitale
– Une allocation non-imposable de 5 400 à 16 500 dollars pour les déplacements et les activités politiques
– Cinquante-deux voyages aller-retour par année entre leur comté et la capitale (37 cents du kilomètre)