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Bogue de l’an 2000 : Dernier tour de risque
Oubliez tout de suite les piles de bois du grand verglas ou les centres d’accueil pour sinistrés sans chauffage. Le gouvernement provincial est tellement confiant de passer outre le bogue appréhendé dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier, qu’il n’envisage même pas ce type d’actions.
Baptiste Ricard-Châtelain
Le Québec est garanti pas de bogue à 100 % par le gouvernement. Pas 99,9 %, 100 %!
Foi de coordonnateur du bureau de coordination gouvernementale an 2000 du Conseil du trésor, Michel Brown, la Belle Province n’aura pas de gueule de bois le matin du 1er janvier. «Le Québec est prêt», lance-t-il avec conviction.
Pour l’État, pas question donc de prévoir des réserves de bois de chauffage ou de génératrices pas plus que de nourriture ou d’eau potable, indique M. Brown. «Il n’y a pas de mesures spécifiques pour le passage à l’an 2000», admet-il, affichant une confiance quasi déconcertante vu le grand bruit que suscite «l’événement».
Rien ne servirait de paniquer et on nous le répète souvent. D’ailleurs, on vous enverra afin de vous en convaincre, si ce n’est déjà fait, un dépliant tiré à 3 millions d’exemplaires: «1999 + 1 = 2000. C’est une simple addition.»
Selon le patron de la préparation au bogue, vous aurez donc de l’eau ainsi que de l’électricité à minuit une seconde le 1er janvier. Toutes les prestations gouvernementales seront versées comme à l’habitude. Tout ira également comme sur des roulettes dans les réseaux de la santé et de l’éducation, promet M. Brown. Et, il en irait de même pour les banques, les services de télécommunications, etc.
Irritants
Mais, peut-on vraiment tout prévoir? Quelques irritants pourraient toujours troubler la quiétude des Québécois, reconnaît M. Brown. Cependant, leur apparition est peu probable. «On a mis une ceinture plus une paire de bretelles et en plus il y aura un centre de transition (en activité du 27 décembre au 4 janvier)», illustre-t-il. Nombreux seront donc les employés qui passeront la soirée devant leur écran d’ordinateur et envieront les fêtards.
Pour se faire encore plus rassurant, M. Brown rappelle que de nombreux terriens passeront le cap de l’an 2000 avant nous. «On n’est pas les premiers à fêter… Par exemple, en Nouvelle-Zélande ce sera à 5h du matin le 31 décembre, heure du Québec.»
Du côté des forces de l’ordre, la mobilisation sera considérable. Conscients que la populace sera sur le party plus tôt qu’à l’habitude et finira de cuver plus tard, M. Brown et son équipe se sont assurés qu’il y aurait un déploiement important.
Pas de bogue, donc, mais on s’y prépare quand même, au cas où…
Scepticisme
L’enthousiasme démontré par le gouvernement n’est pas partagé par tout le monde. Le directeur général de la Fédération de l’informatique du Québec, Denis Girard, est plutôt sceptique. «J’espère pour [M. Brown] que ça va se passer comme ça… Il va y avoir quand même des ajustements qui devront être faits. Les systèmes ne sont jamais prêts à 100 %.»
Selon M. Girard, il est impossible d’avoir pensé à tout. «Il va certainement y avoir des circuits intégrés qui vont avoir été oubliés, estime-t-il, ajoutant néanmoins que ça ne sera pas catastrophique.»
Le problème, selon M. Girard, c’est que l’on a vérifié les ordinateurs, mais que les logiciels ont parfois été oubliés. Surtout dans les PME. Mais, le gouvernement aurait, pour sa part, paré au plus important.
Une beurrée
Coût total de l’opération pour les contribuables québécois? Environ 600 millions $. Mais, pour M. Brown, ce n’est qu’un réinvestissement des sommes économisées à l’époque où on n’utilisait que deux chiffres pour les années dans les systèmes informatiques, la mémoire étant très onéreuse. «Ce qu’on investit aujourd’hui, c’est ce qu’on a économisé hier.» En plus, l’opération aura permis de mettre à jour les équipements de l’État qui commençaient à se faire vieux. Un raisonnement qui permet à M. Brown de croire que les Québécois sont grands gagnants.
Opération Abacus
L’armée devait déployer ses troupes pour le passage à l’an 2000 et «assiéger» le pays. Oubliez ça!
Dans le cadre de l’opération Abacus, les militaires canadiens se sont préparés au pire. Mais, voilà que le plan s’est «raffiné», si bien que peu de soldats seront de garde le soir du 31 contrairement à ce qui avait été annoncé dans les grands médias. «Les impacts devraient, selon nos impressions, être minimes… L’évaluation de la menace est moins grande», explique l’officier des affaires publiques pour le Québec, le capitaine Mario Couture.
Plusieurs seront tout de même de garde pour assurer une permanence et permettre une intervention rapide en cas de pépin. Vous ne les verrez toutefois que si toutes les autres options ont été épuisées. La majorité des réguliers et la quasi-totalité des réservistes seront donc en civils et célébreront le nouvel an. Seule condition: demeurer dans l’aire géographique prédéfinie par l’état-major dans l’éventualité d’un rappel.
Pourquoi tant de retenue? Parce que l’armée aurait dû redonner les congés perdus aux militaires. Un problème logistique d’envergure. En plus, les coûts inhérents à un déploiement étaient faramineux et les budgets ne le permettent pas. Les compressions budgétaires affectent aussi l’armée.