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Commandites, bureaucratie, sourde oreille : La dérive des universités
Lors des manifs du 24 novembre, des étudiants ont voulu échapper aux arrestations en se réfugiant à l’UQAM. Mais l’université du peuple leur a fermé ses portes. Une situation qui symbolise à merveille ce qu’est devenue l’université québécoise.
Mathieu Chantelois
La semaine dernière, soixante-six étudiants de l’UQAM – dont plusieurs de mes confrères et cons œurs de classe – ont été arrêtés. Ils décriaient dans la rue la menace du diktat de la publicité sur la formation universitaire. Une boisson gazeuse aura fait déborder le vase, mais les étudiants en avaient ras le bol depuis déjà un bon bout de temps.
Tout a dégénéré sur la rue Saint-Denis, alors que quelques manifestants ont bousculé des automobilistes et ignoré les avertissements de la police de la CUM. Afin de maintenir l’ordre, les policiers ont commencé une série d’arrestations systématiques. Pris de panique, les étudiants ont alors cherché à trouver refuge dans les pavillons de l’UQAM.
Or, voilà: aux portes de l’institution, des agents de sécurité de l’université ont bloqué l’accès aux manifestants. Pris en sandwich, ils ont dû faire face aux arrestations. Les étudiants ont frappé tout un mur. Ils se sont butés à une situation menaçant la survie même de l’université, sa raison d’être et son intégrité.
Nos administrateurs semblent avoir oublié qu’à la base de l’université, il y a une collectivité de profs et d’étudiants qui cherchent à enrichir un savoir. En fermant les portes de l’UQAM à une partie des membres de leur communauté, les autorités ont trahi ce principe fondamental. Elles ont réduit la collectivité de l’UQAM à une poignée de technocrates, aux professeurs et au personnel de soutien. En quelque sorte, on a dit aux étudiants qu’ils devaient marcher dans le système, ou en sortir. Et rester dehors.
La crise
Malgré les apparences d’une mécanique bien huilée, les universités traversent une crise d’envergure. Le meilleur exemple, c’est qu’elles parlent et agissent dorénavant comme des entreprises, avec une rigidité du système comme du discours devenue considérable. Aujourd’hui, l’université est perçue comme un moule qui prend la forme requise par le marché du travail. On adapte les formations aux besoins de l’industrie, et lui ouvre toutes grandes les portes de nos espaces communs et nos salles de cours. L’entreprise privée n’est plus considérée comme une menace, mais comme un partenaire. Si bien que, mine de rien, la vie universitaire est en train de s’écraser sous le poids des priorités qui lui sont infligées par les organismes subventionnaires, les exigences des multiples associés qu’il faut satisfaire, la «pertinence» de la recherche et de l’enseignement proposés par l’industrie.
Bref, on n’apprend plus aux gens à penser, mais à évoluer dans un cadre corporatif.
Or, ce n’est pas en étant à la remorque des besoins des entreprises et du marché du travail que l’université remplit sa véritable fonction. L’université se doit d’inculquer l’appétit du savoir, l’autonomie de l’esprit et le respect de l’intelligence. Elle doit constamment travailler au développement de connaissances et nous aider à affronter les grands problèmes qui se posent à l’humanité.
Mais tel n’est plus le cas. En fait, quiconque franchit le seuil d’un campus universitaire constate un problème institutionnel vague et flou, mais bien présent. On n’a qu’à se pointer dans une salle de cours pour comprendre que l’État finance les universités par le nombre d’étudiants qu’elle aura réussi à y entasser; ou encore à se présenter au registraire pour observer la lourdeur de la bureaucratie. On est bien loin des vertus de la première heure.
De plus, le milieu est l’un des plus syndiqués qui soient, et le corps professoral reste trop souvent muet devant les tempêtes, paralysé par l’impression que le tapis est en train de lui glisser sous les pieds. Les profs préfèrent attendre patiemment la suite des événements dans le confort inégalé de leurs conditions de travail.
Très rapidement, les étudiants ont compris qu’ils n’étaient pas importants dans la balance des décisions prises par les administrations universitaires, que la technocratie était impénétrable. Ce n’est pas l’identité anonyme d’un code permanent qui permet de se défendre face au premier faux prophète venu. Évidemment, il existe des associations étudiantes et des ombudsmans pour faire valoir nos droits, mais ils n’ont qu’un rôle de faire-valoir dans le discours de ce qui est devenu une usine à diplômes. On a parfois l’impression que l’universté est en voie de devenir un gros site Internet, un genre de fourre-tout obscur et virtuel qui envoie des certificats par la poste. Pourvu que vous cliquiez dans la bonne case et n’oubliiez pas de divulguer votre numéro de carte de crédit, bien entendu.
Évidemment, si les étudiants assumaient à eux seuls le financement nécessaire au fonctionnement des universités, on assisterait à un changement draconien immédiat. Les étudiants seraient alors écoutés, et non plus considérés comme du vulgaire bétail que l’on tolère dans les murs des établissements, s’ils ne sont pas trop bruyants. Ce qui manque aux étudiants, c’est le poids économique si important dans toute procédure décisionnelle. Mais les étudiants ne pourront jamais faire le pesant d’or et l’État, lui, a d’autres priorités.
Bien sûr, rendre la parole à l’étudiant serait une décision coûteuse. Elle bousculerait bien des habitudes et ne promettrait aucun bénéfice à court terme. Autant dire qu’elle a tout pour déplaire. C’est pourtant la seule démarche capable de redonner un peu de sens au terme de «communauté universitaire.»