La mendicité sur le Plateau : Joyeux calvaire
Société

La mendicité sur le Plateau : Joyeux calvaire

Le nombre d’itinérants qui mendient sur le Plateau-Mont-Royal a doublé depuis cinq ans. Que faire pour enrayer le problème? Faut-il donner des sous, ou pas? Lundi dernier, commerçants et résidants se sont réunis afin d’en discuter. Communauté en quête d’une solution…

«Vous n’auriez pas un peu de monnaie, s’il vous plaît?»
Cette question, chantée comme un refrain et lancée sous bien d’autres variantes plus ou moins formelles, tout Montréalais se l’est déjà fait poser en passant au centre-ville. Un citoyen marchant sur l’avenue du Mont-Royal, des rues Saint-Denis à Saint-André, peut être sollicité à au moins quatre reprises, une réalité nouvelle sur le très «propret» Plateau.

«Pas plus fous que les entrepreneurs et les investisseurs», comme ils se plaisent à le dire, les mendiants ont flairé la bonne affaire que représente le développement économique du quartier. Ils ont alors monté en masse la rue Saint-Denis, tant et si bien que les résidants et les commerçants ne savent plus à quel saint se vouer pour enrayer cette vague migratoire. C’est pourquoi le Comité Itinérance Plateau-Mont-Royal a organisé, lundi soir dernier au Resto-Plateau, une assemblée publique sur la question. Une espèce de thérapie de groupe où l’intolérance a côtoyé la compassion.

«Les mendiants me regardent comme si j’étais un guichet automatique!» a lancé une résidante du Plateau, exaspérée. Les quatre-vingts participants de l’assemblée avaient laissé le discours politically correct à la maison et les gants blancs au vestiaire, question de bien débattre de la problématique. C’est que, selon le Comité Itinérance Plateau-Mont-Royal, le nombre d’itinérants dans le quartier a doublé depuis cinq ans.

Pour les mendiants, le Plateau représente un quasi-Klondike. Environ quatorze mille personnes (des âmes charitables potentielles) transitent chaque jour par la station de métro Mont-Royal. Cette dernière fait d’ailleurs partie des meilleurs «spots» des itinérants, un lieu de prédilection pour faire la manche auquel s’ajoutent l’église Notre-Dame-du-Saint-Sacrement, les entrées de la caisse populaire Desjardins, de la pharmacie Jean Coutu et du supermarché Provigo. «Souvent, les gens qui passent ont de l’argent parce qu’ils sont sur l’avenue du Mont-Royal pour acheter, souligne Jean-Guy, itinérant dans la trentaine. Nous, on en profite, car dans le centre-ville, la concurrence est pas mal forte avec les jeunes squeegees.»

«Appelle la police!»
Tour à tour, les participants de l’assemblée se sont approchés du micro pour livrer leur témoignage: des personnes âgées («J’ai peur des itinérants et je me sens mal à l’aise…»); des représentants d’organismes communautaires («Nous devons avoir plus d’argent pour les aider…»); des mendiants («Voyez-nous comme des êtres humains, pas comme des bêtes…»). Plus la soirée avançait, plus le ton des résidants montait et plus des signes d’irritation se manifestaient. «Des gens du quartier se plaignent de ne plus pouvoir circuler en paix sans être sollicités à tous les coins de rue», affirme Sophie Goyette, travailleuse communautaire au Comité Itinérance Plateau-Mont-Royal.
D’autres voix se sont élevées pour se joindre à l’inquiétude des résidants. Devant la perspective de perdre une partie de sa clientèle (et de ses profits), le propriétaire de la pharmacie Jean Coutu, Daniel Dubois, essaie de s’arranger tant bien que mal avec le phénomène de la mendicité. L’entrée de son magasin s’avère très convoitée: quinze individus y quémandent chaque jour, en se partageant les heures de garde. «Un mendiant m’a dit que ça lui rapportait de cinquante à soixante-dix dollars par jour», relate monsieur Dubois. Toutefois, certains de ses clients n’apprécient guère la présence d’un mendiant en guise de portier. «Des gens viennent me voir en criant: "Appelle la police ou je ne reviens plus jamais ici!" raconte-t-il. Alors, j’interviens parfois. Je dis au mendiant d’aller faire une marche. Mais ce n’est pas toujours facile.» Sophie Goyette estime que le cas de Daniel Dubois «n’est pas isolé» et précise que «l’intolérance de certains marchands a déjà mené à des altercations physiques».

Et dans ce cas, la police vient calmer les ardeurs de chacun. Par contre, plusieurs personnes, résidants comme commerçants, souhaiteraient qu’elle intervienne pour balayer le problème. Mais du côté des forces policières, le mot d’ordre semble sans équivoque. «La réglementation municipale dit qu’une personne a le droit de mendier, à condition de ne pas troubler la paix, indique le commandant Gilbert Roy du Poste de quartier 38 de la SPCUM. Et ce n’est pas parce que la mendicité touche le Plateau que les règles vont changer!»

Donnant donnant
Cette assemblée publique représentait aussi un brainstorming, chacun essayant d’apporter sa solution (miracle ou pas) au problème. Pour ouvrir la discussion, un citoyen a lancé une réflexion: «Si je donne des sous à un mendiant, je ne suis pas sûr que ce sera pour manger. Ça peut être pour se droguer, ce qui pourrait amener plus de dealers dans notre quartier.» Il n’en fallait pas plus pour que des participants conseillent de ne plus donner un sou aux mendiants, mais plutôt d’offrir l’argent aux organismes d’aide. «Ou amener directement la personne au resto», suggère aussi un résidant du quartier. Pour Sophie Goyette, il s’agit d’un faux débat. «La mendicité, c’est une forme de travail. Le mendiant ouvre la porte, c’est un service, tu le paies. Ce qu’il fait avec l’argent, c’est de son ressort. Est-ce que les patrons vérifient ce que font tous les employés de leur salaire?»

Sophie Goyette prône une solution basée sur le partenariat entre commerçants et itinérants, c’est-à-dire des échanges de services. «Contre une certaine somme d’argent, ou le droit de se poster devant le commerce d’un marchand, le mendiant pourrait laver les vitrines du magasin ou déneiger la cour», explique-t-elle. L’expérience a déjà été faite à la pharmacie Jean Coutu. «Il m’arrive de donner deux dollars à un mendiant pour nettoyer mes poubelles, par exemple», explique Daniel Dubois. D’après Sophie Goyette, cette solution pourrait être conjuguée à des pressions auprès du gouvernement pour qu’il réinjecte des fonds dans les organismes d’aide et les programmes d’assistance sociale.

Pour la travailleuse sociale, cette assemblée publique aura permis aux résidants du Plateau «de se réveiller». «Il faut que les gens du quartier s’ouvrent les yeux, indique-t-elle. C’est nécessaire que tout le monde se mobilise pour parler de la mendicité qui grandit sans cesse dans le quartier et pour tenter de régler le problème… au lieu de chialer tout seul dans son coin!»