

Nationalisation de la gestion de l’eau : Des eaux et débat
Le débat sur la gestion de l’eau potable soulève les passions au Québec et le PQ n’échappe pas au tumulte. L’Exécutif national a récemment ravivé les flammes en ne respectant pas une décision du Conseil national, la plus haute instance du parti entre les congrès. Ça risque de chauffer lors du prochain conseil en février et encore plus au congrès du début mai, promettent certains militants. Y a-t-il péril en la demeure?
Baptiste Ricard-Châtelain
L’Exécutif national du Parti québécois s’est engagé dans une partie de roulette russe en «omettant» la notion de nationalisation dans le mémoire récemment déposé devant la commission Beauchamp sur la gestion de l’eau et rien n’indique pour l’instant qu’il va la gagner.
L’une des principales rédactrices du mémoire, conseillère à l’Exécutif national, responsable du dossier de l’eau et dépositaire du document devant la commission est contre la position exprimée. En fait, Martine Ouellet croit que l’Exécutif fait fausse route et qu’il a manqué de respect envers les instances, les membres du parti. «Normalement, il doit se conformer aux décisions du Conseil national.»
Sans parler de pressions émanant des hautes instances gouvernementales, Mme Ouellet reconnaît que certains membres du parti sont plus enclins à écouter attentivement les entreprises privées et à laisser de côté l’option «nationalisation», jugée dépassée. «En économie, on ne devrait pas aller avec les modes, mais avec les besoins», soutient-elle. L’argent des ressources naturelles devrait donc revenir en totalité aux citoyens.
Mais les Danon, Naya, Périer et autres géants du domaine se bousculent aux portes pour s’arracher un marché très lucratif. Un poids qui doit peser lourd sur les épaules étatiques. «Imaginez les profits qu’il y a à faire en matière d’eau», expose Mme Ouellet soulignant que les coûts de production sont à peu près nuls.
Quant au président de la section de la Capitale nationale – un bastion péquiste -, Gilles Gaumond, il met l’Exécutif en garde. «Il faut être extrêmement prudent quand on va à l’encontre du Conseil, lance-t-il avec fermeté. L’Exécutif a une marge de manœuvre très étroite et elle s’est rétrécie quand le débat a été fait sur le parquet du Conseil national.» Pourquoi débattre, questionner les membres, si on n’applique pas leurs résolutions, se demande-t-il.
Le président du Comité national sur l’environnement, Gilles Lavoie, abonde dans le même sens. «Ce n’est pas une simple erreur de jugement. Il s’agit d’un détournement d’une décision prise par le Conseil… J’en suis très inconfortable.» Le point de vue minimal à défendre devrait être celui du Conseil national dont «les décisions ont autorité sur les autres instances».
Pour M. Lavoie, il ne fait aucun doute que l’étiolement de la position est la résultante d’une influence externe. «Je crois que l’Exécutif national a répondu à une autorité monarchique.» Il ajoute qu’un tel comportement n’est pas inhabituel au PQ. «Ça devient harassant. Ce n’est pas la première fois qu’on est obligé de faire adopter plusieurs fois la même idée.»
La trésorière nationale à l’Exécutif du PQ, Jocelyne Gadbois, admet du bout des lèvres que certains membres influents du gouvernement ont exprimé leur position sur la question. Mais, ce serait normal. «Il est essentiel d’avoir ces points de vue… Il n’y a pas de pression, il y a des échanges de points de vue.»
Mme Gadbois croit donc que la recommandation votée au Conseil national a été respectée puisque le mémoire ne ferme aucune porte. On ne parle pas de privatisation, mais on n’appuie pas plus la nationalisation. Pour elle, l’Exécutif n’a fait qu’adapter les souhaits des membres en fonction de la conjoncture, des contraintes liées à la gestion de la province. «Ça ne veut pas dire que l’on met de côté la position adoptée par le Conseil», insiste-t-elle.
Aspirante à la vice-présidence de l’Exécutif et conseillère, Marie Malavoy ne s’avance pas autant que sa collègue. Elle convient que le représentant du premier ministre à l’Exécutif a beaucoup d’autorité, qu’il a un pouvoir d’influence certain, mais elle s’est sentie libre.
Mme Malavoy indique que la position de compromis adoptée est le fruit d’un consensus bien que les discussions aient été intenses et les avis, plutôt divergents. «On élargit l’angle un peu plus… Ce n’est pas un refus, c’est comme si on était un cran en amont», estime-t-elle.
Vous avez dit manipulation?
Deuxième vice-président de l’Exécutif national, Gilles Grenier est catégorique. «Cette idée que les gens de l’Exécutif sont un peu manipulés, qu’il y a des tensions, finit par m’agacer.» Donc, malgré les dires de ses confrères, il nie toute ingérence.
En plus, M. Grenier se sent tout à fait justifié d’avoir omis l’idée de nationalisation dans le mémoire puisque la recommandation du Conseil national n’aurait même pas été l’aboutissement d’une réflexion approfondie. «Bien malin celui qui découvre le début d’un débat… Le débat sur la nationalisation n’a jamais été fait», tranche-t-il tout en doutant que la nationalisation soit une «panacée nécessaire».
Les propos des autres membres de l’Exécutif sont plutôt laconiques, concis et d’un mimétisme surprenant. Ayant rencontré leurs acolytes avant de répondre à nos questions, le premier vice-président, Fabien Béchard, et la conseillère, Carmen S. Vaillancourt, entre autres, affirment que la position du Conseil national a été respectée. Ils complètent en disant que le vote était unanime, que les discussions n’étaient pas plus vives qu’à la normale et qu’il n’y a eu aucune immixtion gouvernementale.
La conseillère au programme, Marylise Lapierre, affirme pourtant qu’il arrive que le gouvernement fasse pression sur l’Exécutif, mais pas dans ce dossier, assure-t-elle. Elle prévient également que la décision finale n’est pas encore établie et qu’une proposition sera débattue au congrès du début mai. «Ce sont les militants qui vont avoir le dernier mot.»
Marchandise
Le directeur de la coalition Eau-Secours, Jean Lapalme, croit que ce revirement de l’Exécutif, qui avait lui-même proposé l’idée de nationaliser la gestion de l’eau au Conseil national, est à l’image du mode de fonctionnement du PQ. «Ça ne fait que confirmer la volonté du parti de tout transformer en marchandise y compris un bien essentiel comme l’eau… C’est l’orientation néo-libérale du gouvernement.»
Le dénouement de l’affrontement ne pointe donc pas à l’horizon d’autant plus que M. Lapalme doute, à la lumière des récents développements, que les conseils que fera la commission Beauchamp soient entendus. «Ce serait naïf de croire que les recommandations du BAPE (Bureau d’audiences publiques en environnement) vont être appliquées ipso facto par le gouvernement.»
Cela, le commissaire, André Beauchamp, en est tout à fait conscient. «Qu’est-ce que le gouvernement en fera après? Ça, c’est son problème… C’est à ses risques et périls… [Il] a pris la chance de nous envoyer, il prend la chance de vivre avec», fait-il valoir, résigné. Il précise cependant que l’heure est à l’action et que «des choses doivent être faites immédiatement» afin de protéger la ressource. Il espère que la volte-face du PQ n’entachera pas l’application de ses recommandations et fait remarquer que peu importe finalement ce qu’il en fera, les idées transmises feront leur bout de chemin chez les citoyens, le plus important selon lui. Le dépôt du rapport est prévu pour le 15 mars 2000.
Mais, quoi que décide le gouvernement Bouchard, le directeur général d’Environnement jeunesse, Stéphane Boutin, souhaite que les efforts colossaux investis par les participants et les membres de la commission ne soient pas vains. Il remarque tout de même qu’il «y a beaucoup d’argent qui est en jeu. C’est tout un dilemme dans les mains du gouvernement».
Notons finalement qu’il nous a été très difficile de contacter certains membres de l’Exécutif national du PQ puisque le service de communication du parti préférait choisir pour nous les personnes les plus habilitées à répondre. De plus, le premier ministre et président du PQ, Lucien Bouchard, le vice-premier ministre, Bernard Landry, et le ministre de l’Environnement, Paul Bégin, n’ont pas rendu nos appels.