7 jeunes : Avoir 20 ans en l'an 2000
Société

7 jeunes : Avoir 20 ans en l’an 2000

«Je ne laisserai personne dire que vingt ans est le plus bel âge de la vie», écrivait Paul Nizan dans les années 40. Soixante-dix ans plus tard, cette phrase choc tient-elle encore? Comment entre-t-on dans le XXIe siècle quand on est né quatre ans après les Olympiques de Montréal? Sept jeunes qui auront vingt ans en l’an 2000 ont pris la plume (pardon: manié la souris) pour nous faire part de leur vision des choses. Échos d’une génération reléguée dans la salle d’attente de l’Histoire…

Crise de foi

Jean-François Légaré, étudiant en sciences de la parole

L’an 2000 m’est toujours apparu comme une réalité utopique à laquelle jamais l’humanité ne parviendrait, comme lorsque l’on commence ses études sans pouvoir en apercevoir la fin.

En 1990, j’avais dix ans. Je me rappelle, après avoir entendu mon enseignante me le confirmer, être rentré au bercail en clamant haut et fort qu’il ne restait plus qu’une décennie nous séparant de cette date ultime. Mais ultime en quoi? À quelques jours de ce point tournant que toute la planète semble guetter avec appréhension, rien ne m’apparaît, quant à moi, plus obscur que ce fameux 1er janvier. Arrivé si près de ce qui semble représenter pour certains une césure, une renaissance ou je ne sais plus quel message d’espoir, il me semble que rien ne différencie cette année de toutes les autres que j’ai vécues, et que l’an 2000 n’annonce aucune des réalités auxquelles on m’avait préparé étant plus jeune. Ford n’a malheureusement pas encore commercialisé l’automobile volante du film Back to the Future (que je rêvais ardemment de conduire. quelle déception!), et aucune puissance n’a encore déclaré de Troisième Guerre mondiale (mais sait-on jamais).

En l’an 2000, j’aurai vingt ans. Je suis cet avenir auquel la génération des baby-boomers a confié bon nombre de ses espoirs. «À l’aube de l’an 2000» (quelle formule insipide!), à quoi, à qui dois-je me rattacher afin de faire face à ce futur que mes parents me dépeignaient avec tant de confiance? Voilà peut-être la seule vraie certitude rassemblant les jeunes de mon âge: ne savoir pas, ou plutôt ne savoir plus qui et quoi croire. Médiatisé, «internetisé», mondialisé: me voilà maintenant confronté à une multitude de conceptions plus ou moins déformées du monde dans lequel je vis, sans qu’on me demande pour autant mon opinion et sans qu’on me consulte à savoir si j’ai envie de toutes les entendre. On me somme maintenant de faire un choix entre toutes ces informations prédigérées et de les assimiler froidement, sans broncher. Sans vie. «Choisis, mon grand, mais surtout ne te trompe pas, autrement, c’est la mise en capilotade définitive de toutes tes certitudes!» Mais qui croire?

Non, il n’est pas facile d’avoir vingt ans en l’an 2000. Mais a-t-il déjà été simple d’avoir vingt ans? N’est-on pas confronté à l’incertitude, à la confusion de ce à quoi on aspire, du monde que l’on souhaite bâtir? Demandez-moi dans quelle sorte de société ai-je envie d’évoluer et je vous répondrai probablement par le plus immense point d’interrogation que vous ayez jamais pu concevoir. Comme tous ceux qui ont eu vingt ans avant moi, je ne sais plus rien. La seule différence, c’est que j’ai eu le bonheur (ou le malheur, c’est selon.) de naître à la même époque que la mondialisation autorisant la surcharge intellectuelle des gens qui ont la chance de cohabiter avec elle. Résultat: on s’en trouve encore plus confus. Mais on doit choisir, et rapidement. Autrement, on n’est pas productif. On n’est pas efficace. On coûte cher. Et ce n’est pas «gagnant», comme attitude.

Je fais partie de cette génération de perdus quittant le nid familial à dix-huit ans en pleine quête de liberté; de ceux qui sont incapables de compléter un DEC dans le temps prévu; de ceux qui désirent affronter l’avenir par eux-mêmes, mais qui ne savent pas comment. Alors, cessez de me parler de l’an 2000 comme une «promesse de renouveau». Parlez-moi, plutôt. Dites-moi comment faire, dites-moi qui croire: parlez-moi de l’an 2000 de façon concrète. Aidez-moi à voir clair à travers ce monde, à avoir une vision. Aidez-moi à m’y retrouver, mais, surtout, faites-le subtilement: on ne doit pas blesser mon orgueil. Peut-être serai-je alors en mesure de vous dire ce qu’est l’an 2000 et, si vous êtes gentils, de vous dire aussi qui je suis.

Destination monde

Catherine Szacka-Marier, étudiante en architecture
En première page du cahier des arts du Devoir du 4 décembre, on pouvait lire que le 31 décembre, la télé de Radio-Canada serait, comme plusieurs autres chaînes à travers le monde, branchée live sur le passage au troisième millénaire tel que vécu à travers les divers fuseaux horaires de la planète. Le Québécois moderne semble donc homme de son temps, ouvert – via les télécommunications et Internet – sur le monde qui l’entoure…

Aujourd’hui, j’ai vingt ans, je commence à peine ma vie adulte, et demain, je serai – comme tant d’autres jeunes hommes et jeunes femmes de la génération Y ou Z, de la génération des bons vieux Passe-Partout, du Nintendo et de Lance et compte – plongée dans le 21e siècle. Or, cette génération qui est la mienne est-elle plus ou moins ouverte sur le monde qui l’entoure qu’ont pu l’être celles qui l’ont précédée? La grande question…

Oui, nous sommes ouverts sur le monde. Oui, nous vivons dans une ville archi-multiculturelle. Oui, nous surfons sur le Net; correspondons, par courrier électronique, avec ceux d’ici et d’ailleurs; et sommes nombreux à partir, sac au dos, à la découverte de l’Europe, de l’Asie ou même des Rocheuses canadiennes. Mais le faisons-nous vraiment plus que nos parents?

À cette interrogation lancée à droite et à gauche, je n’ai pu avoir de réponse unanime. Certains me disent que oui, d’autres n’en n’ont pas la conviction profonde. Cependant, un fait semble indéniable: nous voyageons et appréhendons le monde d’une manière nouvelle, différemment de ceux qui, hier encore, avaient vingt ans.

Pour ce qui est des voyages, des grandes explorations, ma génération a la bougeotte. Partout autour de moi, on me dit être allé voir ailleurs si on ne s’y trouvait pas. Mais ce goût de nouveaux horizons ne date pas d’hier. À vingt ans, nos parents aussi partaient quelques mois en Europe ou en Inde pour voir si l’herbe n’y était pas plus verte.

Cependant, il me semble qu’il y a vingt ans, à l’époque où l’on dormait dans les auberges de jeunesse pour quelques malheureux dollars, les départs étaient plus spontanés, plus libres; et les motifs, plus hédonistes. C’est qu’aujourd’hui, partir quelques mois sur la route, ça signifie faire des sacrifices. Pour plusieurs, il faudra arrêter les études pendant un moment, le temps de mettre de l’argent de côté… Or, comme la situation actuelle nous encourage plutôt à demeurer sur les bancs d’école, on doit y penser à deux fois et se demander: «Devrais-je vraiment partir ou bien rester?» Il est vrai que la chute du dollar et une inflation faramineuse ont contribué à augmenter de beaucoup les coûts d’une petite escapade de quelques mois. On ne part plus, ou presque plus, quelques piastres en poche, «tripper» dans les champs, un joint au bec et de belles idées en tête. Notre société guidée par la réussite sociale et professionnelle nous a trop bien enseigné que si l’on part, ce doit être pour revenir avec un bagage, des connaissances pêchées dans toutes les villes que nous aurons traversées. Bref, aujourd’hui, la rengaine, c’est: «Tu veux partir, d’accord, mais d’abord, tu vas en arracher un peu et après, tu vas revenir la tête remplie de tout ce que tu auras pu ramasser le long d’un itinéraire scrupuleusement déterminé.»

Quant à l’exil… Oui, autour de moi on y pense, on l’entrevoit, mais plus comme possibilité que comme nécessité absolue. Cinq ans après qu’Hélène Jutras eut écrit Le Québec me tue, beaucoup de jeunes pensent à partir vivre hors des frontières de leur petite province. Cependant, les motifs pour de tels départs semblent avoir changé. Si certains futurs travailleurs songent à aller faire carrière à l’étranger, ce n’est pas tant pour se sauver d’un pays qui les asphyxie que pour tenter leur chance sur des marchés plus gros, plus actifs. Autour de moi, on semble reconnaître que le Québec est un endroit où il fait bon vivre, mais la province offre des possibilités plutôt réduites. Normal: rien qu’à voir l’étroitesse de notre bassin de population, on comprend vite qu’ici, the sky n’est pas la limite.

Par exemple, pour ceux qui, comme moi, étudient en architecture, les possibilités d’emploi sont plutôt minces; alors que chez les voisins américains, les journaux regorgent de petites annonces affichant «architects wanted».

Ainsi, pour nous qui avons suivi la carrière de Céline depuis ses tout débuts, rien ne paraît impossible et nous irons où nos rêves nous mèneront. Il ne faut pas oublier non plus que sous peu, le Québec prendra, grâce à ces chers baby-boomers, les couleurs de l’âge d’or… Bravo pour les futurs gérontologues, médecins, kinési-, physio- ou psychothérapeutes! Pour les autres, ça nous fera une belle jambe: deux ou même trois fois plus de personnes âgées à prendre en charge. Voilà donc une autre raison qui motivera peut-être certains jeunes à s’exiler.

Égoïste, direz-vous… Peut-être, mais nous aussi on veut bouger, avoir la possibilité de changer le monde. Pour reprendre l’exemple des futurs architectes, je crois que ceux-ci ont d’autres ambitions que de construire des foyers pour personnes du troisième âge.

Avoir vingt ans en l’an 2000, c’est être citoyen du monde, c’est s’intéresser à ce qui se fait ailleurs. Côté musique, cinéma, bouffe, littérature, les jeunes Québécois d’aujourd’hui sont certainement plus ouverts que ceux d’il y a vingt, trente ou quarante ans. La globalisation des marchés fait tomber les frontières.

Les échanges inter-universitaires sont un bon exemple de cette situation qui semble se vivre à l’échelle planétaire. De plus en plus populaire, cette façon de voyager et de vivre quelque temps à l’étranger nous permet, à frais «raisonnables», de tester une autre réalité, tout comme elle donne la chance aux étudiants de partout dans le monde de venir vivre l’expérience d’un petit séjour au Québec. Mais attention, il ne faudrait pas croire que les échanges soient ouverts à tout le monde! Les étudiants intéressés devront d’abord trimer dur afin que leur dossier corresponde aux exigences imposées par notre société avide d’excellence. Ainsi donc, nous sommes ouverts sur le monde en théorie; mais en pratique, cette ouverture est bien difficile à concrétiser.
Aujourd’hui, j’ai vingt ans et je suis de cette génération qui voit plus loin que son environnement immédiat. Mais il ne faudrait pas oublier que cette projection vers l’ailleurs est propre à cette période de la vie où tout est encore possible.

Les années racines

Kit Kat, rappeuse

Pour l’an 2000, j’ai une certitude: ce sera l’année des Haïtiens. Notre année. Il est temps.

Ceci n’est pas un article de propagande, mais je constate qu’on assiste à la montée fulgurante des nationalismes, et j’ai vingt ans. Ça fait longtemps que se mijote le plan de l’invasion haïtienne en un mouvement qui a mûri dans caves et caveaux. Cultiver le nationalisme haïtien devient un art.
Être haïtien constitue la route vers la soie, l’or et surtout les épices: en poésie, en rap, au théâtre. On assistera à une montée de la popularité des auteurs antillais comme Jacques Roumain, Aimé Césaire et Gisèle Pineau qui nous donneront le knowledge, à nous, ceux qui ne savent pas vraiment.

Oui, finalement, cet article en est un de propagande! L’identité explose. Wyclef Jean semble avoir crié du haut de sa guitare: «Haïtiens de tous les pays, unissez-vous», liant d’un coup la diaspora montréalaise, américaine et haïtienne.

Ti-Kid de la formation rap Sans Pression impose son flow créole-québécois. Muzion prône le retour aux valeurs racines et peint le stress quotidien de bien des familles haïtiennes. Joël Desrosiers remporte le Grand prix de la Ville de Montréal pour son recueil Vétiver; il nous parle de nostalgie. Voir nous parle du restaurant Chez Toto, le numéro I des petites et grandes gens. N’oublions surtout pas les piliers: Bruni Surin, Anthony Kavanagh et autres.

Ainsi s’opère la dérive des esprits montréalais, le serpent s’immisce tranquille, toujours plus sous le signe obsédant. S’immiscer dans toutes les sphères de l’activité humaine. Développer une image qui ne nous fige pas dans un rôle. Je ne parle pas de Normand Brathwaite qui se dit «noir» pour mieux rire d’Aunt Jemima, ni de ceux qui exploitent la sexualité de l’homme noir figée dans Comment faire l’amour avec un – – – sans se fatiguer.

Pas une négritude-spectacle mais une image plus juste. Fini, les grimaces, si nous passons le cap de l’an 2000 et si tout ne crash pas, un nouveau monde s’imposera, loin des manigances politiques contre le soi-disant «vote ethnique» (Parizeau). Un nouvel univers à la mesure des prétentions de ceux qui voudront le créer. Les nouveaux prétendants.
Mes discours peuvent sembler radicaux.

Mais que celui qui n’éprouve jamais de hargne m’écrive.

Amour, famille et tortilla

Julie Marceau, finissante en sciences humaines – profil monde

La semaine dernière, j’avais un bref entretien avec Richard Martineau. Il me proposait de rédiger un texte pour un dossier spécial: Avoir vingt ans en l’an 2000. Un thème que je pourrais aborder: les relations hommes-femmes.

La première chose que je me suis demandé, en raccrochant le téléphone, ce fut: Où en sommes-nous, justement? Comment expliquer ce qui caractérise les relations hommes-femmes, devant les multiples combinaisons qu’elles peuvent prendre aujourd’hui?

Ça m’a rappelé la question qu’on m’avait posée lors de mon stage au Mexique et à laquelle je n’ai jamais trop su comment répondre: «C’est comment, la famille, au Canada?»

L’année passée, j’ai fait un stage au Mexique dans une communauté zapotèque. Les Zapotèques ne vivent pas dans la réalité technologique et urbaine qui nous entoure. Ce sont des Amérindiens qui se regroupent par communautés dans les montagnes de l’État d’Oaxaca, et qui vivent principalement de leur agriculture. Des paysans dont plusieurs ne parlent pas espagnol et ne sont jamais sortis des limites de leur propre village. Ils vivent comme une société traditionnelle; tout tourne autour de la récolte de la terre et de la vie familiale…

La vie, chez les Zapotèques, c’est se marier, avoir des enfants et nourrir ces enfants pour qu’ils puissent à leur tour fonder leur famille. Les hommes vont aux champs; les femmes restent à la maison pour préparer les repas. Lorsque tout est prêt, on peut alors s’arrêter pour manger la tortilla…

Je n’aurai pas la prétention de savoir ce qui se disait lors des repas, car je ne parle pas leur langue. Mais je n’avais pas besoin d’un dictionnaire pour comprendre. Les regards complices, les rires francs et les doux silences étaient suffisamment éloquents. La vie, pour les Zapotèques, est là, enfouie au coeur d’une tortilla, d’une gorgée de café, d’un silence, d’un fou rire. La simplicité.

Un jour, donc, ils ont voulu savoir comment c’était la famille, au Canada. À quel âge on se mariait, à quel âge on commençait à avoir des enfants…
Bon. La famille euh…

«Ben, il y des gens qui se marient, mais il y en a qui ne se marient pas…

– Alors, vous êtes catholiques?

– Euh, non, pas nécessairement.

– Vous avez des enfants sans vous marier, alors?

– Oui. Certains ont des enfants sans se marier; d’autres se marient sans avoir d’enfants. On peut aussi ne jamais se marier et ne jamais avoir d’enfants…

– Et tes parents sont mariés?

– Euh, non, ils sont séparés. En fait, mon père s’est finalement marié, mais avec une autre femme… Il a eu une sorte d’illumination pour le mariage, mais il n’est pas catholique pour autant…

– As-tu des frères et des soeurs? (Les Zapotèques ont quatre ou cinq enfants par famille.)

– Je n’ai pas de soeur. Enfin, si, j’ai une demi-soeur… Une demi-soeur, ce n’est pas la moitié d’une soeur, mais plutôt le résultat d’une famille reconstituée qui…»

Et là, devant le père qui attendait que je finisse de m’expliquer pour traduire ma réponse en zapotèque, devant les enfants qui me regardaient et devant ces mères qui allaitaient, il me semblait, tout d’un coup, que notre conception de la famille était mauditement compliquée.

Est-ce que j’allais vraiment leur expliquer que non seulement on se «déconstitue», mais que l’on se reconstitue? Que l’on peut avoir des demi-soeurs et des demi-frères, des beaux-oncles et des belles-tantes et des enfants par insémination? Que, des fois, on ne veut pas d’enfants du tout, mais que d’autres fois, on est prêt à aller jusqu’en Chine pour en adopter?

Est-ce que j’allais vraiment leur expliquer qu’avant d’avoir des enfants, on reconsidère notre relation, on la remet en question, on planifie la situation… Qu’on doit considérer les variables: études, vie professionnelle, économie… Les probabilités de divorce et de séparation… La garde conjugale, les familles monoparentales… Que, de toute façon, avant d’avoir un enfant, on veut d’abord trouver LA bonne personne, et que pour cela, on doit savoir si on est en amour, même si on a un mal fou à définir ce qu’est vraiment l’amour…

Finalement, j’ai décidé de ne pas aborder ce sujet. Trop difficile, trop compliqué. Voyez-vous, les Zapotèques ne se demandent pas s’ils sont en amour avant de faire des enfants. Ils ne passent pas leur temps à tenter d’expliquer leur relation.

Cette rencontre ne m’a pas «illuminée», elle ne m’a pas donné le goût de rester à la maison, d’avoir cinq enfants et de passer mes journées à cuisiner pour mon mari. Mais elle m’a permis de réaliser une chose: à quel point on complique tout.
On analyse tellement nos relations qu’on oublie de les vivre…

La génération passe-partout

Stéphanie Debien-Dubé, étudiante en création littéraire, mère d’un enfant d’un an et demi

Quelque part dans le temps, après les baby-boomers et la génération X, est apparu un nouveau segment de la population. Ces gens nés à la toute fin des années soixante-dix, et dont je fais partie, n’ont pas encore eu la chance de se faire apposer un joli nom par leurs ami(es) les sociologues. Considérant qu’une appellation précise semble être le gage d’une reconnaissance quelconque de la part de notre société, je nous appellerai, pour l’occasion, la génération passe-partout.

Plusieurs personnes de cette génération auront d’ailleurs vingt ans en l’an 2000, ce qui semble être, selon moi, une expérience digne d’être mentionnée et surtout écoutée. En effet, ce n’est pas tous les jours qu’on a vingt ans, encore moins durant un changement de millénaire. Nous sommes bombardés d’opinions venant d’experts de toutes sortes, mais cette fameuse génération passe-partout a été oubliée. Quand avons-nous eu l’occasion d’entendre l’avis de ces jeunes? Pratiquement jamais. Pourtant, nos impressions sur la société de l’an 2000 devraient être considérées et prises en compte, car nous constituons quand même l’avenir (petit détail…). Pour ma part, c’est surtout la famille qui est au centre de mes préoccupations. À l’aube de l’an 2000, plusieurs aspects de la vie se modifient et la famille, qu’on croyait pourtant inébranlable, n’échappe pas à ces bouleversements.

Le noyau familial s’agrandit et englobe maintenant les ami(es); j’irais même jusqu’à dire que nos ami(es) sont devenu(e)s notre principale famille. L’amitié est une valeur qui prend de plus en plus de place dans notre société. Elle est devenue notre port d’attache, le seul filet stable auquel on peut se raccrocher dans cette ère des familles éclatées. Il n’y a plus possibilité de généraliser la notion de famille; je dirais même que l’on doit maintenant parler de groupe familial. En effet, la famille constitue aujourd’hui un groupe de personnes ayant les mêmes valeurs et vivant ensemble dans leur quotidien, plutôt que des gens n’ayant en commun que quelques gouttes de sang. Pour moi, les groupes arc-en-ciel du square Berri sont aussi représentatifs de la famille qu’une mère vivant seule avec son enfant, ou qu’un couple sans progéniture.

Mais je crois que le point central des changements survenus dans la famille se trouve principalement dans la difficulté à en bâtir une. La société de l’an 2000 n’est pas du tout faite en fonction de fonder une famille. Bien au contraire, de par son attrait irrésistible pour la performance et sa dévotion totale au capitalisme effréné, le système actuel empêche assurément beaucoup de gens de consacrer, ne serait-ce qu’une partie de leur vie, à la famille.

De nos jours, je ne sais plus s’il faut avoir une bonne dose de courage ou d’innocence pour mettre un enfant au monde dans une société qui semble malheureusement s’en aller nulle part. Difficile d’être une mère dans un système où la plupart des «hommes» sont convaincus que la normalité ne peut être autre chose qu’une course sans fin aux bénéfices monétaires, car un bébé ne rapporte rien, une femme enceinte est une nuisance qui ne produit rien de plus qu’une vie, et il faudra attendre que cette nouvelle vie justifie sa présence en transformant le sens de son existence en un immense signe de piastre, avant de les voir enfin lever un regard intéressé vers ces êtres devenus financièrement dignes d’intérêt.

De plus, il est angoissant de donner naissance à un enfant dans une société où nous-mêmes ne semblons pas avoir notre place. Comment encourager notre marmaille à affronter la vie, alors que nous avons de moins en moins de moyens pour vivre la nôtre? Prenons l’exemple de beaucoup de jeunes mères monoparentales qui doivent mener plusieurs vies à la fois: celles de mère, d’étudiante et de travailleuse, parce que le système gouvernemental n’a rien prévu pour celles qui auraient peut-être l’audace de vouloir s’instruire en essayant en plus de nourrir leur marmot. Ces femmes-là doivent se débrouiller seules et, lorsqu’elles se préparent à partir de chez elles le matin, tout ce qu’elles apportent avec elles pour la journée en dit long sur le poids qu’elles ont sur les épaules: les couches, les livres d’école et l’habit de travail. Armées ainsi, elles partent pour la journée, le sac à dos rempli de trois existences.

Mais il n’y a pas que monsieur le Gouvernement qui se ferme les yeux. Messieurs les Médias ne font pas mieux. Il ne sont pas tellement plus à l’affût des changements qui s’opèrent sur le plan familial. Il faudrait que les médias revoient leur façon de représenter la famille, car, dans la plupart des livres et des émissions pour enfants, elle est encore décrite comme un heureux mélange harmonieux d’un papa, d’une maman, d’un ou deux enfants, vivant dans une maison avec le chien et le poisson rouge. Pourtant la réalité actuelle est tout autre. La famille de l’an 2000 ne rentre plus dans ce moule rose-bonbon-sucé-longtemps. Maintenant, il n’est plus rare de voir deux mères monoparentales vivant sous le même toit ou un couple d’homosexuels ayant choisi d’adopter un enfant. La notion de famille s’est élargie; mais les médias n’ont pas eu l’air de suivre le courant. Ils semblent déterminés à rester accrochés à leur idée fixe du «rêve américain», alors qu’il serait plus que temps qu’ils s’ouvrent les yeux et cessent de propager une image fausse et dépassée de la réalité familiale.

Si mes propos sont surtout dirigés vers les messages transmis aux enfants, c’est en partie parce que je crois profondément qu’une mise au point s’impose afin que le cadre de vie moins standard dans lequel vivent certains enfants soit plus représenté, ce qui aurait comme effet de démarginaliser leur situation, à leurs yeux d’abord, mais aussi aux yeux des autres enfants. Si d’autres types de familles étaient présents dans les médias, cela ne pourrait avoir qu’un effet bénéfique sur la société car on cesserait de remplir de pauvres petites têtes innocentes avec de gros préjugés qui ne font que ternir, voire empêcher les relations entre enfants provenant de milieux familiaux différents.

En tant que mère monoparentale, j’attends avec effroi le moment où mon petit bout de chou me demandera pourquoi Caillou a un papa à la maison et pas lui. J’aimerais que les médias se rendent compte de l’influence qu’ils sont sur nos enfants et me donnent les outils pour répondre à ces questionnements.

Je pense que les médias et le gouvernement ne se sont pas adaptés aux nouvelles familles de l’an 2000. Il manque de toute évidence de soutien de part et d’autre pour que la génération passe-partout puisse donner la chance à une autre génération de voir le jour.

Personnellement, ce que je trouve le plus difficle, c’est de savoir quoi léguer à mon enfant pour le futur. Sans vouloir le rendre totalement marginal, j’aimerais quand même que Jérémi puisse avoir un certain recul face à la société; un point de vue extérieur qui lui permettrait de porter un regard critique sur le système dans lequel il vit car cela le rendrait apte à changer ce qu’il y a de totalement pourri dans ce système.

Je crois que, finalement, je veux lui transmettre la volonté de changer les choses ainsi que l’espoir que cela puisse arriver un jour.

Je veux qu’il sache que les arbres ne servent pas juste à faire des billets de banque et, surtout, qu’un jour le monde pourrait être mené par autre chose qu’un grand signe de dollar.

Le chemin le moins emprunté

John Pantelakis, intervenant jeunesse

Nous voici de nouveau au temps des Fêtes. Les magasins sont bien décorés, les gens courent pour trouver le cadeau parfait, les enfants rêvent au père Noël. mais, cette fois-ci, un événement jette une ombre sur tout ça: l’arrivée du nouveau millénaire.
Aux quatre coins de la planète, les gens attendent avec grande impatience l’an 2000
– pour voir si le bogue causera une catastrophe, pour participer à la plus grande fête de tous les temps ou pour savoir si Pikachu vaincra le Messie. C’est aussi le temps de réfléchir à notre avenir: où allons-nous? que faut-il faire? vivrons-nous dans une ère de paix ou de guerre.

Chaque groupe d’âge pense de façon différente; mais, en ce qui me concerne, avoir vingt ans en ce nouveau millénaire est quelque chose d’énervant. À cet âge, on arrive à un carrefour.

Ce que je désire ne coïncide pas avec ce que la société attend de moi. Elle veut que je m’installe, que je consomme et que je mène une vie stable. Mon oeil! Tant qu’à ça, pourquoi pas m’acheter une fourgonnette familiale?

Il faut suivre le cheminement éducatif jusqu’au bout, sans manquer un battement. C’est compréhensible. mais quand finirons-nous par décompresser et par respirer: à trente ans? L’avenir est aux super sciences: technologie, biologie, médecine, chimie, informatique, aérospatiale. Tout cela est très important; mais à quoi ça rime si on ne prend pas le temps de vivre?

En ce nouveau millénaire, j’ai l’impression qu’il y aura malheureusement beaucoup plus de conflits d’opinions, comme celui de l’AMI et de l’OMC. Notre génération prendra possession de cette terre et la dirigera pour les quarante prochaines années; si nous ne désirons pas le genre de vie que nos dirigeants nous imposent, pourquoi l’accepter sans broncher? Notre voix a été étouffée par le vacarme de la vie quotidienne, mais j’espère qu’elle se fera entendre davantage au cours des années à venir.

À vingt ans, on pense à notre avenir; mais ça ne veut pas dire que tout ce qui compte, ce sont les finances! Avant que nous puissions nous entraider, il faut s’aider soi-même, trouver son équilibre. Et pour ça, il faut peut-être entreprendre une démarche spirituelle. À vingt ans, on est toujours un peu perdu, incertain quant aux choix qu’on a faits et à ceux que l’on doit faire. Donc, avant de s’installer et de faire sa vie, il faudrait triper et vivre encore un peu. Voyager! Explorer! Vivre! Le monde n’a pas de limites – en tout cas, je l’espère. Le monde peut être aussi grand que nous le voulons, ou se limiter à notre quartier. C’est notre choix…

Je suis convaincu que tout le monde aspire à vivre en paix. C’est ce que nous visons tous; les jeunes adultes plus que les autres, parce que c’est à nous de prendre la relève.

Quand on a vingt ans, le monde n’est pas facile, et je trouve qu’il se complique encore davantage. Les possibilités qui s’offrent à nous sont infinies, on nage dans un océan d’informations contradictoires. Tout ce que j’espère, c’est qu’on pourra faire face à l’avenir avec l’esprit grand ouvert.

Une chose est certaine, le nouveau millénaire va venir et passer. Ce qui est important, c’est ce qu’on fait de notre vie, ce qu’on fait de tout ce temps.
On arrive à un carrefour. Devant moi, deux chemins divergents. Je prendrai celui qui a été le moins emprunté. En espérant que cela fasse toute la différence…

Jetable après usage

Alec Castonguay, étudiant en journalisme

Réfléchissant tout bonnement à ce que représente le fait d’être jeune en cette fin de millénaire, je pose la question à un ami au travail. «On consomme des humains comme on consomme des objets», me répond-il, le plus sérieusement du monde. Ma face a dû s’allonger, car ses traits ont changé. Décapant comme réponse. «C’est vrai, ajoute-t-il, en pointant un autre de mes jeunes collègues. Lui, il couche avec tout ce qui bouge et il s’en fout!»

Mon ami généralise un peu. Peut-être a-t-il réfléchi profondément au sujet avant de recevoir ma question. Peut-être qu’après de longues réflexions, la tête entre les mains, assis sur un rocher devant un coucher de soleil, il en était venu à cette conclusion. Mais toujours est-il qu’il a mis le doigt sur un aspect important de la jeunesse d’aujourd’hui: la précarité. Notre vie est remplie d’incertitudes, d’aspects instables, de visions à court terme. Du périssable, du passager, du jeté après usage, on en mange à toutes les sauces.

Mon ami parlait de la vie de couple. Il n’avait pas tort. Les couples ne tiennent plus