Entrevue avec Reed Scowen, essayiste : À propos du débat constitutionnel
Société

Entrevue avec Reed Scowen, essayiste : À propos du débat constitutionnel

Député libéral sous le deuxième gouvernement Bourassa, REED SCOWEN a aussi été délégué général du Québec à Londres et à New York. En septembre dernier, il a publié Le Temps des adieux, un essai polémique visant notre délicat débat constitutionnel. Sa conclusion en a fait sursauter plus d’un: après avoir défendu les Anglo-Québécois pendant 20 ans, Reed Scowen affirme maintenant que le reste du Canada doit mettre le Québec à la  porte.

Le point de vue que vous faites valoir dans Le Temps des adieux a été sévèrement critiqué par les anglophones et les francophones du Québec. Certains intellectuels ont même refusé de vous prendre au sérieux. Comment réagissez-vous à ces critiques?

«Le livre a été écrit pour les Canadiens de l’extérieur du Québec, je m’intéressais surtout à leur réaction. Règle générale, les éditoriaux et les commentaires de Toronto et de l’Ouest ont été assez favorables. Les gens trouvaient que l’idée était intéressante, que c’était un nouvel élément dans le débat. Les critiques qui m’ont été adressées visaient surtout les moyens de réaliser l’objectif que je vise [la «désinvestiture» du Québec par le Canada] et je dois admettre que cette voie n’est pas tracée dans le livre.

Au Québec, les anglophones de Westmount ont été carrément contre. Et les anglophones qui écrivent dans The Gazette, avec cette tradition Westmount, ont été contre aussi. Ceci étant dit, j’ai aussi reçu beaucoup d’appuis. À titre d’exemple, je participais la semaine dernière à une assemblée d’Alliance Québec où il y avait 200 personnes; les gens n’ont pas accepté ma conclusion, mais ils ont tous accepté l’analyse. En résumé, les nationalistes francophones ont accepté les conclusions mais pas l’analyse, tandis que les anglophones fédéralistes ont accepté l’analyse mais pas les conclusions…»

On n’a pas manqué de souligner que votre idée tend la main aux séparatistes, cela vous ennuie-t-il?

«Pas du tout. Mais je vise surtout les fédéralistes nationalistes dans mon texte. […] Mon objectif – je le répète – était de mobiliser les Canadiens à l’extérieur du Québec; les réactions du Québec, francophone ou anglophone, étaient pour moi un élément secondaire.»

Dans votre livre, vous dites que les fédéralistes et les nationalistes francophones mènent le même combat. C’est l’impossibilité d’un dialogue entre les anglophones et les fédéralistes francophones qui mène à votre conclusion?

«Lorsque Trudeau a décidé d’instaurer le bilinguisme au Canada, il a trouvé des appuis auprès de beaucoup d’anglophones ouverts d’esprit. […] En 1978-1980, il y avait un groupe d’anglophones qui voulait essentiellement créer des ponts entre les deux communautés. On a réalisé une entente qui aurait pu atténuer la loi 101; malheureusement, ni Ryan ni Bourassa n’ont trouvé d’appui auprès de l’élite francophone.

Lorsque [Richard] French, [Clifford] Lincoln et [Herb] Marx ont démissionné en raison de la loi sur l’affichage, pas un seul francophone de l’élite académique ou des affaires ne les a appuyés – le seul qui l’a fait était le rédacteur en chef du Devoir de l’époque et il a perdu son poste par la suite. En conséquence, tous les anglophones modérés ont perdu toute crédibilité auprès de leur clientèle. On se retrouve aujourd’hui avec Bill Johnson et son équipe dont l’attitude beaucoup plus dure est approuvée par les anglophones.

Quand je suis entré en politique au Québec, j’avais la vision d’un Québec dans le Canada et le Canada a toujours été ma priorité. Un certain nombre de francophones donnaient l’impression qu’ils étaient en accord avec moi et je pensais qu’il valait la peine de faire l’effort. Si on avait trouvé un appui chez les francophones fédéralistes, je suis persuadé qu’on aurait pu créer [un autre Québec]. Mais puisque ça n’a pas marché, je pense qu’il ne vaut plus la peine de se battre contre un mur qui ne tombera jamais. Il faut prendre une autre voie.»

Est-ce un signe des temps si on veut faire d’Ottawa, symbole du bilinguisme canadien, une ville unilingue anglaise?

«C’est une simple coïncidence. Je pense qu’Ottawa a toujours été une ville unilingue. Il n’y a pas de ville bilingue en Ontario comme il n’y a pas de ville bilingue au Québec. C’est à cause de la fusion des municipalités dans la région d’Ottawa que certaines personnes ont décidé de soulever cette question…»

Vous dites vouloir demeurer au Québec, même après une éventuelle «désinvestiture»; pourquoi?

«Parce qu’il y a des choses beaucoup plus importantes dans la vie que la politique. Je ne suis pas du tout en accord avec les valeurs politiques du Québec, mais je vis à Montréal et je fais plein de choses qui n’ont rien à voir avec la politique – ce qui est le cas pour la plupart des gens.»

Si vous aviez 20 ou 30 ans, feriez-vous le même choix?

«C’est une question hypothétique… Mais je peux vous dire que mes quatre enfants, tous bilingues, ont quitté. Ils sont partis pour des raisons personnelles qui n’ont rien à voir avec la politique, les mêmes raisons pour lesquelles moi je reste. […] Ce n’est pas l’enfer, le Québec, c’est agréable et j’y suis habitué. Si c’était un pays où tout était assujetti aux règles politiques, ce serait insupportable, mais on en est loin.»