Gestion de l'eau : Péril en la demeure
Société

Gestion de l’eau : Péril en la demeure

Le débat sur la gestion de l’eau potable soulève les passions au Québec, et le PQ n’échappe pas au tumulte. L’Exécutif national a récemment ravivé les flammes en ne respectant pas une décision du Conseil national. Ça risque de chauffer lors du prochain conseil du parti en février!

L’Exécutif national du Parti québécois s’est engagé dans une partie de roulette russe en «omettant» la notion de nationalisation dans le mémoire récemment déposé devant la commission Beauchamp sur la gestion de l’eau.

L’une des principales rédactrices du mémoire, conseillère à l’Exécutif national, responsable du dossier de l’eau et dépositaire du document devant la commission est contre la position exprimée. En fait, Martine Ouellet croit que l’Exécutif fait fausse route et qu’il a manqué de respect envers les membres du parti. «Normalement, dit-elle, l’Exécutif doit se conformer aux décisions du Conseil national.»

Sans parler de pressions émanant des hautes instances gouvernementales, madame Ouellet reconnaît que certains membres du parti sont plus enclins à écouter attentivement les entreprises privées et à laisser de côté l’option «nationalisation», jugée dépassée. «En économie, on ne devrait pas aller avec les modes, mais avec les besoins», soutient-elle. L’argent des ressources naturelles devrait donc revenir en totalité aux citoyens.

Mais les Danon, Naya, Périer et autres géants se bousculent aux portes pour s’arracher le marché très lucratif. Un poids qui doit peser lourd sur les épaules étatiques. «Imaginez les profits qu’il y a à faire en matière d’eau», expose Martine Ouellet soulignant que les coûts de production sont à peu près nuls.

Quant au président de la section de la Capitale nationale – un bastion péquiste -, Gilles Gaumond, il met l’Exécutif en garde. «Il faut être extrêmement prudent quand on va à l’encontre du Conseil, lance-t-il avec fermeté. Pourquoi débattre, questionner les membres, si on n’applique pas leurs résolutions?»

Le président du Comité national sur l’environnement, Gilles Lavoie, abonde dans le même sens. «Ce n’est pas une simple erreur de jugement. Il s’agit d’un détournement d’une décision prise par le Conseil… J’en suis très inconfortable.» Le point de vue minimal à défendre devrait être celui du Conseil national dont «les décisions ont autorité sur les autres instances».

Pour monsieur Lavoie, il ne fait aucun doute que l’étiolement de la position est la résultante d’une influence externe. «Je crois que l’Exécutif national a répondu à une autorité monarchique.» Il ajoute qu’un tel comportement n’est pas inhabituel au PQ. «Ça devient harassant. Ce n’est pas la première fois qu’on est obligé de faire adopter plusieurs fois la même idée.»

La trésorière nationale à l’Exécutif du PQ, Jocelyne Gadbois, admet du bout des lèvres que certains membres influents du gouvernement ont exprimé leurs positions sur la question. Mais, ce serait normal. «Il est essentiel d’avoir ces points de vue… Il n’y a pas de pression, il y a des échanges de points de vue.»

Madame Gadbois croit donc que la recommandation votée au Conseil national a été respectée puisque le mémoire ne ferme aucune porte. On ne parle pas de privatisation, mais on n’appuie pas plus la nationalisation. Pour elle, l’Exécutif n’a fait qu’adapter les souhaits des membres en fonction de la conjoncture, des contraintes liées à la gestion de la province. «Ça ne veut pas dire que l’on met de côté la position adoptée par le Conseil», insiste-t-elle.

Deuxième vice-président de l’Exécutif national, Gilles Grenier est catégorique. «Cette idée que les gens de l’Exécutif sont un peu manipulés, qu’il y a des tensions, finit par m’agacer.» Donc, malgré les dires de ses confrères, il nie toute ingérence.

En plus, monsieur Grenier se sent tout à fait justifié d’avoir omis l’idée de nationalisation dans le mémoire puisque la recommandation du Conseil national n’aurait même pas été l’aboutissement d’une réflexion approfondie. «Bien malin celui qui découvre le début d’un débat… Le débat sur la nationalisation n’a jamais été fait», tranche-t-il tout en doutant que la nationalisation soit une «panacée nécessaire».

La conseillère au programme, Marylise Lapierre, affirme pourtant qu’il arrive que le gouvernement fasse pression sur l’Exécutif, mais pas dans ce dossier, assure-t-elle. Elle prévient également que la décision finale n’est pas encore établie et qu’une proposition sera débattue au Congrès du début mai. «Ce sont les militants qui vont avoir le dernier mot.»

Payer en liquide

Le directeur de la coalition Eau-Secours, Jean Lapalme, croit que ce revirement de l’Exécutif, qui avait lui-même proposé l’idée de nationaliser la gestion de l’eau au Conseil national, est à l’image du mode de fonctionnement du PQ. «Ça ne fait que confirmer la volonté du parti de tout transformer en marchandise y compris un bien essentiel comme l’eau… C’est l’orientation néo-libérale du gouvernement.»

Le dénouement de l’affrontement ne pointe donc pas à l’horizon d’autant plus que monsieur Lapalme doute, à la lumière des récents développements, que les conseils que fera la commission Beauchamp soient entendus. «Ce serait naïf de croire que les recommandations du BAPE (Bureau d’audiences publiques en environnement) vont être appliquées ipso facto par le gouvernement.»

Cela, le commissaire, André Beauchamp, en est tout à fait conscient. «Qu’est-ce que le gouvernement en fera après? Ça, c’est son problème… C’est à ses risques et périls…» Il précise cependant que l’heure est à l’action et que «des choses doivent être faites immédiatement» afin de protéger la ressource. Il espère que la volte-face du PQ n’entachera pas l’application de ses recommandations et fait remarquer que peu importe ce qu’il en fera, les idées transmises feront leur bout de chemin chez les citoyens. Le dépôt du rapport est prévu pour le 15 mars 2000.

Mais, quoi que décide le gouvernement Bouchard, le directeur général d’Environnement jeunesse, Stéphane Boutin, souhaite que les efforts colossaux investis par les participants et les membres de la commission ne soient pas vains. Il remarque tout de même qu’il «y a beaucoup d’argent qui est en jeu. C’est tout un dilemme dans les mains du gouvernement».