Mauvais moment pour avoir vingt ans : La vie devant soi
Société

Mauvais moment pour avoir vingt ans : La vie devant soi

Il y a deux semaines, nous avons publié une Grande Gueule de notre collaborateur Pierre Monette: Mauvais moment pour avoir vingt ans. Pour Aude Maltais-Landry, ce texte sur les jeunes était manichéen. La jeunesse québécoise, écrit-elle, n’est pas divisée en deux: les bons squeegees d’un bord, les mauvais yuppies de l’autre. Elle balance entre l’espoir et le désespoir. Et n’a que faire de la pitié des plus vieux…

J’ai vingt ans.

En réponse à Pierre Monette et à sa vision très peu nuancée de la jeunesse québécoise, je dirai d’abord que je n’ai à la main ni cellulaire ni squeegee. J’appartiens à cette immense majorité d’universitaires, de chômeurs, d’artistes, de jeunes parents, de marginaux, d’idéalistes et de jeunes travailleurs qui, loin d’avoir complètement décroché ou accroché, balancent entre l’espoir et le désespoir, pèsent et soupèsent les innombrables possibilités qui s’offrent à eux. J’appartiens à cette portion de la jeunesse qui se cherche.

Vingt ans, pour moi, c’est l’âge où l’on comprend que rien n’est aussi facile que dans les rêves. C’est l’âge où l’on se rend compte qu’il faudra constamment s’adapter, se calmer, être raisonnable. Et c’est à ce moment aussi que l’on décide de taire sa révolte ou de la crier tout haut.

Grrrrrr.

Ma révolte se tourne parfois vers ma génération, qui a trop souvent tendance à se contenter du monde dans lequel nous vivons. Comment se fait-il qu’elle trouve normal de gagner des pinottes à faire des boulots minables? Comment expliquer qu’elle ne s’en indigne même plus? Pourquoi permet-elle qu’on méprise son intelligence? Pourquoi accepte-t-elle de se conformer aux diktats de la génération précédente?

Je suis forcée d’admettre qu’il faut survivre, payer son loyer, manger, qu’il faut des sous pour l’université, et que devant les portes qui se ferment, j’ai moi aussi envie de baisser les bras. Mais pour mieux dire ensuite: «Vous ne m’aurez pas! Je serai marginale, mais vous ne m’aurez pas! Je ne suis pas encore résignée à la prostitution.»

Pourquoi y a-t-il tant de jeunes intelligents, imaginatifs et ouverts qui se retrouvent à un moment ou à un autre perdus, désorientés, sans aide? Vous ne soupçonnerez jamais l’angoisse qui tenaille ces jeunes, car ils cachent leur douleur, ils jouent le jeu de cette société pour survivre. Devant vous, ils brandissent leur beau C.V. poli et léché, et jouent les enfants parfaits. Ils mettent leur orgueil de côté, et ont l’impression de quêter chaque boulot. Même entre eux, ils se cachent leurs échecs et leur manque de confiance.

Et souvent, souvent, ils se remettent en question, ils ne savent plus ce qu’ils veulent, ils se demandent où ils s’en vont. Ils s’indignent du même souffle de la misère du Centre-Sud et de celle du Pakistan; de Stéphane Dion et de Pinochet; et de la technologie-qui-devait-alléger-le-fardeau-de-la-condition-humaine. Ils refont le monde trente fois de suite et espèrent changer les choses – car, oui, il y a encore des idéalistes parmi eux. Vous n’avez pas le monopole de l’altruisme, tout comme nous ne détenons pas celui de la vertu. Notre génération compte sans doute plus de jeunes individualistes et de capitalistes en herbe que de futurs défenseurs des droits de l’homme. Mais nous savons aussi créer, rêver. Nous sommes inquiets – qui ne le serait pas? – mais pas désespérés. Du moins pas tous.

Car les gars et les filles de vingt ans ne dépriment pas toujours. Ils vivent leur jeunesse en montagnes russes. S’ils hésitent à plonger dans la société, c’est parce qu’elle leur semble bouchée, rouillée. Ils n’ont pas envie de prendre sur leurs épaules le poids des erreurs accumulées depuis la préhistoire. Garder les yeux ouverts, ça leur semble déjà beaucoup.

Pas de pitié!

J’ai vingt ans.

L’âge où l’on doit décider si l’on entre dans le moule ou pas.

Cela dit, je ne veux absolument pas qu’on plaigne ma génération. Il n’y a rien de plus méprisant – ou méprisable? – que la pitié. Et, contrairement à Pierre Monette, je suis bien loin de croire que nous ayons le monopole de la «difficile jeunesse». Peut-être que c’était plus facile pendant la Révolution tranquille. Mais je ne prendrais pas la place de ces filles dont les amants partaient à la guerre, ni celle de l’adolescente que fut ma grand-mère. Il y a quand même eu des progrès depuis Cro-Magnon! Ce n’est pas rapide, rapide, je vous l’accorde; mais il faut croire que ça avance quand même un peu, sinon c’est le suicide pour tout le monde, moi la première. Et qui peut m’assurer que tout le monde avait des fleurs dans les cheveux en 1967?

À la limite, je ne veux même pas savoir si c’est plus facile ou plus difficile aujourd’hui. Nous vivons nos vingt ans du mieux que nous pouvons, comme vous l’avez fait, monsieur Monette. Peut-être que votre avenir ressemblait un peu plus au paradis que le nôtre, mais ça ne change pas grand-chose.

Alors, laissez-nous respirer. Ne bouchez pas tous nos horizons. Laissez-nous être et vivre nos vingt ans. Acceptez d’être dérangé dans vos convictions et vos certitudes, laissez-nous vous remettre en question, vous accuser, vous soupçonner de bassesse, d’arrogance, d’orgueil – tous ces défauts que nous nous soupçonnons nous-mêmes de posséder en cachette.

Laissez-nous ce privilège de la jeunesse qui est de croire qu’elle saura faire mieux. Qu’elle a la vie devant elle pour tenter d’y parvenir.