La politique de cette fin de siècle, c’est l’art de se battre pour le contrôle d’une machine: l’État. L’État n’est plus le moyen pour parvenir à ses fins, y mettre ses idées en application; il constitue la fin en soi pour le politicien.
Un État pour lequel on se demande bien pourquoi se battre, puisque la rumeur publique suggère qu’il ne contrôle plus rien.
Erreur. L’État est plus présent que jamais, plus qu’il ne l’était il y a cinquante, cent ou deux cents ans. Au Québec, la moitié de tout ce qui existe est l’oeuvre, directement ou indirectement, de l’État.
Seulement, ses gigantesques ressources ont été détournées. On a inversé le flux: il y a trente ans, particuliers et entreprises, notamment les grandes transnationales, se partageaient à peu près équitablement la tâche de le nourrir. Aujourd’hui, il n’y a qu’une vache à traire, le citoyen, qui fournit les quatre cinquièmes des besoins de l’État. Alors, l’État lui en donne pour son argent.
Désormais, à défaut de protéger ses citoyens d’une menace extérieure, l’État se protège de ses citoyens. C’est la nouvelle fonction que lui ont trouvée les politiciens. Il y a entre soixante et cent millions de dossiers détenus par Ottawa et Québec sur l’ensemble des Québécois. L’État surveille notre chambre à coucher et notre porte-monnaie. Et si le citoyen n’obtempère pas, le fisc – d’une redoutable efficacité, par ailleurs – le ramènera «dans le droit chemin».
Aujourd’hui, les électeurs sont les dupes d’une grande supercherie. Il n’y a aucun rapport entre les promesses électorales des politiciens et les décisions qu’ils auront à prendre pour diriger le pays. C’est-à-dire que les politiciens vous entretiennent de leur talent à bien apprêter la patate pendant la campagne; alors qu’au pouvoir, leur tâche sera de la faire pousser.
Mais peut-on leur reprocher d’agir ainsi? Qui, à la fois, élit un parti souverainiste à répétition et refuse obstinément l’indépendance? Menace le sondeur de privatiser le système de santé mais refuse d’y verser un sou de plus? Refuse les aliments transgéniques, mais exige sans condition que des tomates parfaites? Les Martiens?
Ainsi, pas étonnant que le siècle passé se soit terminé avec un débat sur la place du Québec dans le Canada; que le présent ait débuté et se termine sur la même question; et que le prochain commence comme les autres.