Les enjeux politiques de l'an 2000 : Prévisions atmosphériques
Société

Les enjeux politiques de l’an 2000 : Prévisions atmosphériques

Guerres, mutations politiques, mondialisation de l’économie, échec des réformes sociales… En ce premier mois du siècle, quelques experts se penchent sur le passé et nous instruisent sur l’avenir.

Le XXe siècle a été le plus court de l’histoire de l’humanité. Soixante ans, tout au plus.

Eh oui! Depuis déjà 20 ans, le XXIe est commencé, lance le sociologue et enseignant à l’Université Laval, Jean-Jacques Simard. Et, comme pour nous mélanger un peu plus, il affirme que le XXe siècle a débuté aux alentours de 1920!

En fait, le dénouement de la Première Guerre mondiale aurait marqué la naissance d’un nouveau monde, d’un point de vue sociologique, on s’entend. Dès lors, de grands mouvements sociaux ont été observés, les plus significatifs étant l’épanouissement de l’État et la mise en place des structures propres à la société de consommation. Tout le reste, transformation de la vie familiale, émancipation des femmes, conception du Québec en tant qu’unité, etc., en découle.

Mais, au début des années 1980, les tendances fermes se stabilisent, voire périclitent, après 60 ans d’expansion marqués par de grands bouleversements tels la création de la télévision, du téléphone, l’accession des «Canadiens français» aux hautes sphères du pouvoir ou la baisse du taux de mortalité, expose M. Simard. Aujourd’hui, l’État est de moins en moins guidé par l’interventionnisme, les unions libres et les divorces sont la norme…

À l’aube de l’an 2000, nous serions donc en période d’introspection profonde afin de découvrir sur ce que sera la société de demain. «Les certitudes du XXe siècle sont remises en question», fait valoir M. Simard.

Politicologue à l’École nationale d’administration publique (ÉNAP), Christian Dufour observe lui aussi une grande mutation de l’humanité. «C’est comme si le moteur de l’histoire s’était remis en marche… On n’a pas vécu ça depuis 200 ans», illustre-t-il, ébahi par la force du mouvement. L’élément déclencheur? La chute du mur de Berlin en 1989. Avant, tout était clair. Il y avait le tiers-monde ainsi que les blocs de l’Est et de l’Ouest. Maintenant, la mondialisation entraîne l’ensemble de la planète et rien n’indique que l’avenir sera rose. Il n’y a plus de repères pour en juger.

Au pays, la situation est moins «emballante». Le passage à l’an 2000 «correspond à un pourrissement de la question Québec/Canada». Pour M. Dufour, les deux camps sont déconnectés, ce qui laisse présager un enlisement sans pareil qui perdurera. Les anglophones nieront toujours le fait français et les francophones ne pourront se développer pleinement en tant que société puisque leur enracinement est nié, croit-il.

Un de ses collègues enseignant en politique à l’ÉNAP, Luc Bernier, envisage même l’émergence de milices armées, le débat constitutionnel reprenant de plus belle alors que les adversaires demeurent campés plus que jamais sur leurs positions. «J’espère que non, mais la remontée de tensions non nécessaires peut mener à une forme de FLQ», expose-t-il.

Durant les années 1960, le nationalisme québécois a été marqué par la violence. Au cours des décennies suivantes, les souverainistes ont raffiné leur lutte en donnant le pouvoir au Parti québécois. Et voilà que les Stéphane Dion, Jean Chrétien et autres libéraux fédéraux ravivent les flammes. «On restreint la voie démocratique», fait remarquer M. Bernier. Alors, certains pourraient vouloir clore une fois pour toutes le débat par la force. Mais, contrairement à ce qu’on pourrait croire, la menace est plus forte du côté anglophone où des extrémistes, sonnés par les résultats du référendum de 1995, pourraient prendre les armes, pense-t-il.

Retour à la sauvagerie
D’un point de vue économique, M. Bernier, entrevoit la renaissance du capitalisme sauvage qui avait caractérisé le XIXe. Il indique toutefois que la population est plus consciente des inconvénients inhérents et qu’elle ne laissera pas passer le train sans agir. «Il y a un contrepoids en devenir… Il y a des contre-pouvoirs possibles aux multinationales», remarque-t-il, soulignant que l’émergence d’Internet facilite la concertation entre groupes de pression. Néanmoins, le libre-échange ne cessera de prendre de l’expansion et le modèle de l’Union européenne devrait s’étendre au globe entier.

Peu importe ce que feront les groupes de pression, l’économiste et enseignant à l’ÉNAP, Émmanuel Nyahoho, est certain, quant à lui, que personne ne pourra freiner la mondialisation. Le demi-échec de la rencontre de l’Organisation mondiale du commerce à Seattle ne fera que retarder l’inévitable. En janvier ou immédiatement après les élections américaines, les États établiront l’agenda des négociations du millénaire et le processus sera relancé.

Afin de conserver ou d’accroître leur part du gâteau économique, les nations devront donc redoubler d’ardeur et reprendre les investissements sociaux dans l’éducation, la santé, la recherche et le développement. «On est à l’heure du réinvestissement.»

Devant la montée de la mondialisation économique, les fonds gouvernementaux devront être utilisés à bon escient, estime M. Nyahoho. Chaque zone géographique devra miser sur des spécificités régionales et les exploiter au maximum. Ainsi, la souveraineté économique de chaque pays sera garantie par son pouvoir à se démarquer dans des secteurs distincts, à définir ses priorités industrielles.

L’enseignant en comptabilité et finances publiques à l’ÉNAP, Claude Beauregard, partage son opinion. L’État doit réinvestir après un épisode de coupures massives dans les services tout en établissant bien ses priorités. «Ça va être la stabilisation de la "dispension" des services publics.»

M. Beauregard est cependant pessimiste. Il craint les déblocages de fonds publics puisque le Québec, tout comme le Canada, n’est pas prêt à supporter un déclin de l’économie inéluctable. «Le problème, ça va être le prochain rendez-vous avec la récession, un deuxième mauvais réveil pour la population… Les gouvernements n’auront pas, encore une fois, une marge de manoeuvre.» Il faudra donc faire un choix déchirant entre les services sociaux et les votes, ou le remboursement de la dette et la possibilité d’emprunter lors des épisodes de disette.

Mais, quoi que fassent les gouvernements, l’historien et enseignant à l’Université Laval, Jocelyn Létourneau, rappelle que les disparités entre riches et pauvres s’accentueront. «Pour participer en tant que gagnant, il faudra faire preuve de compétence, d’expertise, de polyvalence… considérables.» Ainsi, les moins nantis qui ont déjà de la difficulté à progresser au sein du réseau de l’éducation et du milieu du travail seront de plus en plus marginalisés même s’ils composent la majorité de la population. «Ce sera l’accentuation du double marché du travail.»

Le défi pour les prochaines années sera donc de soutenir ces masses qui ne pourront s’intégrer au monde des gagnants. En plus, ces gagnants devront avoir accès à un système de perfectionnement hyper-performant pour que notre société demeure concurrentielle face à la compétition internationale. Tout un contrat pour le XXIe siècle!